La Chine de Xi Jinping, la gagnante du conflit en Ukraine

Joe Biden et Xi Jinping se sont rencontrés à Bali en marge du G20 pour invoquer leurs « lignes rouges » sur toutes les questions brûlantes : la guerre en Ukraine, Taïwan, la Corée du Nord, le réchauffement climatique, la mondialisation … La Chine usera -t-elle de son influence pour conforter les prémisses de négociations avec Poutine? La plupart des chroniqueurs des « grands » medias veulent croire que Xi Jinping ne veut pas être entrainé dans ce qu’ils qualifient de défaite programmée de Poutine. Telle n’est pas la position de Xavier Houzel qui répond, dans un entretien instructif et documenté, aux interrogations de Joelle Hazard, spécialiste du Moyen Orient et ancienne rédactrice en chef de FR3.

La raison pour laquelle le président Xi Jinping ne condamne pas l’opération spéciale militaire russe est qu’il a toutes les raisons de s’en féliciter ! Pas fol le frelon ! dirait Arletty.

Pendant que les Européens s’empêtraient dans leurs sanctions comme des voleurs de poules dans des barbelés, la Chine en a profité pour renforcer ses liens économiques avec la Fédération de Russie. Un double gazoduc a été négocié par Pékin avec Moscou, avec, à la clé, un contrat d’approvisionnement de Gaz dans les conditions les plus avantageuses. Bien que ce fut alors inespéré, c’était la moindre des choses.

Le scénario d’un président Xi Jinping usant de son influence pour favoriser la fin de la guerre en Ukraine est-il pertinent?

Il lui est dorénavant agréable d’être sollicité par ses pairs du G20 pour convaincre son ami russe de ne pas faire usage de l’arme nucléaire. Il s’en était déjà empressé à Samarcande, secondé alors par l’Inde et les anciennes Républiques soviétiques d’Asie Centrale, revenues dans sa sphère d’influence sur la route de la Soie, et il avait fait figure de sage.

L’attention des grands de ce monde s’était alors quelque peu détournée de l’Orient ; le retour progressif dans l’escarcelle chinoise de joyaux comme le Tibet, Hong Kong, Macao et l’Ile de Taïwan avait paru n’être plus qu’une question de temps mais pas un thème de guerre. Qu’ensuite, la Corée du Nord ridiculisât l’Amérique ? La belle affaire, ce n’était pas nouveau ! La Chine – qui respecte les frontières de son désopilant voisin – a beau jeu de dire aujourd’hui qu’elle n’y peut rien. Et voilà, pour couronner le tout, la pauvre Allemagne réduite à se livrer à elle, la corde aux pieds ! Il n’y a pourtant plus grand chose que les Chinois n’aient encore à recopier qu’ils n’aient déjà  – ni machine, ni formule, ni savoir-faire. La Chine s’est vue priver de semi-conducteurs frappés d’embargo, aussi jappe-t-elle au large de Taïwan, qui en abonde la planète et la nargue dans une posture de poupée gigogne, mais elle attendra que le conflit s’étiole ou qu’il s’intensifie en Ukraine, sans bouger.

Il existe une autre raison impérieuse pour laquelle la Chine ne va pas mettre d’huile sur le feu : elle est engagée dans une Longue Marche sempiternellement à refaire ; et elle n’est pas prête. Elle manque de matières premières et de terres rares, qu’elle va chercher en Afrique et jusqu’au Brésil ; 70% de son énergie vient du charbon ; l’eau y est polluée et la terre y est brûlée ; sa pyramide démographique marche sur la tête, car, pendant des années, on y tuait les bébés-filles par une piqure obligatoire ; un nombre effrayant de ses habitants sont atteints de diabète et de cancer (chaque année l’équivalent de la population de Paris en meurt) ; aussi l’ordre du jour est-il à la stabilité, à la paix et au développement économique. Mais de là à peser de tout son poids pour influencer son voisin Russe à l’exception du sujet de la bombe, c’est probablement non… à moins de contreparties très conséquentes.

