Notre enquête sur les 49 militaires ivoiriens incarcérés à Bamako

Presque deux mois se sont écoulés depuis l’arrestation de 49 militaires ivoiriens à l’aéroport de Bamako. Les soldats dorment toujours en prison et les tentatives de médiation ont échoué. Mondafrique revient sur cette possible affaire d’Etat si la « tentative de déstabilisation par un pays tiers », selon la terminologie ses autorités maliennes, est démontrée. Ce qui n’est pas le cas pour l’instant, même si les réponses des Ivoiriens restent pour la plupart confuses et embarrassées. 

S’exprimant en privé sur la célèbre affaire Clearstream, qui a défrayé la chronique pendant toute la première décennie du 21ème siècle, Jacques Chirac avait lancé avec la gouaille qui le caractérisait : « C’est une histoire de cornecul » ! Le président français avait raison et tort, c’était à la fois une affaire de pieds-nickelés et une affaire d’Etat. A ce titre, l’histoire des 49 militaires ivoiriens est du même ordre, d’où l’embrouillamini.

Pour comprendre, il est nécessaire d’en revenir à la chronologie.

Un avion de trop

Le 10 juillet, 49 militaires ivoiriens arrivent à l’aéroport de Bamako, ces hommes sont censés faire partie des « NSE » c’est-à-dire des éléments nationaux qui viennent en soutien des contingents de l’opération des Nations Unies au Mali, la MINUSMA. Ils auraient dû être 50, mais selon nos informations, un de ces soldats a eu un accident de voiture entre son domicile et l’aéroport d’Abidjan, il n’a donc pas pu embarquer.

Leur vol privé a été assuré par l’entreprise de droit malien, appartenant à un Hollandais, Sahel Aviation Service. Dans leur sillage, un autre avion de la même compagnie les suit, il est affrété avec des armes lourdes. Cette affirmation a été faite par le ministre des Affaires étrangères malien, Abdoulaye Diop, à la tribune des Nations Unies, et elle n’a pas été démentie.

Cette information est le point central de l’affaire et ceci pour plusieurs raisons.

  1. D’une part, cela contrevient aux règles en vigueur aux Nations Unies. Les armes d’un contingent n’arrivent jamais en même temps que celui-ci. Selon les procédures, les équipements létaux arrivent au moins 48 heures avant, ils sont inspectés, répertoriés etc.
  2. D’autre part, les NSE viennent en soutien d’un contingent, ils ne combattent pas, ils n’ont donc pas besoin d’armes lourdes.
  3. Enfin, selon les autorités ivoiriennes, ces militaires prenaient la relève des précédents éléments nationaux, tout le matériel est déjà donc sur place, seule leur arme personnelle de petit calibre est nécessaire. 

Une confusion savamment entretenue

Les autorités ivoiriennes ne se sont jamais expliquées sur la présence de ce deuxième avion. Le pouvoir à Abidjan s’est en revanche, longuement exprimé sur le fait que ces 49 militaires ivoiriens venaient dans le cadre des missions des Nations Unies. 

En 2019, Abidjan a bien accepté de venir en soutien du contingent allemand de la Minusma via l’entreprise Sahel Aviation Service prestataire de service. Les Ivoiriens étaient chargés de sécuriser le site de cette entreprise qui travaille pour le compte de Berlin. Ce qui a permis à la Côte d’Ivoire d’annoncer que ces soldats venaient dans ce cadre. Sauf que, ce contrat n’a jamais été formalisé auprès des Nations Unies. Est-ce pur oubli ou des combines à la petite semaine ? Cet accord a été passé alors qu’IBK était au pouvoir et feu le puissant Hamed Bakayoko ministre de la Défense de Côte d’Ivoire.

