Il est minuit, Dr. Macron ! Surtout, ne nous décevez pas

La capitale française est au cœur des négociations internationales sur le Moyen Orient. Le patron de la CIA, le service de renseignement américain, a rencontré ses homologues israélien et égyptien, ainsi que le Premier ministre qatari, pour tenter de conclure un accord de trêve entre Israël et le Hamas à Gaza. Nous allons vivre une semaine « hors du temps », au bout de laquelle les masques vont tomber.

Une chronique de Xavier Houzel

Le Moyen-Orient est sens dessus dessous depuis que les tenants de la diplomatie traditionnelle ont abandonné leurs étriers pour un plat de lentilles au profit des Services de Renseignement dans l’affaire de Gaza. Cette guerre, aussi tragique soit-elle, a fait l’objet d’un salmigondis de tripotage et de mensonges dont on ne vante plus l’obscurité. On n’y touche plus qu’avec des pincettes ! À ce jeu, personne ne comprend plus rien. 

C’est à tel point que le Premier ministre « Bibi » Netanyahou – dont le gouvernement risque à chaque instant de sortir de son pôle de sustentation – donne l’impression de suivre le directeur du Mossad « Dadi » Barnea et le directeur du Shin Bet plutôt que de les commander. Les Égyptiens et les Américains se placent également derrière de faux systèmes pileux. Seul le quatrième négociateur, qui est l’émirat du Qatar et qui personnifie le Hamas[i] ne porte pas de barbe de service ! C’est à Paris que ce petit monde de l’ombre a choisi de se rencontrer à la surprise générale pour un nouveau round de discussion, mais à huis clos. Pourquoi ici, plutôt que là ?

Cette terre est une vallée de misères, un puits de contrariétés, une soupière de désolations et un saladier d’adversités(Joseph Arthur, comte de Gobineau – lettre à sa sœur)

Dans la ville lumière, le quadrige est sous la protection de la DGSE, qui est le Service de Renseignement Français chapeauté par le ministre des Armées éponyme ; ce ministre, Sébastien Lecornu, a l’avantage de pouvoir communiquer en temps réel avec son collègue des Affaires Étrangères et avec le locataire de l’Élysée, sans qu’il y ait pour eux de risque de compromission aucun, sachant que la France se préoccupe du Liban, où elle choie le Hezbollah comme les autres, en dépit du fait qu’il puisse ouvrir un second front à tout moment contre Israël. À moins que cela ne soit plus exactement pour ça !

Paris, ville charnière

La première raison de ce choix a été que Paris – à mi-chemin entre les Amériques et le Moyen-Orient – garde dans ses cartons la résolution 1701 du 11 août 2006 appelant à la cessation totale des hostilités, au déploiement des forces libanaises au Sud-Liban, au retrait parallèle des forces israéliennes derrière la Ligne bleue, au renforcement de la force des Nations unies (FINUL) pour faciliter l’entrée des forces libanaises dans la région et à l’établissement d’une zone tampon démilitarisée entre la Ligne bleue et le fleuve Litani. La Diplomatie française était à l’époque aux avant-postes ; si elle choisit de l’être moins ou autrement aujourd’hui, c’est parce que les rôles s’interchangent : le prince héritier saoudien[ii] est maintenant dans le sien et la Syrie et le Liban attendent des monarchies du Golfe et de la Turquie voisines une aide et une assistance qu’elles seront demain les seules à pouvoir leur prodiguer, à l’exception de l’Iran et de la Russie, qui ne sont pas les bienvenus.

La deuxième raison et qui en est la plus pressante est que les  Français, quoique ne voulant pas être mêlés à une intrigue[iii] à laquelle ils soupçonnaient Israël de vouloir se livrer, préférent en surveiller le déroulement. La presse, qui est condamnée à manipuler une accumulation de faits et un disparate d’informations la conduisant à se disperser et à perdre de la hauteur, est tenue à l’écart par le quatuor improvisé. Il n’est pas non plus prévu que le Hamas soit invité comme il l’avait été au Caire pour les pourparlers précédents, qui avaient abouti pourtant. C’est la raison pour laquelle les Français craignent que cette reprise de négociation à l’initiative du gouvernement israélien pressé par les familles des otages ne soit de la part des Israéliens un leurre fait pour gagner du temps, destiné aussi à tenir l’opinion mondiale en haleine et à empêcher les Palestiniens de déférer comme un seul homme à une aimable convocation du maître du Kremlin, invitation qui a le don d’exaspérer au plus haut point le duo israélo-américain.

Le Hamas invité par Poutine

Car le Hamas, qui est partout ailleurs ostracisé, est, depuis une bonne semaine, l’invité personnel à Moscou de Vladimir Poutine, président de la Fédération de Russie, de même que Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité Palestinienne, et les dirigeants palestiniens du Fatah, du Jihad Islamique, du Front populaire de libération de la Palestine, en plus des représentants des communautés de réfugiés palestiniens du Liban, de Syrie, d’Égypte et du monde entier – le ban et l’arrière-ban de la Palestine future ; ça fait beaucoup de « gens frustrés » ! Cela pourrait changer complètement la donne non seulement dans le rapport de force entre les Palestiniens (enfin réunis) et les Israéliens (potentiellement désunis, sinon désemparés) mais aussi entre les occidentaux et la Russie, spontanément immiscée dans le conflit israélo-palestinien… un échec au roi sur l’échiquier mondial ! De quoi rêver.

