Syrie, les crimes de guerre dont se rendent coupables les Kurdes

Dans un rapport « Injustice, torture et mort en détention dans le nord-est de la Syrie » publié le 17 avril, Amnesty International dnonce les abus généralisés commis dans une trentaine de centres de détention ainsi que dans des camps où vivent 56000 personnes, femmes et enfants pour la plupart, qui sont originaires d’Irak et de Syrie. À ce titre, ils sont soupçonnés d’avoir appartenu à la mouvance de l’État Islamique (EI) et retenus par les forces kurdes qui vivent en Syrie dans des conditions indignes.

Amnesty International a mené une enquête approfondie sur la situation de ces détenus. La secrétaire générale d’Amnesty, Agnès Callamard, estime que les autorités kurdes syriennes sont responsables de « crimes de guerre » contre ces mililers de prisonniers.

On est loin, à lire ce rapport, de la posture démocratique empruntée par ces combattants kurdes proches du PKK, le mouvement indépendantiste présent en Turquie et dont les méthodes sont clairement terroristes. Rn Syrie, les Unités de défense du peuple (YPG) kurdes, également appelées Unités de protection du peuple, se battent en faveur de la création d’une entité nationale à cheval entre la Syrie et la Turquie. Et à ce titre, ces extrémistes kurdes subissent régulièrement les bombardements aériens de l’armée turque naturellement  hostile à la présence à ses frontières (voir la carte ci dessus) d’une telle base arrière indépendantiste.

Afin de se positionner en victimes du régime du Président Erdogan, ces forces kurdes ont noué habilement de leur alliance avec la coalition internationale de lutte contre les djihadistes menée par les Américains et soutenue par les Français. En faisant le sale boulot que les Occidentaux ne voulaient plus faire dans cette zone instable et en permettant notamment à la France de botter en touche sur le sort de populations abandonnées depuis la fin du califat instauré par le groupe État islamique, les Kurdes sont pour l’instant sortis gagnants sur le plan diplomatique. 

Le PKK, l’épine entre Paris et Ankara

Les relations chaotiques entre la France et la Turquie doivent beaucoup à ce dossier kurde. La France, qui avait utilisé en forces d’appoint ces mêmes kurdes dans sa lutte contre les extrémistes de Daech, a dénoncé violemment toutes les interventions de la Turquie au nord de la Syrie, en provoquant des réactions très fermes de la diplomatie turque. « La diplomatie française, a confié un ministre turc à Mondafrique, a considéré que ces terroristes kurdes, qui se servaient de la Syrie comme base arrière pour nous attaquer, devaient être défendus. Cette position était inadmissible. Le comble, c’est que Macron en a voulu à Erdogan, alors que ce dernier défendait seulement son pays contre un redoutable terrorisme ». Et d’ajouter: « Que diraient nos amis français, si nous soutenions des groupes corses ou basques qui remettent en cause violemment l’intégrité territoriale de la France? »

Ce rapport d’Amnesty International remet les pendules à l’heure. Les Kurdes de Syrie ne sont pas des faiseurs de paix, loin de là.  Environ 56.000 personnes sont détenues depuis cinq ans en Syrie par les « Unités de défense du peuple » kurdes de manière arbitraire. La plupart ont été arrêtées au lendemain de la bataille de Baghouz de 2019 qui a signé la fin de l’EI et subissent, depuis, toutes sortes de traitements inhumains.

                                                                                                   Nicolas Beau, Mondafrique

Voici le compte rendu qu’a fait la RTBF belge du rapport d’Amnesty

Certains de ces prisonniers subissent des conditions de détention inhumaine, des actes de torture, voire de meurtres. Une partie d’entre eux ne sont en fait pas des membres du groupe État islamique, mais sont au contraire des victimes de ce groupe, arrêtées en même temps que les terroristes présumés. La grande majorité des détenus sont d’ailleurs des enfants (30.000) et des femmes (14.500).

Les États-Unis fortement impliqués

Amnesty International pointe la responsabilité des États-Unis dans ce système de détention qu’ils ont contribué à mettre en place, qu’ils financent et qu’ils continuent à surveiller. « Ils ont donné des centaines de millions de dollars aux FDS et aux forces affiliées. Ils interrogent régulièrement les personnes détenues dans le système. Ils ont rénové et construit de nouveaux centres de détention et y effectuent de fréquentes visites », pointe Nicolette Waldman, enquêtrice d’Amnesty International.

