L’impasse des négociations sur le nucléaire plombe l’économie iranienne

 Les difficultés économiques de l’Iran risquent fort de durer alors que les discussions sur le nucléaire s’enlisent à Vienne.

Aggravées par le poids des sanctions imposées par les Américains quand Donald Trump se retira de l’accord sur le nucléaire en 2018, les difficultés de l’économie iranienne sont une cause d’inquiétude maximale pour le régime des Ayatollahs. Ils ont raison de se faire du souci : montée du chômage, chute du cours du rial, baisse de moitié du revenu des ménages en quatre ans, hausse des prix, tout va mal dans la République islamique. Et l’impasse dans laquelle se trouvent les négociations censées aboutir à un accord sur le nucléaire n’arrangent rien et augurent mal d’une amélioration sur le front de l’économie et du coût de la vie : la levée des sanctions n’est pas en vue.

 Plus encore peut-être que l’aspiration aux libertés politiques, les difficultés auxquelles sont confrontés au quotidien les Iraniens est une raison supplémentaire pour les mécontents de questionner la légitimité du régime après des décennies d’impérities gouvernementales et de corruption. Tout récemment encore, des milliers d’Iraniens ont défilé dans les rues pour protester contre les coupures d’approvisionnement en eau qui rythment leur vie au jour le jour.

Une dette égale à 50% du PIB

Les conseillers du président Ebrahim Raïssi, de longue date affilié à la ligne dure du régime et très proche du « guide » de la révolution Ali Khameini, ont beau souligner la « résilience » de l’économie iranienne, capable de faire face à un échec des pourparlers et au maintien des sanctions, leur assurances ne convainquent pas les experts : la Banque mondiale prévoit que la dette public du pays va dépasser la moitié du PIB cette année et nombre d’analystes estiment peu probable que l’économie puisse faire face durant des années de sanctions prolongées sans en payer le prix. Qui risque d’être lourd.

Tout cela n’empêche pas le fraîchement élu président Raïssi d’adopter une attitude politique toujours plus intransigeante, qui risque d’entraîner son pays vers une catastrophe annoncée. Après son élection, Il a promis, contre toute attente, de diversifier l’économie et de créer près de deux millions d’emplois dans les deux prochaines années. Sur ce plan les spécialistes sont également sceptiques quant à la capacité du président à tenir sa parole, compte tenu de l’isolement du pays. « Pour que les promesses du président Raïssi se concrétisent en matière de lutte contre le chômage, son gouvernement aux caisses vides va avoir besoin d’une levée de sanctions et pouvoir accès à des devises à l’étranger », estime ainsi l’économiste iranien Bijan Khajehpour dans le « WSJ ».

Mais à Vienne, c’est l’enlisement et aucune levée des sanctions n’est visible à l’horizon. Les tensions se font jour entre les Iraniens et les négociateurs du « G3 » – Français, Allemands, Britanniques. Mardi 14 décembre, un tweet du chef de la délégation iranienne, Ali Bagheri Kani, a donné une idée de l’ambiance : les Européens, a-t-il accusé, « persistent à jouer au jeu des reproches, au lieu de s’occuper de vraie diplomatie ». De leurs côtés les négociateurs européens ont mis en garde leurs homologues iraniens : « Le temps est compté. Si aucun progrès n’est obtenu alors que l’Iran accélère son programme nucléaire, le JCPOA ( « Joint Comprehensive Plan of Action », nom de l’accord signé en 2015) risque de n’être plus qu’une coquille vide ». « A ce stade, il n’a pas encore été possible d’entrer dans de vraies négociations », ont ajouté ces responsables diplomatiques de la France, de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne. « Nous perdons un temps précieux dans la discussion [sur] de nouvelles positions iraniennes incompatibles avec le JCPoA ou allant au-delà de ce qu’il prévoit. »

Outre les pays du « G 3 », les discussions réunissent aussi la Chine et la Russie. Les Etats-Unis y participent indirectement. Même si l’administration Biden se montre désireuse de tourner la page de l’ère Trump sur le dossier iranien, les Américains se montrent menaçants : après s’être entretenu jeudi 9 décembre avec son homologue israélien Benny Gantz à Washington, le secrétaire d’Etat à la défense américain Lloyd Austin s’est dit « profondément préoccupé par les provocations continues du gouvernement iranien » ; il a ajouté, en une mise en garde impliquant clairement un éventuel recours à la force si l’Iran n’accepte pas le gel de son programme nucléaire militaire   : « Nous nous défendrons, nous défendrons nos amis et nous défendrons nos intérêts »…

 

 

Article précédentFrance culture met les Arts de l’Islam à l’honneur
Article suivantRD Congo, Felix Tshisekedi sur les traces de Kabila
Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)