Les Frères Musulmans syriens sans boussole entre l’Iran et le Hamas

Supporters of ousted Egyptian President Mohammed Morsi, one holding a Quran, cross the Nile as they march towards downtown Cairo from the Mohandeseen neighborhood of Cairo, Egypt, Friday, Aug. 16, 2013. Egypt is bracing for more violence after the Muslim Brotherhood called for nationwide marches after Friday prayers and a "day of rage" to denounce this week's unprecedented bloodshed in the security forces' assault on the supporters of the country's ousted Islamist president that left many hundred dead. (AP Photo/Thomas Hartwell)

Aussi bien en Syrie, en Tunisie, en Égypte qu’aux Émirats, les Frères Musulmans, qu’ils soient massacrés, emprisonnés ou exilés, sont désormais effacés du paysage politique. Dans le conflit actuel entre Palestiniens et Israéelins, ils ont la plus grande peine à se positionner, même avec leur duplicité habituelle, entre un soutien incontestable au Hamas palestinien, une formation frériste, et une détestation du régime chiite iranien, comme l’a confirmé à Mondafrique le responsable du département de formation des Frères musulmans en Syrie, Samir Abou Al-Laban, pour qui « Khomeiny est une anomalie ».

Wafaa Obido (correspondance Istambul)

Les ouvrages consacrés à la Confrérie fondée en Égypte par Hassan al-Banna en 1928 ne comportent habituellement pas une multitude de schémas et de tableaux aux couleurs variées. Une étude fort instructive de l’université de Montréal, intitulée « Index de la puissance globale des Frères musulmans », analyse l’indicateur de puissance politique et sécuritaire de cette organisation. Elle se penche aussi sur sa puissance économique, sa puissance médiatique et sa puissance au sein de la société. Le tout en donnant beaucoup de chiffres et de pourcentages.

Le résultat le voici: Les Frères musulmans seraient, en fait, en perte de vitesse dans les pays arabes et en Europe. Mais en hausse dans le reste de l’Afrique, dans les Amériques et en Asie. 

Cette perte d’influence s’explique par l’atomisation de cette mouvance après les revers subis en Égypte et en Tunisie. Depuis le coup d’État militaire qui porte au pouvoir le maréchal Sissi, les Frères musulmans se sont divisés en trois chapelles: l’une clandestine au Caire, une faction à Londres, et une troisième à Istanbul. Ajoutez que leurs plus ardents défenseurs, à savoir la Turquie et le Qatar, se sont réconciliés avec l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis et l’Égypte, qui classent les Frères musulmans parmi les organisations terroristes.

Enfin, en 2022, la Confrérie a perdu ses deux figures les plus marquantes, le prédicateur qatari Youssef Qaradawi, longtemps animateur sur Al-jazeera de l’émission La Charia et la Vie. Et l’Égyptien Ibrahim Mounir, le Guide suprême par intérim, en exil à Londres.

Les « Frérots » syriens marginalisés

Samir Abou Al-Laban

Le responsable du département de formation des Frères musulmans en Syrie, Samir Abou Al-Laban, a expliqué dans un entretien avec Mondafrique: « Nous sommes encore présents sur la scène syrienne comme n’importe quel autre parti ». Du moins, a-t-il ajouté, « autant que les circonstances le permettent ». Permettons nous de noter que cette présentation est un peu optimiste. Depuis le massacre de milliers de militants dans la ville de Hama par le régime allaouite  en 1982 dans une atroce « Saint Barthélémy » anti sunnite, les Frères Musulmans syriens n’ont plus relevé la tête.

Au début de la mobilisation populaire contre le Président Assad en 2013, une poignée de Frères Musulmans est descendue dans les rues pour manifester à Hama et à Allep, deux grandes villes désertées par les combattants de Daech. Entre les djihadistes et les Frères Musulmans, le courant ne passe pas, la cohabitation est impossible. Aujourd’hui encore dans la ville d’Itlib, dernier bastion djihadiste dans le Nord Est de la Syrie, où un chef de guerre islamiste fait régner l’ordre coranique dans une espèce d’entente avec le régime de Damas, « les Frères » n’apparaissent plus, pas même dans les rangs des opposants qui ont manifesté en mars dernier.

Emprisonnés en très grand nombre par le régime d’Assad et le plus souvent torturés, les Frères Musulmans ont tenté, du moins leurs chefs, de se réfugier en Turquie. Fin stratège, le président Erdogan est le dernier chef d’état en effet à abriter « les Frérots », une appellation qu’on colle parfois à la mouvance des « Frères ». Stratège cynique, le leader turc pourrait, demain, transformer ce soutien à une mouvance en perdition en monnaie d’échange dans ses négociations avec les autres pays arabes. Les Émiratis et les Égyptiens, qui se sont rapproché de la Turquie, sont en effet obsédés par la volonté d’éliminer cet Islam politique qui triomphait durant les années 2011-2012.

