Human Rights Watch accuse le Burkina Faso d’enlèvements d’opposants

La junte au pouvoir au Burkina Faso organise l’enlèvement d’activistes de la société civile et d’opposants politiques « dans le cadre de sa répression de la dissidence pacifique » accuse Human Rights Watch dans un communiqué diffusé le 28 février. 

Depuis fin novembre 2023, précise Human Rights Watch, « des hommes non identifiés ont enlevé au moins six activistes et membres de partis d’opposition dans la capitale, Ouagadougou, dans ce qui semble constituer des disparitions forcées. » 

« Les autorités burkinabè ont recours à des méthodes de plus en plus brutales pour punir et réduire au silence les personnes perçues comme des détracteurs et des opposants », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel au sein de l’ONG de défense des droits humains. « Les autorités devraient enquêter de toute urgence et de manière impartiale sur tous les enlèvements, les disparitions forcées et les conscriptions abusives, et remettre en liberté les personnes injustement détenues ».

Un mode opératoire identique

Le 20 février 2024, des hommes armés en tenues civiles ont enlevé Rasmané Zinaba, un membre du Balai Citoyen, à son domicile à Ouagadougou. « Au moins quatre hommes en armes sont venus le chercher entre 6h15 et 6h30 du matin », a affirmé un membre du Balai citoyen à Human Rights Watch. « Ils l’ont emmené à bord d’un véhicule civil ».

Le lendemain, ce fut le tour de son collègue Bassirou Badjo, enlevé au ministère des Affaires humanitaires. Ce jour-là, le Balai citoyen a publié une déclaration condamnant les enlèvements et exigeant la libération immédiate de ses membres. Les familles de ces hommes et le Balai citoyen ont porté plainte auprès de la police mais cette démarche n’a connu aucune suite. 

Un peu plus tôt, dans la nuit du 24 au 25 janvier, des hommes non identifiés ont enlevé, à l’aéroport international de la capitale, Guy Hervé Kam, avocat de premier plan et coordinateur du mouvement politique Servir et non se servir (SENS). Dans les heures suivantes, le mouvement a publié un communiqué affirmant que « des hommes en civil se présentant comme des membres des services nationaux de renseignement du pays » avaient appréhendé Guy Hervé Kam et l’avaient emmené en voiture vers une destination inconnue.

Un mois plus tôt, le 24 décembre 2023 vers 18h30, Ablassé Ouédraogo, 70 ans, ancien ministre des Affaires étrangères du Burkina Faso et président du parti d’opposition Le Faso Autrement, avait également été pris à son domicile à Ouagadagou par « des individus qui se sont présentés comme étant des éléments de la police nationale ». 

Avant lui, le 1er décembre, c’est Daouda Diallo, éminent défenseur des droits humains et secrétaire général du Collectif contre l’Impunité et la Stigmatisation des Communautés (CISC), qui avait été emmené de force en sortant du service des passeports du gouvernement, après y avoir rencontré des agents pour renouveler son passeport. On ignore toujours où il se trouve.

Le même sort avait été réservé le 29 novembre à Lamine Ouattara, un membre du Mouvement burkinabè des Droits de l’Homme et des Peuples (MBDHP).

La conscription forcée 

Début novembre, les forces de sécurité burkinabè, s’appuyant sur une loi d’urgence de vaste portée, avaient notifié à au moins une douzaine de journalistes, d’activistes de la société civile et de membres de partis d’opposition, dont Daouda Diallo, Ablassé Ouédraogo, Rasmané Zinaba et Bassirou Badjo, qu’ils seraient enrôlés pour participer aux opérations de sécurité du gouvernement. 

Le 18 février, Ablassé Ouédraogo et Daouda Diallo sont apparus dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux, en tenue de camouflage militaire, munis de fusils d’assaut kalachnikov et participant à des exercices militaires, probablement dans une zone de conflit. Human Rights Watch n’a pas été en mesure de vérifier l’authenticité de cette vidéo. Les autorités n’ont jamais fourni la moindre information à propos du lieu où se trouvent Ablassé Ouédraogo et Daouda Diallo ou à propos des autres personnes récemment enlevées.

Les autorités militaires de transition ont affirmé que les ordres de conscription émis en novembre étaient autorisés dans le cadre de la mobilisation générale décrétée le 13 avril 2023, qui s’inscrit dans un plan de reconquête des zones tombées aux mains des groupes armés islamistes, soit environ la moitié du territoire national. Ce plan vise à créer un « cadre juridique, légal à l’ensemble des actions à mettre en œuvre pour faire face » aux insurgés et il donne au Président des pouvoirs étendus pour combattre l’insurrection, notamment celui de réquisitionner des personnes et des biens et de restreindre les libertés publiques. Cependant, des organisations de la société civile nationale, des organisations de protection des médias, des syndicats et des organisations internationales de défense des droits humains ont fermement condamné le décret de mobilisation générale, arguant qu’il a été utilisé pour réduire au silence la dissidence pacifique.

« Si les gouvernements sont effectivement habilités à conscrire des membres de la population civile âgés de plus 18 ans à des fins de défense nationale, la conscription ne devrait avoir lieu que si elle a été dûment autorisée et est conforme à la loi nationale. La loi de conscription doit respecter des normes d’équité dans la répartition de la charge du service militaire. Elle doit être appliquée de manière à ce que le conscrit potentiel soit informé de la durée du service militaire et qu’il ait la possibilité de contester l’obligation de servir à ce moment-là. La conscription doit aussi être effectuée selon des normes conformes aux principes de non-discrimination et d’égalité devant la loi », martèle Human Rights Watch.

Des conscriptions illégales, selon un tribunal

Le 6 décembre, un tribunal de Ouagadougou saisi par une plainte du journaliste Issiaka Lingani et des activistes du Balai citoyen Bassirou Badjo et Rasmané Zinaba, qui avaient reçu des notifications de conscription en novembre, avait déclaré que ces conscriptions étaient illégales, violaient leurs droits à la liberté d’expression et de déplacement et constituaient un risque pour leur intégrité physique, avant d’ordonner leur suspension. Guy Hervé Kam, l’avocat enlevé en janvier, était l’un de leurs défenseurs. 

Des activistes des droits humains et des journalistes ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils évitaient de s’exprimer publiquement sur la junte de peur d’être conscrits. « Nous sommes paralysés par la peur », a déclaré un membre du SENS le 26 janvier. « Même organiser une conférence de presse, l’un de nos droits les plus fondamentaux, devient un acte héroïque ». Un défenseur des droits humains basé dans la région du Sahel a déclaré : « Un journaliste m’a appelé pour que je commente une récente attaque par des combattants islamistes armés présumés dans la ville d’Essakane. Je lui ai dit : ‘Voulez-vous que je sois conscrit ?’ Exprimer votre opinion sur la situation du pays en matière de sécurité peut vous envoyer directement au front, c’est la réalité ».

« Depuis le coup d’État d’octobre 2022, la junte militaire du Burkina Faso réprime de plus en plus la dissidence pacifique et les médias, réduisant l’espace civique dans le pays. Les journalistes nationaux et internationaux, ainsi que les membres de la société civile, subissent de plus en plus d’actes de harcèlement, de menaces et d’arrestations arbitraires », écrit Human Rights Watch.

L’organisation rappelle à cette occasion que « le Burkina Faso est un État partie à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées », en vertu de laquelle « un État commet une disparition forcée lorsque les autorités gouvernementales ou leurs agents détiennent une personne tout en refusant de reconnaître la privation de liberté ou en dissimulant le sort de la personne ou le lieu où elle se trouve, ce qui la soustrait à la protection de la loi. »