Ile Maurice, la lente agonie du jardin de Pamplemousses

Le plus vieux jardin botanique de l’hémisphère Sud situé près de la commune de Pamplemousses à l’ile Maurice vit sans doute ses dernières heures. Le manque d’entretien se greffe à la décision du gouvernement d’y placer les deux « tombes » des deux anciens premiers ministres qui, dans les années qui ont suivi l’Indépendance en 1968, se sont succédés à la tète du gouvernement avant que leurs propres fils soient désignés par le suffrage universel dans une sorte de népotisme inédit.

Vel MOONIEN

Pierre Poivre, ancêtre du journaliste PPDA, a créé le jardin de Pamplemousses au début du XVIII eme siècle

Au cœur du jardin botanique de Pamplemousses qui date de 1729, le buste de son fondateur, Pierre Poivre, a bien mauvaise mine. Quatre filets de vert-de-gris barrent tout le côté droit de son visage, complémentant le triste spectacle. C’est le célèbre botaniste français qui a façonné l’ancien Jardin du Roy, au temps où l’île Maurice, colonie française, était encore l’Isle de France .

Le bassin central, cet écrin où hélas des algues attaquent les magnifiques nénuphars géants, symbolise la décrépitude de ce magnifique parc

 

Le bassin des nénuphars, du temps de sa splendeur

L’ancêtre du journaliste français Patrick Poivre d’Arvor a acclimaté des plants d’épices tels que le giroflier et le muscadier. Obtenus clandestinement, ils devaient être propagés aux Antilles et à Madagascar pour le compte de la Compagnie des Indes orientales. Voilà comment ce site de 33 hectares, présenté comme le plus vieux jardin botanique de l’hémisphère Sud, a gagné une formidable notoriété.

Deux décennies de déclin

La visite du Parc ne vaut pas 200 roupies, près 4,5 euros, réclamées au touriste. Sa beauté, vantée par les brochures touristiques, appartient au passé lorsqu’on contemple cette pièce d’eau, asséchée, qui est laissée à l’abandon.

Cela fait deux décennies au moins que le jardin a entamé une lente agonie. Branches cassées et feuilles mortes constellent les allées qui ne paient pas de mine.

Certaines sont bordées par des palmiers recouverts de chancre et qui ne demandent qu’à être abattus. La décrépitude des lieux se mesure par l’état des arbres mis en terre par d’illustres personnalités qui ont défilé sur place. Signalés par ce qui apparaît comme des pierres tombales, quelques-uns tiennent encore le coup, le tronc recouvert d’une masse blanchâtre ou verdâtre, au choix.

Ces palmiers recouverts de chancre devraient être abattus

On y retrouve les arbres plantés par Nelson Mandela, François Mitterrand, lndira Gandhi, Rajiv Gandhi et Robert Mugabe lors d’une visite d’Etat entre 1970 et 1998. Les princesses Margaret et Anne, sœur et fille de la reine Elizabeth II, ont eu moins de chance. Les arbres qu’elles ont mis en terre lors d’une visite officielle en 1956 et 1998 n’ont pas survécu. C’est aussi le cas, entre autres, pour celui d’Alain Marsaud et de Christophe Fracas, député et sénateur des Français de l’étranger, de passage en 2015, et trois anciens présidents de l’Inde. Un sac poubelle est dissimulé dans de faux oiseaux du paradis (heliconias) à l’emplacement de ce qui devait être arbre de Nando Bodha, l’ex-chef de la diplomatie mauricienne qui a rejoint l’opposition.

Le monument funéraire en hommage au père de la constitution mauricienne

Le jardin transformé en nécropole

C’est dans ce périmètre que s’élèvent deux  monuments funéraires, en hommage l’un à Sir Seewoosagur Ramgoolam, « le Père de la Nation », et l’autre à Sir Anerood Jugnauth, « le Père du Développement économique ». Ces deux figures politiques furent les premier et second Premiers ministres de l’île Maurice indépendante. Alors que le Jardin botanique de Pamplemousses qui fut rebaptisé « le Jardin botanique Sir Seewoosagur Ramgoolam » en 1988, n’a toujours pas intégré le patrimoine national, Pravind Jugnauth, le fils de Sir Anerood Jugnauth et actuel chef du gouvernement, vient de transformer le site en nécropole.

« Le jardin est subitement devenu le cimetière des dirigeants politiques, » lâche avec dépit un membre de la Société royale d’histoire naturelle de l’île Maurice. Il y voit là, la volonté des gouvernants d’effacer toute trace de la colonisation française et britannique. « Tout ce qui date d’avant la période de l’indépendance n’a plus aucune importance. Un monument dans le village natal de Sir Seewoosagur Ramgoolam n’aurait pas été inopportun, d’autant que son fils, Navin, qui était Premier ministre il y a quelques années, a rebaptisé l’endroit. Ils auraient pu choisir un autre endroit en phase avec ce qu’il a accompli, » poursuit-il sous le couvert de l’anonymat, par crainte d’être taxé de raciste au vu de ses origines européennes.

