Le nouveau rapport de force entre MBS et Biden

Les diplomates américains clament à qui veut l’entendre qu’un accord de reconnaissance mutuelle entre Israël et l’Arabie Saoudite est en chemin. Mais ce qui transparait surtout est l’incohérence de la diplomatie américaine et le nouveau rapport de forces entre le parrain américain et ses subordonnés locaux.

La presse internationale (L’Orient le jour, Wall Street Journal, Washington Post, Le Figaro, The Guardian….) bruisse d’un accord de reconnaissance économique et diplomatique imminent entre Israël et l’Arabie Saoudite négocié par les Etats Unis.

« Les États-Unis et l’Arabie saoudite se sont mis d’accord sur les grandes lignes d’un accord pour que l’Arabie saoudite reconnaisse Israël » indique le Wall Street Journal. « Biden pousse à l’émergence d’un accord géant au Moyen Orient » affirme le New York Times. « Un plan diplomatique de grande envergure au Moyen Orient » titre The Guardian.

Des obstacles importants

Ces mêmes médias soulignent aussi la difficulté de ces négociations. « D’importantes difficultés subsistent » affirme le South China Morning Post. « Certaines exigences saoudiennes seront difficiles à satisfaire » indique le Financial Times. « Un an sera peut-être nécessaire » signale le WSJ avant que les photographes du monde entier immortalisent la rencontre – hier encore improbable -, de Benjamin Netanyahou, premier ministre d’Israel, Mohamed Ben Salman, prince régnant d’Arabie Saoudite et Joseph Biden, président des Etats Unis se serrant la main sur la même pelouse.

Ce que les médias ne remarquent pas – ou ne veulent pas voir – est surtout l’incohérence de la diplomatie de Joe Biden. A peine élu en janvier 2021, le président de Etats Unis avait mis en pratique sa promesse de traiter le prince héritier saoudien en « paria ». Et la CIA de ressortir le dossier du journaliste et dissident saoudien Jamal Khashoggi, qui affirmait que son assassinat en 2018 était un crime d’Etat saoudien et un crime personnel de MBS.

Benjamin Netanyahou, redevenu Premier ministre d’Israël en novembre 2022, n’a pas été mieux traité que MBS. Joe Biden a refusé de l’inviter à la Maison Blanche, a remis la question palestinienne au centre du jeu, a publiquement fait savoir qu’il s’opposait à la réforme du système judiciaire lancée par la nouvelle coalition israélienne et a laissé plusieurs membres du parti Démocrate affirmer publiquement que les Etats Unis devaient remettre en cause l’aide militaire qu’ils apportent à Israel.

Joe Biden, président « moral »

Joe Biden paraissait résolu à revoir sa relation envers les autocrates du Moyen Orient, qu’ils soient saoudiens ou israéliens. En réalité, préoccupés par leur confrontation avec la Chine, les Etats Unis, trouvaient judicieux de plus se laisser piéger dans les rets d’une région hautement inflammable. Comme l’écrivait déjà en 2020, Martin Indyk, ancien ambassadeur en Israel, dans le Wall Street Journal, le « Moyen Orient ne vaut plus la peine ». L’Amérique demeure sensible à la stabilisation du marché mondial du pétrole, mais elle importe plus de pétrole du Mexique que d’Arabie saoudite et le pétrole de schiste produit aux Etats Unis comble le reste des besoins. 

A la grande surprise des diplomates américaines, Mohamed Ben Salmane s’est alors tourné vers la Chine. Le 10 mars, l’Arabie saoudite, l’Iran et la Chine ont publié une déclaration conjointe annonçant un accord pour reprendre les relations diplomatiques entre Riyad et Téhéran. Après sept ans d’hostilité militaire et diplomatique, les deux puissances rivales du Golfe entreprenaient de résoudre leurs désaccords sous le parrainage de la Chine. Et loin des Etats Unis.

Après avoir été le parrain incontesté du Moyen Orient pendant près d’un siècle, les Etats Unis se retrouvaient soudain marginalisés. O surprise : cette Chine qu’ils pensaient pouvoir mieux combattre en désinvestissant la région, occupait soudain le vide qu’ils laissaient. Pire encore, les alliés de la Chine, la Russie en Syrie et l’Iran dans le Golfe, multipliaient les agressions contre les intérêts américains pour accélérer le retrait des forces américaines.

Entre janvier et juillet 2023, les Etats Unis ont alors découvert que leur confrontation avec la Chine n’était pas une confrontation « asiatique », mais une confrontation planétaire. Laquelle passait obligatoirement par le Moyen Orient.

La tentative américaine de dépoussiérer les Accords d’Abraham en intégrant l’Arabie Saoudite et en organisant un accord de reconnaissance express avec Israël est la conséquence de ce constat : quitter le Moyen Orient c’est s’affaiblir soi-même.

Mais comment reconstruire sa marque au Moyen Orient quand on a perdu la confiance de ses alliés saoudiens et israéliens ? En donnant des garanties ! L’Arabie Saoudite accepterait de reconnaître Israel, d’interdire à la Chine de construire une base militaire sur son territoire, de continuer à utiliser le dollar pour ses transactions pétrolières, de mettre fin à ses relations avec le groupe chinois Huawei si les Etats Unis garantissaient par traité la sécurité du royaume, aidaient ce même royaume à se doter d’une industrie du nucléaire et acceptaient que Ryadh puise à sa guise dans le catalogue d’armes américain. Trois demandes auxquelles les Etats Unis refusaient de répondre trois mois auparavant.

Pire, si l’on en croit l’agence Axios, Benjamin Netanyahou réclame lui aussi un traité qui garantie la sécurité d’Israël en cas d’attaque iranienne.

En d’autres termes, la diplomatie démocrate se retrouve prise au piège de ses incohérences : après avoir laissé l’Iran s’approcher du nucléaire militaire sans intervenir, après avoir pensé qu’ils créaient un équilibre de la terreur entre l’Iran et Israel qui les autorisait à prendre leurs distances, après avoir maltraité leurs alliés traditionnels (Arabie Saoudite et Israel) les voilà plus empêtrés que jamais dans les conflits du Moyen Orient. Et les voilà soumis à l’obligation d’assumer les risques qu’ils ont engendré pour leurs alliés.

Toute la question pour Joe Biden aujourd’hui est de définir le prix qu’il est prêt à payer pour que les Etats Unis demeurent un acteur clé du Moyen Orient. Sa réélection en 2024 en dépend.