Rien appris, rien oublié

Depuis le printemps arabe devenu un sombre hiver avec le retour des dictatures en Tunisie et en Égypte, les Frères n’ont en tout cas rien appris, rien oublié. Leur positionnement est constant, comme si le monde étai figé à jamais. « Les Frères musulmans, nous explique Samir Abou Al-Laban, disposent de quatre documents résultant de réflexions qui ont eu lieu dans les années 1990 en Syrie. Ce sont ces écrits qui décrivent notre projet d’un État moderne et non militaire, notre vision pour la Syrie future». Faisant référence à une éventuelle réduction du rôle des Frères musulmans en Turquie, notre interlocuteur explique qu’ils n’ont subi « aucun perte d’influence ». Ce que ce notable pieux ne pourrait pas contester en revanche, c’est que les multiples réunions entre les mouvements fréristes nationaux qui se tenaient, voici un quart de siècle, à Londres, au Koweit ou encore au Soudan, n’ont plus lieu. La confrérie est plus atomisée que jamais, disloquée.

La politique des Frères musulmans va-t-elle évoluer ? Là encore, cette mouvance n’évolue guère, comme si l’éternité lui appartenait. « Nous n’avons jamais demandé à aucune personnalité politique de les rapprocher du régime syrien, malgré les offres que nous avait faites le régime au début de la révolution ». Et d’ajouter: « Nous sommes  trop intelligents pour nous lancer dans une aventure perdue. Le choix politique reviendra au peuple syrien dans le cadre de la résolution des Nations Unies ».

Notre frère le Hamas

Les Frères musulmans considèrent le Hamas comme « un mouvement de libération populaire » qui a « le droit de s’engager dans une action politique et de construire son propre État ».  » Nos relations avec le Hamas sont plus fortes que jamais: une action commune, une unité de vision et un échange d’expériences, mais chacun d’entre nous avec sa propre organisation nationale ». Tout sera pardonné au « Hamas » qui a mené la bataille d’Al-Aqsa « en raison des persécutions qui ont précédé le déluge ». Les 1200 morts juifs sont à mettre sur le compte « d’un développement naturel pour un mouvement de libération ». Le Hamas a sortira-t-il vainqueur? « La bataille continue, les problèmes ne sont pas encore résolus », répond-il prudemment.

Seul souci, les relations du Hamas avec l’Iran, l’allié du régime syrien et à ce titre détesté par les Frères syriens. Le premier livre qui mettait en garde contre la révolution islamique en Iran était celui de Cheikh Saeed Hawa, l’un des principaux théoriciens des Frères musulmans en Syrie, intitulé « Khomeiny est une anomalie dans les positions et une anomalie dans les opinions ». Là encore, la duplicité est de mise pour dédouaner son allié de ses relations coupables abec Téhéran  » le Hamas a été contraint à cette coopération avec l’Iran, estime le responsable du département de formation des Frères musulmans en Syrie tous les pays arabes lui étaient fermées ».

Les Émirats, répression toute !

Aux Émirats comme en Syrie ou en Égypte, l’heure est à une répression féroce. Les Émirats arabes unis ont récemment renvoyé les membres des Frères musulmans arrêtés depuis 2013 devant la Cour de sûreté de l’État pour un nouveau procès après que de nouvelles preuves ont été révélées sur la création d’une autre organisation secrète. Le procureur général des Émirats, le conseiller Hamad Saif Al Shamsi, a ordonné le renvoi de 84 accusés, dont la plupart sont membres de l’organisation des Frères musulmans des Émirats, devant la Cour d’appel fédérale d’Abou Dhabi (Cour de sûreté de l’État) pour y être jugés. pour le crime de création d’une autre organisation secrète dans le but de commettre des actes de violence et de terrorisme sur le territoire de l’État.

Depuis 2014, les Émirats arabes unis classent les Frères musulmans parmi les organisations terroristes. Selon l’agence de presse des Émirats (WAM), samedi, « les accusés avaient dissimulé ce crime et ses preuves avant d’être arrêtés et jugés dans le cadre de l’affaire n° 17 de 2013 relative aux peines liées à la sécurité de l’État ».

Il convient de noter que l’un des accusés, Hassan Al-Dokki, est un membre des Frères musulmans résidant en Turquie, car la plupart des informations confirment qu’il est en pleine coordination avec des organisations terroristes telles que l’Etat islamique et qu’il incite constamment contre la France et l’appelle un État croisé qui doit être combattu.

Les Frères musulmans des Émirats arabes unis ne bénéficient plus d’aucun soutien populaire.

Dans un prochain article, Mondafrique étudiera la présence des Frères Musulmans au Liban où la mouvance, certes minoritaire, continue à jouer sa partition.