Le contre-coup le plus durable à prévoir de cette affaire d’Ukraine?

Les Ouïghours sont aux Chinois et aux Mongols, ce que les Oukraïntsi (Ukrainiens) sont aux autres ethnies slaves de l’Europe. Les Russes ont fait une erreur monumentale en donnant à la Chine l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire, en réclamant des terres pour des raisons historiques. Parlons d’Histoire ! La Chine a six mille ans et la Russie n’en a que douze siècles, au mieux : le Tsarat de Russie est une extension de la Grande-principauté de Moscou, issue de la Russie kiévienne, dont l’existence remonte au IXème siècle de notre ère, à l’heure-même où naissait la France, issue de Charlemagne, roi des Francs et empereur d’Occident – en prenant Anne de Kiev pour femme, en 1051, Henri Ier épousait sa cousine !

Le président Poutine oublie qu’à cette époque-là, la Sibérie était entièrement asiatique, pour ne pas dire chinoise, allant de Romanov-sur-Mourmansk jusqu’à Vladivostok, et qu’elle recélait sous la steppe d’énormes richesses. Pourquoi la Chine moderne n’aurait-elle plus droit à quelque quarante mille milliards de mètres cubes de Gaz que la Fédération de Russie s’est récemment appropriés ! On voit que les questions de frontières ne sont pas prêtes d’être résolues. D’autant plus que les Chinois sont un milliard et demi et que les Russes ne sont plus que cent cinquante mille seulement !

Le risque de contagion du coup de force de la Russie sur Taïwan et sur le Moyen-Orient?

Il est toujours possible que des herbes sèches s’enflamment ; mais pas toutes seules. Les Américains ont publié un document de 80 pages intitulé « National Defense Strategy » (NDLR[1]), qui souligne le caractère obsessionnel de leur prévention contre la Chine . Ce n’est pas une preuve d’anti-américanisme primaire que de constater à quel point le Moyen-Orient est chamboulé et l’Europe continentale est divisée. Le dernier phénomène en date après le Brexit concerne la Pologne, qui est nostalgique de l’idée d’un intermarium (NDLR[2]…), quand le maréchal Piłsudski prévoyait de rassembler la Pologne, la Lituanie, la Biélorussie et l’Ukraine pour contrer la Russie ! Quant à l’Ukraine, elle doit se souvenir des Accords de Dayton qui mirent fin à la guerre de Bosnie par une partition de fait, de même que de l’indépendance du Kosovo, imposée par la force à la Serbie.

Le risque d’une contagion à l’Europe de la déflagration militaire d’Ukraine? 

L’Amérique semble, pour sa part, avoir fini sa crise : tous les neuf ans, Minos ordonnait à Athènes d’envoyer quatorze jeunes gens pour être sacrifiés, ce qui vient d’être fait ! Ses systèmes d’armes ont été testés en grandeur nature et en temps réel ; ses stocks de munitions de l’avant-dernière génération ont servi à quelque chose ; son complexe militaro-industriel américain va profiter du budget qu’il en attendait. Les Américains dépensent comme des fous et c’est là que le bât blesse : derrière cette façade et leurs élections à répétition, les États-Unis d’Amérique sont encore plus mal en point que la Chine et la Russie !

