Le ministre Moulay Hafid Elalamy, gourou de la réindustrialisation marocaine

Depuis qu’il est à la tête du département de l’Industrie, le tycoon marocain de l’assurance et de la « bancassurance » a engagé une course contre la montre pour doter son pays d’un tissu industriel performant et tourné vers l’exportation

« We Believe in Industry » : si le ministre marocain de l’Industrie et du Commerce devait choisir un slogan pour son mandat, il n’aurait pas trouvé mieux que de paraphraser celui de son propre holding qu’il a fondé en 1995. Auteur d’une des plus spectaculaires « sucess stories » du tissu économique marocain, cet ancien patron des patrons, ne laisse pas indifférent. Son aisance frôle parfois l’insolence… Sa détermination flirte avec souvent avec l’obstination… Son franc-parler choque aussi bien ses amis que ses adversaires.

« Mister industrie »

Quand le roi le charge de piloter le département de l’industrie et du commerce dans le deuxième gouvernement Benkirane, Moulay Hafid Elalamy, plus rompu aux raids financiers victorieux en Afrique qu’aux interminables et ennuyeuses sessions parlementaires, se tâte. Au fond de lui, il sait que si la plus haute autorité de l’Etat l’a chargé d’une telle mission, c’est qu’il doit se surpasser, sortir des sentiers battus, créer de l’emploi et de la valeur ajoutée. Il ne met pas longtemps à trouver ses marques. Il se lance bille en tête dans un défi que d’aucuns croient perdu d’avance : celui d’une vaste ré-industrialisation du pays.

Le royaume, malgré plusieurs succès enregistré au niveau de l’automobile et de l’aéronautique, fait du surplace. Le rythme des investissements dans le secteur industriel ne confère pas encore au royaume la taille critique qui le mettrait sur les tableaux de bord des grands majors. Et c’est justement là que Moulay Hafid Ealalamy choisit de frapper… les esprits. Un plan d’Accélération Industrielle est lancé en avril 2014 avec la bénédiction royale. Une stratégie imaginée et réfléchie par les cadres du ministère sous la direction du nouveau ministre qui vise à engager une nouvelle dynamique industrielle et assurer une intégration réussie du Maroc parmi les nations industrielles émergentes.

Casablanca l’ « El dorado »

Moulay Hafid Elalamy ne met pas beaucoup de temps à convaincre les industriels marocains, mais également les grands groupes mondiaux. Les fédérations sectorielles qui regroupent toutes les industries nationales n’hésitent pas. Pour la première fois, « les temps de Casablanca-capitale économique – et celui de Rabat-capitale administrative- sont totalement synchros ». Les staffs des fédérations défilent au siège du ministère à Rabat pour structurer leurs filières en écosystèmes performants. Aucune industrie n’est snobée. Aucune filière n’est ignorée. Aussi bien l’aéronautique que l’automobile en passant par les matériaux de construction, la plasturgie ou le textile apposent leurs signatures et épousent une stratégie win-win, accompagnés par un système bancaire de plus en plus impliqué et confiant.

En même temps, le ministère de l’Industrie et du Commerce marocain croule sous les demandes d’informations en provenance de l’Europe, des Etats-Unis et, fait nouveau, de Chine. Les investisseurs se bousculent au portillon. PSA Peugeot Citroën annonce l’été dernier l’implantation d’une usine à Kénitra avec une capacité de 200 000 voitures et un taux d’intégration à termes de 80 %. Le constructeur automobile français  va mettre sur la table un investissement de plus 500 millions d’euros. Dans la foulée, des filiales d’Airbus se préparent à s’installer dans la région de Casablanca. Les Américains pourtant si frileux ne sont pas en reste. Les géants Eaton et Alcoa sont déjà sur place, alors que d’autres finalisent leurs investissements. Comme aime le dire et le répéter malicieusement Moulay Hafid Elalamy : « Dorénavant, le cadre de n’importe quel grand groupe industriel mondial qui n’inclut pas le Maroc dans son benchmark sera viré pour incompétence ». Désormais, la confiance est de mise.

Une porte d’entrée vers l’Afrique

Non seulement, le royaume chérifien séduit à l’international, mais même en interne les choses commencent à changer radicalement. Pour la première fois depuis l’indépendance du pays, les Phosphates sont détrônés. En 2014, les exportations des produits automobiles ont atteint 1,81 milliards d’euros. Une hausse de 52,7 % par rapport à 2013. L’autre défi est en train d’être relevé. Le royaume chérifien n’est plus unijambiste. « Il n’y aura plus que de la clémentine et de la tonne de Phosphate qui sont estampillés Made In Morocco, mais également du câblage, du fuselage et des voitures », se délecte un membre dirigeant de la Confédération Générale des Entreprises du Maroc.

Aujourd’hui, la communauté internationale des affaires n’a plus de doute. La porte d’accès pour l’Afrique se situe au royaume chérifien. Les investisseurs qui s’installent au pays ou qui en manifestent la volonté lorgnent un marché prometteur : l’Afrique. Le Maroc est devenu en l’espace d’une décennie l’économie la mieux intégrée dans le continent,  et cela grâce au volontarisme politique de la plus haute autorité de l’Etat et à une approche dynamique et proactive des entrepreneurs marocains.

Cela dit, et alors qu’il est censé rendre son tablier en septembre 2016, Moulay Hafid Elalamy sait pertinemment que beaucoup reste à faire. Malgré les bons résultats engrangés et les acquis accumulés, la situation doit être consolidée dans les années qui viennent, notamment au niveau de la formation et surtout de la petite et moyenne entreprise, véritable dynamo de l’économie marocaine. Un autre pari qui a besoin de temps pour être relevé.

Voir l’entretien de Mondafrique avec Moulay Hafid Elalamy : 

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)