Human Rights Watch: la présidentielle tchadienne s’achève dans la violence


Le fils de l’ex-président a été déclaré vainqueur de l’élection présidentielle alors qu’au moins neuf civils, et probablement plus, auraient été tués par des tirs de célébration de soldats et de civils, a déclaré Human Rights Watch

L’ancien président Idriss Déby est décédé en avril 2021 lors de combats avec un groupe armé, avant que l’armée ne confère le pouvoir à son fils, Mahamat Idriss Déby, dans le cadre d’une transition contraire à la constitution. Depuis, le gouvernement tchadien a violemment réprimé les manifestations réclamant le retour à un régime civil, notamment lors de la  répression sanglante du 20 octobre 2022. Ce jour-là, des milliers de personnes sont descendues dans les rues de N’Djamena et de plusieurs autres villes du sud du Tchad, notamment Moundou, Doba et Sarh, pour protester contre la décision du gouvernement de transition de prolonger la période de transition.

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L’opposant devenu Premier ministre

Une nouvelle constitution a été adoptée à l’issue d’un référendum en décembre 2023, permettant à Mahamat Idriss Déby de se présenter à la présidence. Dans les mois précédant le vote, l’espace politique s’est restreint pour le parti des Transformateurs de Succès Masra. Malgré un mandat d’arrêt émis contre ce dernier, il a été nommé Premier ministre en janvier dans le cadre d’un accord politique.

La période pré-électorale ainsi que les jours qui ont suivi le vote le scrutin ont été marqués par des violences. Le 28 février, des membres des forces de sécurité ont tué Yaya Dillo, président du Parti socialiste sans frontières (PSF) et potentiel candidat de l’opposition aux élections, lors d’une attaque perpétrée au siège de ce parti à N’Djamena, la capitale du pays. Yaya Dillo, le président du Parti socialiste sans frontières, était considéré comme un opposant politique de premier plan à Mahamat Idriss Déby. Yaya Dillo et Mahamat Idriss Déby seraient des cousins issus de l’ethnie Zaghawa. Il a été largement relayé que Yaya Dillo se préparait à se présenter à la présidence, même s’il n’avait pas fait de déclaration publique allant dans ce sens.

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Le jour du vote, des violences ont éclaté à Moundou, une ville du sud du pays, et un homme qui tentait de voter a été tué. Après l’annonce des résultats, des tirs de célébration par les forces de sécurité et des civils ont retenti dans tout N’Djamena, tuant au moins neuf personnes selon des médias locaux. Les tirs étaient en partie concentrés dans des quartiers considérés comme des bastions du parti des Transformateurs. « Ces tirs sont une menace pour nous, ils nous adressent un message : si vous descendez dans la rue pour protester, nous vous tuerons », a déclaré un membre du parti à Human Rights Watch. Sur leur page Facebook, les Transformateurs ont fait état de tirs nourris devant la résidence de Succès Masra, dans le quartier de Gassi, dans le septième arrondissement de N’Djamena, un quartier densément peuplé à l’extérieur du centre-ville.

Les observateurs internationaux entravés

Si des organisations internationales, comme l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), ont tenté de surveiller le déroulement des élections, elles n’ont pas eu la capacité de le faire dans l’ensemble du pays. Le gouvernement intérimaire a refusé d’accréditer des organisations nationales de la société civile financées par l’Union européenne pour surveiller les élections. Succès Masra a fait état de menaces contre lui et ses partisans depuis le vote.

« Le président Mahamat Idriss Déby a consolidé son pouvoir alors que la période de transition est désormais achevée », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Alors que le résultat de l’élection a déjà été contesté, l’ouverture d’une enquête sur les violences avant et après le vote est primordiale. »


Le 23 mars, la plateforme de la société civile Wakit Tamma, qui a joué un rôle déterminant dans les manifestations prodémocratie, avait appelé au boycott, qualifiant l’élection de « mascarade » visant à soutenir une « dictature dynastique ». Dans son discours sur les réseaux sociaux juste avant l’annonce des résultats, Succès Masra a revendiqué la victoire et a appelé les forces de sécurité et ses partisans à s’opposer à ce qu’il considérait comme une tentative de confiscation du vote.

S’adressant au peuple tchadien, l’ex Premier ministre devenu le chef de l’opposition a déclaré : « Ne vous laissez pas voler votre destin.», tout en réitérant que toute mobilisation devait se faire « pacifiquement ».