Le nouveau monument en mémoire de Sir Anerood Jugnauth

Le clan Jugnauth a décidé de rapprocher le monument dédié à Sir Anerood Jugnauth plus près du château de « Mon Plaisir, » l’ancienne demeure du gouverneur français Mahé de La Bourdonnais. Personnage incontournable de l’histoire de Maurice, il a transformé l’Isle de France en une colonie prospère et jeté les bases de Port-Louis, la capitale. Ayant été l’un des premiers propriétaires du jardin, il a invité Pierre Poivre dans l’île après qu’il l’eût croisé à l’issue d’une campagne à Madras. « Clairement, ce choix vise à démontrer que Sir Anerood Jugnauth est plus puissant que Mahé de La Bourdonnais et Sir Seewoosagur Ramgoolam réunis. Esthétiquement, ça gâche la beauté des lieux, » analyse cet amoureux du patrimoine.

Grand rivaux devant l’éternel, Sir Seewoosagur Ramgoolam et Sir Anerood Jugnauth ont tous deux étaient des « self-made man » qui ont connu la misère, contrairement à leurs fils nés avec une cuillère d’argent dans la bouche. Le premier a rendu l’âme en 1985, alors que le second a passé l’arme à gauche l’an dernier. Comme le veut la tradition hindoue, ils ont été incinérés.

« Une bande d’incultes » 

Nul n’arrive toutefois à expliquer la présence de leurs « tombes » à Pamplemousses, les deux n’ayant jamais été des férus de botanique. Le premier, médecin de formation, était un épicurien, alors que le second, qui a fait carrière comme enseignant, avocat et magistrat, collectionnait les propriétés immobilières. « Les gouvernants agissent sans vision, » peste l’artiste Pierre Argo qui a siégé au sein du conseil d’administration du trust gérant le jardin.

« Nous sommes face à une bande d’incultes ». Le botaniste et paysagiste français Gilles Clément avait recommandé que la tombe de Sir Seewoosagur Ramgoolam soit déplacée. Nous n’avions pas compris à ce moment-là pourquoi les Jugnauth rechignaient à aller de l’avant avec cette idée. Ils pensaient déjà à une place pour le vieil homme, » s’indigne Pierre Argo. Là aussi, le travail pour le monument de Sir Anerood Jugnauth a été bâclé. Les arbres qui le bordent ont été bétonnés. Des matériaux du chantier jonchent toujours le sol. A coté, un bassin à l’abandon exhale une odeur putride et constitue un danger avec la dengue qui sévit en été.

Un second mémorial dédié à Sir Seewoosagur Ramgoolam est aussi une tache grossière dans ce jardin botanique. L’organisation non-gouvernementale SOS Patrimoine en péril peine à comprendre les raisons du classement de ces monuments funéraires. Elle attend toujours que l’hôtel du gouvernement daigne prendre en compte sa suggestion que l’hippodrome du Champ de Mars, vieux de 210 ans, ainsi que la cathédrale Saint-Louis, à un moment où l’Eglise catholique fête ses 300 ans de présence dans l’île, obtiennent leur inscription à cette liste.

Il existe un autre monument en mémoire de Stanley Alexander de Smith, un commissaire constitutionnel britannique qui est considéré comme le père de la Constitution mauricienne. Hormis les feuilles mortes qui s’accumulent autour, du fil d’araignée est visible dans un angle du bassin qui le borde. Le carrelage craque sous nos pas. Il n’y a rien qui inspire à la découverte ou à l’hommage. Nous avons fait un même constat il y a exactement 10 ans. A l’époque, la présence d’algues dans le bassin des nénuphars s’expliquait par la décision des responsables du trust gérant le jardin d’y placer des poissons-chats et d’introduire des escargots d’Amérique du Sud au jardin qui ont dévoré les plantes aquatiques.

La splendeur passée

Des canards avaient été introduits par la direction du jardin mise sur pied par Navin Ramgoolam en 2000. Des politiques ont été placés à la direction des Pamplemousses alors qu’aucun botaniste ne fait plus partie de l’équipe. En 2012, l’expert belge Hari Verlaet, évoquait le risque d’une invasion de termites sur les arbres. Le redoutable talipot voit sa floraison intervenir tous les trente cinq ans. Face à l’inertie des autorités mauriciennes, Hari Verlaet avait fini par créer une page Facebook Mauritian botanical garden – Care afin de sauver le site.

La presse mauricienne qui revient chaque année sur l’état de délabrement du jardin. Ultime espoir, un ancien Conservateur du département des Bois et Forêts, a été nommé à la tête du conseil de Pamplemousses. Aussi diplômé en zoologie, ce botaniste sera-t-il l’homme providentiel pour que le jardin retrouve sa beauté perdue? Espérons le !

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