Cent ans d’entente entre le patriarcat maronite et l’Arabie saoudite

Le chef de l’église maronite et l’ambassadeur saoudien à Beyrouth dénoncent implicitement au cours d’une cérémonie au siège du patriarcat maronite le comportement du Hezbollah.

Michel TOUMA

L’histoire contemporaine et ancienne du Liban a été marquée par des constantes dans les rapports entre certaines puissances arabes et internationales et les principales communautés libanaises. La France a ainsi entretenu au fil des siècles des relations privilégiées avec les chrétiens du Liban, et plus particulièrement les maronites, mais depuis plusieurs années, elle a également établi des ponts avec les musulmans du pays. De la même manière, l’Arabie saoudite a traditionnellement soutenu la communauté et les leaders sunnites, mais parallèlement elle a réussi au cours des dernières décennies à établir une sorte d’entente cordiale avec les maronites.

Ce dernier point a fait l’objet d’un ouvrage qui vient de paraître, publié par un prêtre maronite, le père Antoine Daou, qui a retracé l’historique de cent ans de relations entre l’Arabie saoudite et le patriarcat maronite. A l’occasion du lancement de cet ouvrage, une importante cérémonie a été organisée jeudi 8 juillet au siège du patriarcat maronite de Bkerké (dans la montagne du Kesrouan, au nord de Beyrouth) en présence de l’ambassadeur du royaume wahabite, Walid Boukhari, du patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï, et de nombreuses personnalités libanaises et étrangères.

Cette cérémonie a été marquée par deux importantes allocutions prononcées par le patriarche Raï et l’ambassadeur saoudien dont les propos comprenaient des messages politiques dénonçant d’une manière à peine voilée le projet transnational du Hezbollah libanais pro-iranien, son implication directe dans les guerres et les conflits régionaux, et sa mainmise sur les différents secteurs de la vie publique au pays du Cèdre. Les deux allocutions ont mis l’accent dans ce contexte sur le respect constant de la souveraineté et de l’indépendance du Liban par l’Arabie saoudite.

Le parallèle établi par Raï

Le cardinal Raï a rappelé d’emblée les paroles du fondateur de la dynastie des Saoud, le roi Abdel Aziz ben Abdel Rahman qui avait affirmé son attachement à l’indépendance du Liban, si chère aux maronites : « Le Liban fait partie intrinsèque de nous. Je protège moi-même son indépendance et je ne permettrai à personne d’y porter atteinte ». Et dans le prolongement de ces propos, le patriarche maronite a également rappelé la position du roi Abdel Aziz ben Saoud, en avril 1953 : « Je défendrai l’indépendance du Liban comme je défends l’indépendance de mon royaume ».

Soulignant que le royaume wahabite « a compris le sens et la valeur du Liban » dans cette partie du monde, le cardinal Raï a dénoncé sur ce plan, sans le nommer, le Hezbollah et sa ligne de conduite qui porte atteinte à la souveraineté et à l’indépendance du Liban. Dressant implicitement à cet égard un parallèle entre la position de l’Arabie Saoudite et celle du Hezbollah, et de l’axe Damas-Téhéran d’une manière générale, Mgr Raï a notamment déclaré : « L’Arabie Saoudite n’a pas porté atteinte à la souveraineté du Liban ni violé son indépendance (allusion à peine voilée au régime syrien et à l’Iran). Elle n’a pas bafoué ses frontières et ne l’a pas entraîné dans des guerres. Elle n’a pas paralysé sa démocratie ni ignoré son État » (allusion au Hezbollah).   

En conclusion, le cardinal Raï a souligné que la relation du patriarcat maronite avec le royaume wahabite « va au-delà des considérations qui président aux relations entre Etats ». « Notre relation va au-delà des axes, vers une relation globale qui est le partenariat islamo-chrétien », a souligné le chef de l’église maronite.

Boukhari : préserver l’identité libanaise

De son côté, l’ambassadeur saoudien a mis l’accent sur l’attachement de son pays « au Liban-message, libre, souverain, indépendant ». Dans une allusion au pouvoir iranien et au Hezbollah, il a dénoncé ceux qui « tentent de miner la relation du Liban avec le monde arabe et de l’impliquer dans un axe qui porte atteinte à son identité arabe ».

Rejetant le projet d’alliance des minorités religieuses dans la région (soutenu par le Hezbollah), M. Boukhari a déclaré : « Face à la légitimité islamo-chrétienne, le concept de minorité n’a pas sa place. Nous ne permettrons pas que l’identité libanaise soit compromise sous quelque prétexte que ce soit. Chrétiens et musulmans sont des composantes essentielles de l’identité levantine arabe ».

Dans un contexte de profondes mutations au Moyen-Orient et de grave crise existentielle qui ébranle le Liban depuis plusieurs années, les déclarations du patriarche maronite et de l’ambassadeur saoudien sonnent, sans conteste, comme une feuille de route pour l’avenir proche de l’entité libanaise.