La justice met en cause le Hezbollah dans l’explosion du port de Beyrouth

L’enquête sur l’explosion du 4 août 2020 sur le port de Beyrouth pourrait déboucher sur la mise en cause du Hezbollah qui tente de réagir en provoquant des affrontements entre communautés dans les rues de Beyrouth. Résultat, six morts et une trentaine de blessés hier jeudi 14 octobre`

Des violents affrontements ont eu lieu à Beyrouth le jeudi 16 octobre entre chiites et chrétiens

L’obstination effrénée du Hezbollah à vouloir torpiller par tous les moyens l’enquête sur la double explosion apocalyptique au port de Beyrouth, le 4 août 2020, a débouché jeudi 14 octobre sur un grave et sanglant dérapage sécuritaire à Beyrouth. Les Libanais ont revécu en effet l’espace d’une matinée, et jusqu’en début d’après-midi, le cauchemar des accrochages le long de l’une des anciennes lignes de démarcation qui s’embrasait régulièrement lors des pires jours de la guerre libanaise entre les secteurs chrétiens de la capitale et les quartiers d’en face contrôlés par des milices musulmanes. Cette brusque flambée de violence s’est soldée par un lourd bilan : six tués et une trentaine de blessés. En fin de journée, jeudi, une vive tension persistait encore dans plusieurs secteurs du Grand Beyrouth, en dépit de l’arrêt des tirs en début d’après-midi.

Un juge sur la sellette

La détérioration de la situation est la conséquence directe du climat particulièrement tendu provoqué par les menaces directes, et publiques, lancées par les dirigeants du Hezbollah contre le juge d’instruction Tarek Bitar, en charge de l’enquête sur l’explosion du 4 août. Le parti pro-iranien et la seconde composante chiite libanaise, le mouvement Amal du président de la Chambre Nabih Berry, ont tenté ces dernières semaines d’imposer la révocation de Bitar, l’accusant de « politiser l’enquête » et de vouloir incriminer le Hezbollah.

A la lumière de ses investigations, le juge d’instruction a engagé des poursuites contre plusieurs députés et anciens ministres, dont l’ancien chef de gouvernement Hassan Diab et deux députés d’Amal, accusés de « négligence et de collusion » pour n’avoir pas adopté les mesures qui s’imposaient afin de neutraliser la cargaison de 2750 tonnes de nitrate d’ammonium qui avaient été entreposées dans des conditions mystérieuses au port de Beyrouth en 2014 et dont une partie substantielle – non moins de 500 tonnes – avait été à l’origine de l’explosion cataclysmique qui avait fait plus de 215 morts et 6000 blessés, ravageant en outre plusieurs vieux quartiers touristiques de la capitale.

Le Hezbollah suspect

Selon des sources de l’opposition hostile à l’emprise iranienne sur le Liban, le juge Bitar aurait abouti dans ses investigations à des conclusions fournissant la preuve d’une responsabilité directe du Hezbollah dans l’explosion du 4 août. D’où la campagne acharnée du parti chiite contre le juge d’instruction et contre l’appareil judiciaire en général, du fait que les différents recours présentés devant les instances judiciaires concernées pour obtenir la révocation de Bitar ont tous été rejetés l’un après l’autre.

Cette campagne a été assortie de menaces directes proférées par le responsable sécuritaire du Hezbollah contre le juge d’instruction et par le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah contre Bitar et les juges en général, réclamant le remplacement de Bitar pour « rectifier le tir » dans l’enquête en question. Ce qui a fait dire à l’ancien ministre de la Justice et ancien patron des forces de police, le général Achraf Rifi, que « dans aucun pays au monde on a vu des personnes faisant l’objet de poursuites judiciaires vouloir imposer le choix du juge d’instruction en charge de l’enquête » qui les concerne.

