Le gazoduc Nigeria Maroc, un pari à 25 milliards de dollars

Le gazoduc en est déjà à la phase II de l’étude d’avant-projet détaillé. Plusieurs mémorandums d’entente ont été signés ces derniers mois avec des pays africains.

Le gazoduc Nigeria-Maroc, qui va coûter plus de 25 milliards de dollars, va relier, tout au long de la façade atlantique de l’Afrique de l’Ouest, les champs gaziers du 1er producteur continental du pétrole, au Royaume. Il a été officiellement lancé au cours de la visite officielle du Roi Mohammed VI en 2016 à Abuja; et un accord y afférent avait été signé le 10 juin 2018. Ce projet titanesque, d’une longueur d’environ 5.700 km, sera construit en plusieurs phases et devra transiter par une dizaine de pays et régions en longeant leur littoral : Côte d’Ivoire, Liberia, Sierra Leone, Guinée, Guinée-Bissau, Gambie, Sénégal, Mauritanie et Maroc, avant d’atteindre l’Espagne.

Il s’agit du «plus grand projet d’infrastructure d’Afrique». «Ce gazoduc Maroc-Nigeria favorisera l’intégration africaine, contribuera à la stabilité, au développement économique et à la création d’emplois. Ce n’est donc pas seulement un projet d’infrastructures, mais un axe structurant économiquement pour toute l’Afrique de l’Ouest», s’est félicité le ministre des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger, Nasser Bourita à l’issue de la signature, en 2016, d’un protocole d’accord relatif au projet. Ce projet ambitieux est le reflet de la volonté du souverain d’asseoir durablement l’intégration régionale et une coopération Sud-Sud solide, mutuellement avantageuse et au bénéfice exclusif des populations du continent africain. Il bénéficiera à toute l’Afrique de l’Ouest, contribuera à structurer un marché régional de l’électricité et constituera une source substantielle d’énergie au service du développement industriel, de l’amélioration de la compétitivité économique et de l’accélération du développement social. Ce projet est appelé à être un modèle d’intégration régionale qui changera la face de l’Atlantique et cette Afrique Atlantique.

Un projet qui prend forme… et qui coûte

La dimension importante de ce projet a poussé certains esprits critiques à émettre des réserves sur sa faisabilité dès qu’il a été annoncé. Pourtant, le gazoduc NigeriaMaroc est loin d’être une vue de l’esprit. Le projet avance. L’étude de faisabilité menée par l’Office national des hydrocarbures et des mines du Maroc (ONHYM) et la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC) a été bouclée en 2018. Il a été ensuite décidé de procéder à l’étude FEED (Front-End Engineering design) principale, et ce en deux étapes : la pré-FEED et la main FEED. Selon les informations livrées par la Directrice générale de l’ONHYM, Amina Benkhadra, en juillet 2022, «la Pré-FEED a été achevée en 2019 et elle a permis d’assurer les grands éléments de la rentabilité du projet; et nous sommes depuis le mois de mai 2021 sur l’étude d’ingénierie détaillée, qui permet de préparer tous les dossiers et tous les aspects techniques, mais aussi managériaux, financiers, légaux et commerciaux pour aller à la décision finale d’investissement». De son côté, le PDG de la Compagnie pétrolière nationale nigériane (NNPCL), Maalam Mele Kyari, qui s’exprimait en avril dernier à Abuja, a déclaré que le gazoduc en est déjà à la phase II de l’étude d’avantprojet détaillé, et qu’il fait l’objet d’une évaluation de l’impact environnemental et d’enquêtes sur les droits de passage. Rappelons que la NNPCL va investir 12,5 milliards de dollars pour obtenir une participation de 50% dans le projet. Elle finance conjointement le gazoduc à parts égales avec l’ONHYM. Par ailleurs, plusieurs mémorandums d’entente ont été signés ces derniers mois. Parmi eux, il y a celui signé entre la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le Nigeria et le Maroc. Deux autres ont été signés respectivement entre le Maroc, le Nigeria et la Mauritanie, d’une part, et le Maroc, le Nigeria et le Sénégal, d’autre part.

Cinq autres mémorandums d’entente tripartites ont été conclus respectivement et successivement entre le Maroc et le Nigeria, d’une part, et la Gambie, la Guinée Bissau, la Guinée, la Sierra Leone et le Ghana, d’autre part. De même, le 16 juin 2023, Amina Benkhadra et Maalam Mele Kyari ont procédé à la signature de mémorandums d’entente (MoU) avec la Guinée, la Côte d’Ivoire, le Liberia et le Bénin dans le cadre de la réalisation du gazoduc. «Ce projet d’envergure continental va permettre d’accélérer l’électrification d’un certain nombre de pays de la côte ouest africaine, favoriser le développement industriel et agricole de la région, qui a de grandes richesses naturelles et qui pourrait être développée de manière plus rapide grâce à l’accès à une énergie à bas coût, assurer une intégration régionale considérable du continent, améliorer la vie de la population, réduire le torchage de gaz et développer l’exportation du gaz vers l’Europe», se félicite Benkhadra. Il va impacter 440 millions de personnes dans la région (treize pays atlantiques et trois pays enclavés). Il va aussi permettre de connecter 5.400 milliards de mètres cubes de gaz et intégrer les économies de pays avec un PIB cumulé de 670 billions de dollars. C’est la raison pour laquelle le «Gazoduc Nigéria-Maroc représente (…) plus qu’un projet bilatéral entre deux pays frères», a estimé le Roi Mohammed VI dans son discours du 6 novembre 2022, à l’occasion de la commémoration de la Marche verte.

«En effet, outre le Maroc et la Mauritanie, ce gazoduc offre aux quinze pays de la CEDEAO des opportunités et des garanties en matière de sécurité énergétique et de développement socioéconomique et industriel. Destiné aux générations présentes et futures, le projet œuvre en faveur de la paix, de l’intégration économique du continent africain et de son développement commun. Eu égard à la dimension continentale du gazoduc Nigéria-Maroc, nous y voyons aussi un projet structurant promettant d’arrimer l’Afrique et l’Europe», ajoute le Souverain. Ce projet est d’autant plus stratégique que la guerre en Ukraine a montré la nécessité pour l’Europe de diversifier ses approvisionnements en gaz : le gazoduc Nigeria-Maroc constitue à cet égard une opportunité pour le bloc européen.

*Source : Finances news (Maroc)

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)