Le contexte politico-économique est épouvantable outre-Atlantique. En quelques années, les États-Unis sont passés du plein emploi, de l’indépendance énergétique et de la croissance des salaires des classes moyennes à une crise semblable à celle que la France a traversée en 1981 : mêmes errances, mêmes illusions et mêmes désillusions. Le président Biden a fait accepter par le congrès et l’American Rescue Plan Act of 2021 une relance de 1900 milliards de Dollars non financés par de nouvelles recettes. L’argent a coulé à flot mais le pays ne produit rien de plus qu’auparavant, la demande étant servie par des importations massives. Les chaînes logistiques sont en rupture et les bateaux s’alignent aux larges des côtes californiennes en attendant le déchargement de 500.000 containers dans des ports congestionnés. Les premiers signes d’inflation ont été suivis d’une augmentation record des prix de l’énergie ; l’essence a subi une hausse effrénée de 47 % entre l’installation du président Biden et le début de la guerre en Ukraine, sachant que 28% de la monnaie aujourd’hui en circulation aux États-Unis n’existait pas en janvier 2020. Les prix de l’essence n’ont augmenté que de 11 % supplémentaires depuis lors, aussi est-il est complètement faux de dire que l’opération militaire spéciale de la Russie en Ukraine en serait la seule responsable. Les Américains ne font confiance au président Biden qu’à hauteur de 38% sur l’économie. Si l’ancien président Trump les inquiète, c’est parce qu’ils ont besoin d’être rassurés par un papy.

Le revers des « Trumpistes » au Congrès, le début de la fin de Trump? 

La perception qu’ont les Américains du président Biden est que ce dernier semble parfois détaché de la réalité ; les résultats de mi-mandat sont une relative défaite pour lui mais une complète déroute pour le président Trump. Mais les sondages de sortie des urnes sont un avertissement pour la gauche : le candidat de droite balaiera complètement le président Biden aux prochaines élections, après la profonde récession qui s’annonce.

La chance que conserve Donald Trump d’exister encore sur la scène politique américaine viendra des nombreux problèmes sociétaux auxquels va être confrontée l’Amérique de demain, comme l’augmentation de la criminalité et de l’immigration illégale. Le phénomène sera mondial. Il est donc trop tôt pour condamner un animal politique comme lui, capable de fulgurance, en particulier lorsque c’est avec lui seul que Vladimir Poutine voudra bien parler si les choses allaient en s’envenimant.

Le retrait russe de Kherson, une pause opérationnelle ou un enlisement durable?

L’état-major russe a voulu éviter une victoire à la Pyrrhus Ier, avec des pertes si lourdes qu’elle aurait équivalu à une défaite. La mobilisation et la formation en cours de 400.000 conscrits – et non pas 200.000, comme l’on croit – va permettre à l’armée russe de redéployer ses forces dans l’Oblast du Donetsk devant une troupe quatre fois moins nombreuse que la sienne, et ce sera un autre débat avec des systèmes d’armes plus modernes. S’il le fallait, Moscou pourrait aligner un million de soldats, en faisant passer l’opération spéciale de la veille pour des zakouski  ! C’est pour cela – et pour rien d’autre – que le Renseignement américain s’agite et que les hirondelles virevoltent entre les tours du Kremlin pour partir avant l’hiver. On entend les canons gronder.

Le président russe est tout aussi apte que le président américain à évaluer les enjeux de ce qui se prépare. Aussi ne retirai-je rien de ce que je vous ai répondu lors de notre dernier entretien ! Ce n’est pas « Trump » qui envoie l’économie américaine dans le mur avec pour nous des conséquences incalculables; ce n’est pas lui qui défie bêtement le maître du Kremlin par personne interposée ; et ce n’est pas lui non plus qui perdra les prochaines élections américaines avec fracas. C’est un grand panorama, la fresque des erreurs passées  qu’il faut détricoter, en commençant pas le début et en allant jusqu’à la fin. Si nos dirigeants respectifs veulent être encore là pour le vérifier dans quelques mois, il faut qu’ils s’y attèlent dès maintenant avec lucidité, et avec plus d’humilité.

[1] https://media.defense.gov/2022/Oct/27/2003103845/-1/-1/1/2022-NATIONAL-DEFENSE-STRATEGY-NPR-MDR.PDF

[2] https://charliehebdo.fr/2017/08/societe/quand-la-pologne-se-reve-grande-puissance/

Notre entretien avec Xavier Houzel sur l’Ukraine