Crisis Group : Au Burkina, l’exclusion des anciens du régime Compaoré menace le processus électoral

Publié le 24 juin, un rapport d’International Crisis Group dresse le bilan de la transition burkinabè à quatre mois des présidentielles et des législatives du 11 octobre. Il pointe notamment les risques d’instabilité liés à la question du code électoral qui exclut de la compétition électorale les anciens du régime de Blaise Compaoré. 

Dans un rapport paru le 24 juin, « Burkina Faso : cap sur octobre », le think tank International Crisis Group fait le point sur la transition démocratique au Burkina Faso quatre mois avant les élections présidentielles. Un an après l’insurrection populaire d’octobre et novembre 2014 qui a provoqué la chute de l’ex président Blaise Compaoré, plusieurs points de crispation sont susceptibles de créer de l’instabilité dans le pays et d’entraver le bon déroulement du scrutin.

« Le venin de l’exclusion »

Controversé, le nouveau code électoral qui rend inéligibles les personnes ayant soutenu la réforme de l’article 37 de la Constitution devant permettre à l’ancien chef d’Etat de briguer un nouveau mandat suscite une inquiétude toute particulière. Selon ICG, cette loi « constitue une menace non seulement pour les prochaines élections mais pour l’avenir, injectant le venin de l’exclusion politique dans un pays attaché au multipartisme et à la concertation ».  En contradiction avec la charte de transition, qui consacre « l’inclusion », « le pardon et la réconciliation », le texte marque un changement de trajectoire dans la conduite de la transition relève le think-tank.

De fait, à la suite du soulèvement populaire, plusieurs membres de l’ancienne majorité au pouvoir avaient bénéficié de mesures, modestes mais réelles, destinées à les intégrer aux institutions de la transition malgré les réactions de rejet. « Cela avait permis de trouver un équilibre, certes précaire, avec une ancienne majorité entre inclusion – elle a obtenu dix représentants au Conseil national de transition (CNT) et a repris ses activités politiques – et exclusion – elle est ostracisée par la plupart des autres acteurs et se place volontairement en marge de la transition » note le rapport.

« Cet équilibre est désormais rompu (…). Le retrait de la participation de l’ancienne majorité à la Commission de réconciliation à la suite du vote du code électoral en avril vide cette institution de sa substance. Elle ne pourra pas accomplir tous ses objectifs sans travailler avec ceux qui ont été aux commandes du pays. L’ancienne majorité présidentielle s’est également officiellement retirée du CNT, mais ses représentants continueraient à y siéger, créant une source de divisions supplémentaire au sein de la classe politique ».

Risque de retard

Outre le risque d’attiser les tensions politiques, le code électoral pourrait également menacer le respect du calendrier des élections fixé au 11 octobre prochain. Une fois validées par le Conseil Constitutionnel (scrutins présidentiel et les législatif) et par la CENI (scrutin municipal), les candidatures peuvent faire l’objet d’une procédure de recours qui, si elle est utilisée abusivement, est susceptible de retarder la tenue des élections.

« Lorsque les candidatures sont validées, des recours contre l’éligibilité d’un candidat peuvent être exercés auprès du Conseil constitutionnel auprèsdu tribunal administratif (puis du Conseil d’Etat en seconde instance) pour le scrutin municipal. C’est potentiellement autour de ce moment-là, soit à partir de début septembre environ, que le Burkina pourrait connaitre une nouvelle montée des tensions. Une des stratégies de l’ancienne majorité pourrait consister, en présentant des candidats tombant sous le coup de la loi, à multiplier les recours afin d’empêcher les élections de se tenir à bonne date. Si un mois avant le scrutin, le Conseil constitutionnel se retrouve submergé de recours, cela pourrait retarder la tenue des élections. Ce risque est particulièrement grand pour les élections législatives, qui ont lieu au scrutin de liste avec plusieurs milliers de candidats. Plus la publication de la liste définitive des candidats prend du temps, plus le risque est important de retarder les élections et de sortir du cadre temporel fixé par la transition. »

Un scénario qui ouvrirait la voie à des réactions très incertaines de la part de l’armée. « Une partie de l’autorité de transition, notamment militaire, pourrait alors avancer, comme elle l’a fait après la chute de Compaoré, l’argument de la stabilité pour se maintenir au pouvoir  » pointe le rapport.

Partialité

Au delà des hypothèses, le rapport souligne que la loi électorale burkinabè conforte de facto les intérêts des deux principaux partis politiques en lice, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) et l’Union pour le progrès et le changement (UPC).

« (La loi) vise à exclure certains « petits » ou « moyens » candidats pour éviter une trop grande dispersion des voix et permettre aux deux favoris de la présidentielle – le président du MPP Roch Marc Christian Kaboré et le président de l’UPC Zéphirin Diabré – de faire le meilleur score possible au premier tour afin de faciliter les reports de voix au second tour. Réduire le nombre de candidats, voire le nombre de partis en lice, permet aux plus grands de maximiser leur nombre de voix (…). La récupération de l’électorat et des cadres du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), l’ancien parti au pouvoir, le mieux implanté dans le pays, constitue un enjeu important. Exclus ou craignant de l’être, certains auront tendance à rejoindre les rangs de l’un des deux grands partis afin de poursuive leur carrière politique. »

Etiquetée comme favorable aux deux partis opposés au CDP de Blaise Compaoré, cette loi très critiquée par les anciens soutiens de l’ex président vaut régulièrement aux autorités de la transition d’être accusées de partialité. Au risque de leur faire perdre de leur crédibilité ?