Le système de détention mis en place par les forces kurdes est composé de 27 prisons et de deux grands camps de détention, al-Hol et Roj. Les prisons accueillent en majorité les hommes, les deux camps, en majorité des femmes. Lorsque les garçons détenus dans les camps atteignent l’âge de 11 ou 12 ans, ils sont séparés de force de leur mère et transférés dans les prisons.

La torture systématique

Ce sont dans ces prisons que sont commises les pires violations des droits de ces prisonniers. « Ce que nous avons constaté, c’est que les personnes dans les centres de détention sont soumises à des tortures systématiques et qu’elles sont détenues dans des conditions extrêmement inhumaines. Ils meurent par centaines, de morts évitables, à cause de ces conditions « , dénonce Nicolette Waldman.

Les chercheurs d’Amnesty International ont pu se rendre dans le nord-est de la Syrie et y rencontrer des détenus. Ils rapportent le témoignage de l’un d’eux qui a subi des séances de torture : « Il n’y avait pas de jour ni d’horaire précis, ni de méthode de torture établie. Le pire, c’était quand ils entraient à l’intérieur de la pièce avec des tuyaux en plastique, en acier, des câbles, et ils nous frappaient partout. Tous les 15 jours, ils nous sortaient dans la cour, tout nu. Les gardiens violaient les gens avec un bâton… »

Des femmes yézidies détenues

Les femmes et les enfants sont détenus en majorité dans les camps d’al-Hol et Roj. Ils y vivent dans des conditions insalubres, sans accès suffisant à la nourriture, à l’eau et aux soins de santé. Les femmes sont agressées par les détenus affiliés à l’EI pour des infractions présumées aux bonnes mœurs. Des membres des forces de sécurité se livrent à l’exploitation sexuelle, selon AI.

Certaines de ces femmes, dont des Yézidies, ont été victimes de la traite des êtres humains organisée par l’État islamique, dans des maisons réservées aux femmes ou lors de mariages forcés. Certains garçons étaient contraints de combattre pour l’EI. Aucun système n’a été mis en place pour identifier ces victimes parmi les détenus.

La visite de soldats américains

Durant ses séjours dans la zone autonome kurde en Syrie, Nicolette Waldman a croisé des soldats américains impliqués dans ce système de détention : « J’ai vu des soldats devant un centre de détention, dans un Humvee avec un drapeau américain. J’y suis allé et j’ai documenté cinq cas de torture, dont l’un s’était produit la semaine précédente. Nous avons découvert à quel point ils sont impliqués, leur connaissance probable de la situation. Ils doivent accepter une plus grande responsabilité, parce qu’ils ont joué un rôle clé dans l’établissement de ce système. Nous voulons qu’ils mettent fin immédiatement aux conditions qui provoquent des décès massifs. » Des prisonniers ont confirmé avoir vu des soldats américains à l’intérieur du centre de détention.

Pour l’organisation de défense des droits humains, le comportement des geôliers viole le droit international. « Amnesty International a conclu que les autorités autonomes ont commis les crimes de guerre que sont la torture et les traitements cruels, et qu’il est probable qu’elles aient commis le crime de guerre de meurtre dans les centres de détention, déclare Nicolette Waldman. Pour leur part, les États-Unis ont joué un rôle clé dans la mise en place du système de détention et dans son maintien. Ils ont également commis des violations du droit international. »

Interpellées par Amnesty, les autorités kurdes de Syrie ont expliqué devoir agir dans un contexte difficile, alors que le conflit armé se poursuit en Syrie et que la menace djihadiste y existe toujours. Elles se sentent abandonnées par la communauté internationale, et en particulier par les pays dont proviennent une partie des prisonniers. Elles avaient demandé qu’un mécanisme de justice internationale mène les procès de ces détenus, sans succès. Elles ont dès lors instruit elles-mêmes les dossiers de près de 10.000 prisonniers, Syriens pour la plupart. Selon Amnesty, ces procès sont entachés de graves irrégularités, comme des aveux obtenus sous la torture ou l’absence d’avocats pour les prévenus.

La majorité des détenus sont syriens et irakiens, mais ils représentent au total 74 nationalités différentes. Beaucoup d’Etats sont réticents à les rapatrier, en raison du danger qu’ils pourraient constituer.