L’Afghanistan, le cimetière des Empires

Les Taliban  se réjouissent d’avoir « fait l’Histoire » après le départ des dernières troupes américaines. Une chronique de Joelle Hazard 

L’Occident les regarde comme des barbares, ils voient en l’Occident le pire des prédateurs. Il faut dire que leur pays ou plutôt ce conglomérat de provinces tribales et rivales qui est le leur, enclavé dans des montagnes austères et escarpées n’a connu depuis l’antiquité que des invasions. Celles-ci ont laissé des marques, des empreintes et parfois des repères à ces « guerriers invincibles ». Les Hindous, les Perses, les Arabes, les Turcs et les Moghols leur ont transmis une quinzaine de langues en héritage. Enfin, le passage de la « Route de la soie » par ce carrefour stratégique très montagneux leur a inculqué le sens du commerce et parfois le goût de la rapine, de même qu’une aptitude réelle au calcul et au compromis avec toutes les dérives que cela autorise comme la culture du pavot et du cannabis. Quatre-vingt-quatre pour cent des drogues opiacées vendues dans le monde ont été produites en Afghanistan au cours de ces dernières années.

Dans les années 70, les hippies parcouraient la route de Katmandou, en passant par Kaboul, qui était une petite ville autrefois. Certains ont raconté leurs aventures et cette curieuse défiance qu’ils rencontraient alors chez des Afghans « sauvages, silencieux, et sournois » dans un pays totalement moyenâgeux. Ils ne croisaient de femmes que très rarement, sinon recouvertes d’une burqa. A la façon des Moudjahidines, les hommes épiaient leurs allées et venues. Ils étaient passés maitres en matière de pistage et de filature, tels des fauves à l’affut n’ayant que mépris pour ces jeunes Occidentaux de passage qui incarnaient les infidèles que le Jihad n’avait cessé de combattre à travers les siècles. Cela ne les empêchait pas de faire quelques petits échanges de drogue contre des Dollars. Aux postes de frontière, c’étaient les douaniers qui vendaient le plus ouvertement aux visiteurs… opium ou shit à volonté !

Sous la pression internationale, les Taliban du mollah Omar feront raser les cultures de pavot, en tout cas celles qui étaient répertoriées, quand ils prendront le pouvoir à partir de 1996.

Le piège afghan

L’Afghanistan, « Le cimetière des Empires »La destruction des traces de l’Histoire de la région et de ses symboles culturels est devenue obsessionnelle pour les Taliban. Ils se sont lâchement attaqués en 2001 aux vestiges du Bouddhisme, la religion la plus répandue au côté du Zoroastrisme avant l’arrivée des Perses islamisés. Les statues monumentales des Bouddha de Bâmiyân communiquaient  une liberté d’être et de penser qu’il fallait détruire aux yeux du monde : c’était un message à l’adresse de tous ceux qui s’étaient jusqu’alors lancés en vain à la conquête du pays des Afghans que l’on surnommait « le  cimetière des Empires ».

Qui, en effet, à part le Macédonien Alexandre, avant notre ère, pouvait se targuer d’avoir conquis ces territoires invraisemblables ? Nombre d’envahisseurs seront vaincus par ces bandes guerrières de Moudjahidines,  promptes à descendre les pentes abruptes des montagnes, à porter leurs coups et à remonter par des pistes vers les sommets, où  elles étaient indétectables à ces époques sans GPS. 

Les Britanniques en feront les frais sanglants au XIXème siècle. Ils avaient investi le pays pour en renverser l’émir afin de l’empêcher de faire allégeance aux Russes. Ce sera une véritable débandade faite d’émeutes, de pillages et de massacres. La puissante armée  fut anéantie à Gandamak, en 1842, par des milliers de francs-tireurs. La plus grave défaite de l’histoire coloniale britannique.  La haine et le mépris du mécréant de l’Occident date de cette époque.   

Au siècle suivant, Le renversement de la royauté sera suivi, en 1978, d’un coup d’état prosoviétique. Deux ans plus tard, l’URSS envahit l’Afghanistan qui est un état tampon dans la confrontation Est-Ouest pour y combattre une rébellion anti-communiste. Des milliers de Musulmans rejoignent alors le pays. Les États-Unis vont armer et financer les Moudjahidines et l’Armée rouge sera en fin de compte vaincue après 10 ans de guerre, en 1989, par le Jihad.   

Mais à quel prix !! Le piège afghan – les 13 000 morts et 53 000 blessés soviétiques – aura des répercussions géopolitiques dans le monde entier mais d’abord sur l’éclatement de l’URSS. La victoire d’une guérilla afghane soutenue par l’Amérique va peu à peu apparaître comme un terrible poison. Les rivalités ethniques et religieuses, les luttes entre factions vont provoquer une guerre civile épouvantable. L’Alliance du Nord, dirigée par le charismatique Massoud sera chassée par les Taliban, des musulmans sunnites hanafites appuyés par les voisins pakistanais (Afghan étant l ethnonyme de Pachtoune, ethnie partagée entre le pays et le Pakistan). Massoud, qui sera baptisé par les media américains « l’Afghan qui a gagné la Guerre Froide », sera assassiné deux jours avant les attentats du 11 septembre 2001, commandités par le saoudien Ben Laden à la tête de son réseau d’Al Qaeda. Accueilli trois ans plus tôt par les Taliban en Afghanistan, ce dernier avait diffusé une déclaration de Jihad contre les Etats-Unis.

Les bombardements américains en réaction au 11 septembre 2001 sur les principales villes afghanes et les bases et camps d’entrainement des « terroristes » auront raison des Taliban. Pour les populations civiles, cela se traduira par vingt années de « pause » dans un pays qui n’a jamais cessé de souffrir ! Mais sans réel sursis quant aux attentats, aux  voitures piégées et aux opérations contre l’émancipation des femmes.

Le « burn out » du Président Biden

Aujourd’hui, le retrait américain, négocié avec les Taliban par les deux administrations successives apparaît comme une défaite, une faillite même pour beaucoup…  Mais au vu de ces siècles d’Histoire faite exclusivement de guerres asymétriques toujours remportées par les Jihadistes, que faire, que dire ?  Dans la mesure où la mort au combat et sa promesse de jouissance paradisiaque pour un Moudjahidine n’a pas la même signification que pour les autres combattants…  Et s’il n’y avait que le seul sujet de la mort !

C’est la question que l’on est en droit de se poser devant ce qui apparaît comme un abandon de l’Afghanistan dans l’urgence par les forces américaines. On peut comprendre l’apparent « burn-out » du président Biden dans les circonstances tragiques de ce retrait qui marque la fin d’une domination américaine, pas seulement sur la région mais aussi sur le monde.

Washington ne veut plus faire de « Nation building »… fair enough ! C’est qu’il nous faut nous arrêter d’imposer nos propres normes aux autres. Ils considèrent que nos mœurs sont horribles : Très bien, Tchao !  Les débats sur le Droit d’Ingérence et sur la Légitimité sont ouverts. Ces concepts ne veulent rien dire pour ces Moudjahidines qui n’ont en partage avec les milices rivales et avec le reste du monde que la violence. Très bien. Leur légitimité est aujourd’hui la Charia. Nombre d’Occidentaux se disent : « Dans le fond, qu’ils la gardent ! ».

Seul le cœur des femmes saigne devant ce spectacle ahurissant de l’effondrement acté de nos valeurs. Vous pleurerez en regardant les burqas remplir de nouveau les rues de Kaboul. Mais l’humanité va peut-être faire malgré tout un grand pas, à ce prix-là.