D’ici à l a date de leur visite ad limina, le Hamas et tous les Palestiniens allaient réaliser combien leurs divisions les avaient pénalisés individuellement. Le Premier ministre Netanyahou commettrait l’erreur de dévoiler son plan, lequel soulèverait l’indignation du monde entier. Pendant ce temps-là aussi, au G20, l’unanimité se ferait autour de l’unique solution possible de deux États dans les frontières de 1967 avec Jérusalem pour capitale. Des concessions seraient obtenues de part et d’autre et pourraient être mises en œuvre avant la date du ramadan (fixé au 10 mars prochain). Bref, la situation serait sauvée ! Et le pire serait évité.

Le timing était excellent ! Le ministre Français des Armées, Sébastien Lecornu, avait discrètement préparé la visite d’État que l’émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al Thani se préparait à rendre très opportunément à la France, où il comptait séjourner dans son château de Voisins pendant une semaine toute entière ! Cette visite d’État aurait justement pour but la recherche en commun d’une solution durable au conflit israélo palestinien.

Pour peu que président Poutine ait fait entre-temps son travail de fédérateur du camp palestinien et que l’ensemble des Palestiniens aient effectivement convergé vers Moscou à cet effet, le semblant de discussions sans interlocuteur qui se seraient jusque-là déroulées à Paris ainsi que les avancées auxquelles le cabinet de guerre israélien aurait éventuellement donné son aval ne pourraient que faciliter à Paris la poursuite des pourparlers interrompus. Le Hamas et le Jihad Islamique pourraient certes, vouloir continuer à monnayer de plus belle leurs otages contre la libération de milliers de prisonniers mais ils voudraient avant tout conclure un accord durable de cessez-le-feu, dorénavant à leur portée. Désormais représenté par un « Front » parlant à l’unisson le bureau politique du Hamas, noyé dans la masse de 12 millions de réfugiés qui entendaient ne l’être plus, décuplerait ses chances d’être écouté. Au mieux, il serait enclin à discuter plus sereinement qu’avant.

Le corridor de Philadelphie – la bande longue de 14 km qui longe la frontière entre Gaza et l’Égypte – tenait encore le 25 février ! Aussi était-ce sur une note d’espoir que la délégation du Hamas et celle d’autres mouvements dissidents de l’Autorité Palestinienne avaient résolument pris le chemin de Moscou pour y retrouver, dès le lendemain 26 février, non seulement le Fatah mais l’état-major de l’Autorité Palestinienne de Ramallah. Sauf que…

Sauf que cela ne s’est pas passé du tout comme l’immense majorité des Palestiniens du monde entier l’avaient espéré depuis leurs affrontements fratricides de 2007 : le Front Palestinien restera désuni ! Ni Mahmoud Abbas ni personne de son gouvernement ne feront le voyage de Moscou, car le Premier ministre de l’Autorité Palestinienne, Mohammed Shtayyeh, en poste depuis 2021 a présenté sa démission et celle de son gouvernement au président Abbas en ce lundi 26 juin 2024. Le commentaire de Mohammed Shtayyeh est d’une sobriété qui l’honore  « J’ai présenté, dit-il, à Ramallah, la démission du gouvernement à monsieur le Président le 20 février et je la remets aujourd’hui par écrit », ce qui veut dire que Mahmoud Abbas a gardé secrète la nouvelle pendant toute la semaine des pourparlers de Paris et jusqu’à la veille d’un départ éventuel pour Moscou. Inutile de préciser que Netanyahou jubile ! Pas besoin de dire pourquoi : la délégation du Hamas est dans l’avion mais le rapprochement est « dans les choux » !

Un nouveau leadership

Dans un entretien récent avec l’AFP, l’opposant Nasser al-Kidwa, neveu du défunt Yasser Arafat, avait appelé à un « divorce à l’amiable » avec Mahmoud Abbas et à la création d’une nouvelle unité du leadership politique palestinien, incluant certains membres du Hamas.

La démarche de réunification du Front palestinien a certes été sabotée, mais on voit qu’il existe d’autres moyens de rapprocher le Hamas et les autres factions de l’Autorité Palestinienne et du Fatah ! Mahmoud Abbas devra dorénavant se soumettre ou se démettre. Et VITE. Il faudra de toutes les façons des élections pour qu’un Conseil national palestinien représentatif puisse prendre en charge enfin l’État de Palestine.

Le Hamas gagnera immanquablement les élections.

Abbas le sait, Netanyahou le sait.

Les deux seront jugés.

Les deux seront tenus pour comptables du désastre.

Il est minuit, docteur Macron ! Pour l’amour du ciel, faites quelque chose !

Et ne nous décevez surtout pas.

XH

[i] https://www.jpost.com/israel-hamas-war/article-788543?utm_source=ActiveCampaign&utm_medium=email&utm_content=Qatar+is+Hamas+and+Hamas+is+Qatar&utm_campaign=Feb+23%2C+2024+night

[ii] https://thecradle.co/articles/question-in-beirut-will-the-syrians-saudis-iranians-strike-a-new-lebanon-deal

[iii]https://www.leparisien.fr/international/israel/liberation-dotages-a-gaza-israel-voit-des-progres-le-hamas-aurait-fait-des-concessions-importantes-25-02-2024-RRST2LV3AZFWPOT3SVA6IWJ2JA.php