Un monde multipolaire (IV), Xi Jinping à Moscou, MBS à Pékin !

Le dîner d’État d’Emmanuel Macron avec Charles III et la reine consort Camilla aura lieu en fin de semaine au château de Versailles, le temps de repasser les lacets de sa Majesté[i] et de fourbir les armes des gardes-françaises – un bien mauvais présage. C’est en Russie et en Chine où on parle désormais des choses sérieuses.

Une chronique de Xavier Houzel

Le nouveau timonier, Xi Jinping – dont l’empire du milieu atteint de « nouvelles frontières » – est à Moscou. Sa visite d’État a été préparée par Sergueï Lavrov, le ministre russe des affaires étrangères, et Wang Yi, conseiller des affaires d’État et directeur du bureau de la Commission centrale des Affaires étrangères du Parti communiste chinois. Les deux puissances devraient conclure des accords d’une importance historique.

« Ensemble » ou « en même temps[ii] » 

Au ministre Lavrov, le conseiller Wang Yi a dit devant la presse: Peu importe la façon dont la situation internationale évolue, la Chine a été et reste engagée, avec la Russie, à faire des efforts pour préserver la tendance positive du développement des relations entre les grandes puissances. Parlant des affaires du monde, il a précisé devant le président russe: « Nous soutenons ensemble la multipolarité et la démocratisation des relations internationales ». Le mot « ensemble » est de connotation féodale, ce qui ne manque pas d’être surprenant au premier regard. Ledit système féodal a fait autant ses preuves ou presque que l’idée de démocratie, amplement galvaudée depuis Démosthène !

La démarche ressemble au double aveu: un seigneur reconnaissant l’autre pour vassal; ce même vassal reconnaissant le premier pour suzerain! Pour le seigneur suprême, Xi Jinping, l’enjeu n’est manifestement ni le Don, ni l’Ukraine, mais la portion de Terre démarquée par Kaliningrad, à l’Ouest et par l’archipel des îles Kiribati, au centre de l’Océan Pacifique, à l’Est. On a vu le pendant de cet univers homogène avec l’imperium hégémonique américain (ONU-OTAN-FMI).

Pourquoi la multipolarité, dès lors ? Parce qu’on a oublié l’Inde, les pays non alignés d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine..

Xi Jinnping, faiseur de paix

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Le dirigeant chinois avait convoqué secrètement à Pékin les représentants du royaume d’Arabie saoudite et de la République Islamique d’Iran, deux nouveaux inféodés (plus ou moins spontanés) envers lesquels il n’a pas été avare de bénéfices. Il est vrai que les deux voisins abondent la Chine de Pétrole, en lui évitant de dépendre de Moscou. À la surprise générale, ils ont annoncé le reprise de leurs relations diplomatiques.

Séoudiens et Iraniens ont décidé de se parler, comme l’explique justement l’ancien ambassadeur Denis Bauchard : Cela confirme l’évolution d’un certain nombre de pays du Sud global, de leur volonté, accélérée par la guerre en Ukraine, de développer des politique autonome dans le cadre d’un multi-alignement conforme à leurs intérêts. On rappellera qu’aucun pays du Moyen-Orient, y compris Israël, n’applique les sanctions décidées par les Etats-Unis comme par l’Union européenne. Cet accord sonne aussi comme un avertissement pour les pays occidentaux mais aussi pour la Russie : ils doivent compter dorénavant avec le nouvel acteur de poids qu’est la Chine de Xi- Jinping sur la scène moyen-orientale.

 Bachar al-Assad à Moscou

Pour ne pas être en reste, Vladimir Poutine a fait venir chez lui (le 15 mars) le président Bachar al-Assad. Cette visite avait pour but de réconcilier la Turquie et la Syrie et d’affirmer ainsi le poids diplomatique de Moscou en dépit de son isolement à cause de l’Ukraine. Poutine a comblé de cadeaux (du blé[iii] pour les affamés et des armes pour les belliqueux) les satrapes de la région en faisant recevoir leurs représentants – en observant le décorum et pour faire nombre[iv] – avec leurs oriflammes, bannières et kimonos.