Une source militaire ivoirienne envisage  l’hypothèse d’un détournement de fonds: « Ces contrats sont généralement très bien payés, les militaires eux, le sont beaucoup moins, où va la différence ? »  Une affaire que bien évidemment, le ministère de la Défense ivoirien, Téné Birahima Ouattara, frère du Président et successeur d’Hamed Bakayoko, qui vient de recevoir le prix national d’excellence de la bonne gouvernance ne peut ni ne veut exposer sur la place publique…

Les maladresses d’Alassane Ouattara 

Dès le 10 juillet, jour où les militaires ivoiriens se sont fait arrêter à l’aéroport de Bamako, Abidjan s’est pris les pieds dans le tapis. Alors les autorités maliennes demandaient à leurs homologues ivoiriennes des explications sur l’arrivée des soldats et des armes lourdes qui les accompagnaient, le ministre de la Défense et le chef d’Etat-major des armées d’Alassane Ouattara ont été aux abonnés absents pendant 48 heures. C’est ce silence qui a immédiatement conforté les inquiétudes de la junte quant à une tentative de déstabilisation.

Lorsqu’ils se sont enfin décidés à parler, ils ont commis des impairs en assurant que leurs militaires venaient dans un cadre légal avec la Minusma pour une sous-traitance d’un contrat avec le contingent allemand. Ce qui n’était pas le cas, ils ont donc été immédiatement démentis par les Nations Unies et par l’Allemagne.

Des négociations dans l’impasse

Il ne restait donc plus que les négociations entre les gouvernements d’Alassane Ouattara et d’Assimi Goïta pour espérer obtenir la libération des 49 ivoiriens. Le premier round a eu lieu le 28 juillet à Lomé avec comme médiateur le président Faure Gnassingbé. Ladite médiation a vite tourné au fiasco. Bamako demandant des excuses et l’extradition de Karim Keïta, fils de feu Ibrahim Boubacar Keïta, en exil en Côte d’Ivoire depuis le coup d’Etat d’août 2020, des requêtes jugées inacceptables par Abidjan.

En réponse à cette fin de non-recevoir, la junte a donc, le 12 août, placé sous mandat de dépôt « les 49 » et les a inculpés de : « crimes d’association de malfaiteurs, d’attentat et complot contre le gouvernement, d’atteinte à la sûreté extérieure de l’État, de détention, port et transport d’armes de guerre et de complicité de ces crimes ». Rien de moins… 

Puis c’est Macky Sall, le président en exercice de l’Union africaine qui s’est déplacé jusqu’à Bamako le 15 août pour tenter de trouver une issue à la crise et permettre aux « 49 » de rentrer chez eux. Apparemment la mission était impossible puisque 17 jours plus tard les militaires sont toujours incarcérés par la junte .« Le Mali a libéré les trois femmes du contingent de 49 militaires ivoiriens ». C’est la diplomatie malienne qui vient, ce samedi 3 septembre, d’annoncer la bonne nouvelle. La libération se fait « à titre humanitaire » spécifie toutefois Bamako, sans préciser la condition des soldates libérées.

Abidjan actionne tous les leviers

Devant l’échec des négociations et l’intransigeance des autorités maliennes, Alassane Ouattara, qui ne veut pas perdre la face vis-à-vis de sa population multiplie les démarches. Il a notamment fait intervenir les maliens résidant en Côte d’Ivoire. Le 23 août dernier, une délégation de 32 membres, composée de représentants de la société civile et de chef religieux s’est rendue auprès du Chérif Haïdara, actuel Président du Haut conseil islamique. Les partis politiques proches du RHDP tentent aussi de monter au créneau en demandant la libération des militaires.
Devant toutes ces démarches infructueuses, le 31 août, le chef d’Etat-major, Lassina Doumbia a remis 500 000 francs CFA à chaque famille de détenu pour calmer la grogne qui montait. Il a tenu également à les rassurer en déclarant : « La procédure judiciaire contre nos 49 militaires détenus au Mali n’a aucune conséquence sur les négociations qui se poursuivent. ».
Sans aucun doute, ce feuilleton aura une fin. Mais au préjudice de quel des deux pays impliqués?