Afrique du Sud, l’ex-président Zuma rebat les cartes des législatives

Les élections législatives de l’Afrique du Sud, poids-lourd démocratique de la région, prévues pour le 29 mai, décideront du futur président du pays. Le parti au pouvoir, déjà fébrile, doit depuis le 9 avril faire face à l’entrée fracassante en campagne de l’ex-président Jacob Zuma (2009-2018), qui bouleverse l’échiquier politique du pays.

Un article de Mateo Gomez.

Déjà, le scrutin n’avait pas belle allure pour le Congrès National Africain (ANC), ce parti progressiste au pouvoir depuis la fin du régime d’Apartheid en 1994. Miné par des affaires de corruption, une criminalité débridée, un chômage endémique et une crise énergétique sans fin, le parti de Nelson Mandela faisait face, pour la première fois, à la perspective d’un gouvernement de coalition, les sondages présageant un score inférieur à 50%. Avant le 9 avril, tel était l’enjeu: la majorité absolue ou relative. 

Un problème nommé Jacob Zuma

Mais depuis, un problème majeur a émergé pour l’ANC et son candidat, le président sortant Cyril Ramaphosa: son nom est Jacob Zuma, ancien président de la république sous les couleurs de l’ANC, de 2009 à 2018. Qualifier ce retour d’inespéré serait un euphémisme: octogénaire, poursuivi par la justice pour diverses affaires de corruption, emprisonné puis libéré pour des problèmes de santé, et même interdit, initialement, de faire campagne, personne n’aurait cru à un retour triomphal à un mois des élections. Pourtant, le tribunal électoral a tranché: il a le droit de se présenter.

Cette décision signifie la fin d’un parcours juridique de combattant pour l’ancien élu, dont son dépôt de candidature a initialement été invalidé par la commission électorale du pays (l’IEC) le 28 mars pour non-respect de la constitution. En effet, celle-ci précise qu’aucun individu n’a le droit de se présenter s’il ou elle a été condamné à plus de 12 mois d’emprisonnement, ce qui était le cas de Zuma. Mais ce dernier a immédiatement fait appel, en faisant valoir le fait qu’il n’avait purgé que deux mois de sa peine, ayant été par la suite libéré pour raisons de santé. Argument accepté par le tribunal électoral.

Un report massif des intentions de vote

Mais hors de question pour Zuma de contester le président Ramaphosa depuis la machine interne de l’ANC (les primaires ayant par ailleurs eu lieu il y a cela des mois), notamment car il considère que c’est ce même parti qui l’a chassé de la présidence en 2018 à cause des trop nombreux scandales. Il a donc rejoint un parti de gauche radicale fondé en septembre 2023, le Fer de Lance de la Nation (MK). Et les sondages montrent que le MK pourrait obtenir jusqu’à 15% des votes le 29 mai, la plupart d’entre eux soutirés à l’ANC. Le parti historique, qui s’inquiétait par rapport à la barre des 50%, doit maintenant revoir ses attentes à la baisse: les sondages les font aujourd’hui passer en dessous des 40%, obligeant le parti au pouvoir à se résigner à un gouvernement de coalition, soit avec le MK, soit avec l’autre parti de gauche radicale en lice, les Combattants pour la Liberté Économique (EFF).

Et pourquoi une telle peur de la coalition? Premièrement car aucune des options ne sont bonnes pour l’ANC de centre gauche. Le MK serait un enfer politique, avec un éternel combat de taureaux entre Zuma et Ramaphosa, et l’EFF serait compliqué idéologiquement: ces derniers ont par exemple sur leur programme l’expropriation des terres agricoles aux mains des blancs ou alors la vente d’armes à la Russie et au Hamas. Deuxièmement, l’ANC rechigne à faire des coalitions car le parti n’en a tout simplement jamais fait: il détient la majorité absolue à chaque législature depuis le début de la démocratie sud-africaine en 1994. Et finalement, car les coalitions au niveau local, issues des revers électoraux précédents aux provinciales et municipales, se passent très mal. A Johannesburg, par exemple, la plus grande ville du pays, où l’ANC a perdu la majorité absolue en 2021, le conseil municipal s’est revelé incapable de former une administration stable.

En trois ans, pas moins de six maires se sont succédé à la tête de la ville.

 

La soif de changement

 

Mais le succès immédiat de Zuma et du MK montrent que l’Afrique du Sud a soif de changement. Un tel report des intentions de vote est signe d’un sentiment de ras-le-bol général envers l’ANC. Auparavant, le premier parti d’opposition, l’Alliance Démocratique (DA) n’était pas assez convaincant pour que les votants, qui pour des millions d’entre eux ont grandi sous l’Apartheid, abandonnent l’ANC, notamment parce le DA n’arrive pas à se débrasser de l’étiquette de parti pour blancs. Mais le MK a soudainement offert une alternative politique viable aux sud-africains, et les sondages, pour l’instant, sont bons: on dirait bien que la forteresse ANC va tomber.