En étant les fidèles de beaucoup, ces feudataires de circonstance (Perses et Arabes) peuvent, certes, espérer n’être en réalité les vassaux de personne. Il n’empêche qu’ils sont là, qu’ils ont choisi leur camp et qu’ils le clament. Une des conséquences de leur rapprochement et de la cohésion de leurs mouvements est que la monnaie chinoise devient dominante en Eurasie du Nord, que le système financier global de la région est balkanisé et que les conséquences qui en résulteront sont imprévisibles.

La manifestation de puissance (de force et d’unité) que représentent les travaux préparatoires de cette rencontre au sommet impressionne. De même que, pour Pékin, le fait d’avoir obtenu la réouverture de relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite[v] est une preuve de poids diplomatique, le fait d’orchestrer une réconciliation entre la Turquie et la Syrie, brouillées depuis 2011, est, pour le Kremlin, une claire manifestation de son influence régionale.

Une piqure de rappel

Il s’agit de faire une piqure de rappel à l’équipe du président Biden ! La raison accessoire mais néanmoins cruciale de la rencontre est la crise ukrainienne. Les racines du conflit[vi] feront couler beaucoup d’encre, mais ce qui importe est d’y mettre fin.

Quelques semaines avant le sommet, la Chine avait proposé un plan en 12 points pour la paix en Ukraine. La question est maintenant de savoir si ce plan est réaliste[vii]. Comment discuter avec un régime accusé de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et peut-être un jour de génocide, sachant, en plus, que le président Poutine est déjà mis en examen, justement pour crime de guerre – ce qui tend à faire croire que les occidentaux ne veulent pas négocier de Paix ?

La Chine sera-t-elle en mesure de faire signer un armistice par la Russie avec l’Ukraine, après la conclusion à Moscou d’accords dont on ne connaît pas encore le contenu ? Ne risque-t-elle pas devenir juge et partie ? Sera-t-elle-même en position de contraindre la Russie à faire quoi que ce soit (en dépit d’une « amitié sans limite ») ?  Oui, si ses dirigeants  craignent que la crise ne s’aggrave et qu’elle ne devienne incontrôlable.

Depuis le début du conflit, les présidents Xi Jinping  et Volodymyr Zelensky ne se sont pas parlé. Or, selon le Wall Street Journal, une conversation pourrait avoir lieu après le sommet. Le premier sera-t-il en mesure de convaincre le second ? Oui, si l’Ukraine se mettait à craindre que la Chine ne finance et qu’elle n’arme la Russie, ce qui serait une autre paire de manches, dans le cadre d’un autre scénario.

XH

[i] https://www.ladepeche.fr/2023/03/08/visite-de-charles-iii-en-france-il-va-venir-avec-40-domestiques-11045853.php

[ii] Utilisé en politique par le philosophe Paul Ricœur

[iii] https://www.20minutes.fr/monde/ukraine/4028486-20230318-guerre-ukraine-direct-turquie-espere-prolongation-accord-cereales?xtor=EREC-182-[actualite]

[iv] Le vice-ministre turc des Affaires étrangères, Burak Akcapar, le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Mikhail Bogdanov, leur homologue syrien, Ayman Susan, et Ali Asghar Khaji, conseiller principal du ministre iranien des Affaires étrangères, ont participé à la réunion préparatoire du 16 mars. La Russie compte 141 millions d’habitants sans la Crimée ; elle a perdu 7,5 millions d’habitants depuis 1992.

[v] https://www.zonebourse.com/actualite-bourse/Explicatif-La-Chine-peut-elle-negocier-la-paix-entre-la-Russie-et-l-Ukraine—43257826/?utm_medium=RSS&utm_content=20230316

[vi] https://blogazoi.com/ukraine-les-racines-du-conflit-un-nouvel-ordre-mondial-par-eugene-berg-ambassadeur-e-r/

[vii] https://www.zonebourse.com/actualite-bourse/Explicatif-La-Chine-peut-elle-negocier-la-paix-entre-la-Russie-et-l-Ukraine—43257826/?utm_medium=RSS&utm_content=20230316

Un incroyable retournement diplomatique entre l’Iran et l’Arabie Saoudite