Najib Mekati, le Premier ministre libanais , appartient à la communauté sunnite

Tension au sein du gouvernement  

Face à la menace judiciaire qui planait sur lui, le Hezbollah a tenté mardi 12 octobre d’obtenir du Conseil des ministres une décision révoquant le juge d’instruction. Cette manœuvre s’est toutefois heurtée à l’opposition du président de la République Michel Aoun et du chef du gouvernement Nagib Mikati, ce qui a amené un ministre relevant du Hezbollah à adopter une attitude menaçante, provoquant l’ire du président de la République qui a souligné que cette attitude constituait une menace à peine voilée et qu’il ne pouvait accepter une telle menace.

Ne pouvant ainsi amener le Conseil des ministres à révoquer le juge Bitar, le Hezbollah et son allié Amal ont appelé leurs partisans à descendre dans la rue jeudi, 14 octobre, et à se rassembler devant le Palais de Justice afin de réclamer la révocation du juge d’instruction. C’est cet appel à descendre dans la rue qui a provoqué un effet boule de neige et qui a entraîné une montée brusque de la tension dont l’aboutissement a été le dérapage sécuritaire de jeudi matin. Mercredi soir, en effet, le leader du parti chrétien des Forces libanaises, Samir Geagea, devait faire une déclaration musclée, appelant les « le peuple libanais libre, les Libanais de toutes les sensibilités et de toutes les régions à se tenir prêts, si l’autre camp (le Hezbollah) persistait dans son attitude visant à imposer son diktat » par la force et l’intimidation. M. Geagea a souligné dans ce cadre qu’il n’était plus acceptable de continuer à adopter une attitude passive face à l’arrogance du Hezbollah et à sa propension à imposer son diktat à toutes les parties.

Le chef d’un autre parti chrétien, les Kataëb, Samy Gemayel devait aller dans le même sens, mettant en garde contre le recours à la rue qui risquerait de provoquer une réaction de la rue opposée. C’est effectivement ce qui devait se produire jeudi matin.

Répondant à l’appel du Hezbollah et du mouvement Amal, des partisans en armes des deux formations chiites ont fait irruption en milieu de matinée aux abords des quartiers chrétiens de Furn el-Chebbak et de Aïn Remmané aux cris de « chiites, chiites », saccageant des voitures et des propriétés privées. Des tirs nourris d’armes automatiques ont été entendus et des tireurs postés sur les toits de certains d’immeubles ont ouvert le feu, faisant plusieurs victimes. Les forces de police devaient appréhender l’un de ces francs-tireurs qui s’est avéré être de nationalité syrienne. Le bilan de ce dérapage s’est élevé à 6 tués et une trentaine de blessés.

Accusations croisées

En fin de journée, le Hezbollah a accusé les Forces libanaises d’être à l’origine des tirs, tandis que les internautes se réclamant de l’opposition postaient sur les réseaux sociaux plusieurs vidéos montrant de nombreux miliciens chiites diriger leurs tirs contre le quartier chrétien de Aïn Remmané. Parallèlement, les milieux de l’opposition affirment que les accusations du Hezbollah contre les Forces libanaises constituent une manœuvre dilatoire de la part du parti pro-iranien visant à « effectuer une diversion pour détourner l’attention du crime du 4 août et de l’attitude belliqueuse » de la formation chiite.

Dans les mêmes milieux on met en garde contre toute tentative du Hezbollah d’exploiter les événements de jeudi matin dans le but de lancer une campagne fiévreuse, voire une guerre à outrance, contre les Forces libanaises afin de saper leur influence politique et populaire.

Jeudi en début de soirée, un calme tendu régnait à Beyrouth, mais la tension laissait prévoir une recrudescence des polémiques  dont le résultat risque d’être, précisément, de détourner l’attention de l’enquête sur l’explosion du port et de la ligne de conduite politico-sécuritaire, de plus en plus belliqueuse, adoptée par le Hezbollah.

Deux heures d’électricité quotidienne pour les Libanais