Des centaines d’écoles libanaises ne passeront pas l’hiver 

Quand les parents ne peuvent plus payer la scolarité de leurs enfants, que l’État est aux abonnés absents, que les enseignants ne reçoivent plus qu’un salaire misérable et que cet hiver les classes ne pourront pas être chauffées,  que risque-t-il d’arriver ? Sans l’aide d’associations et de fondations, bien des d’écoles risquent de devoir fermer leurs portes.    

Par Ian Hamel, envoyé spécial au Liban

Les munitions trouvées dans une courd’école au Liban

A 36 ans, Ghassan est un peu la mascotte du camp d’été installé dans la montagne chrétienne, à une demi-heure de route de Beyrouth. Malgré un lourd handicap, des difficultés pour parler, il garde un moral d’acier. « J’aime la vie et j’aide les autres à découvrir combien la vie est belle », explique-t-il. Hassan est arrivé à l’âge de 13 ans à Anta Akhi (“Toi mon frère“), avec un frère, également handicapé, et aujourd’hui disparu.

Depuis 1993, l’association prend en charge un peu plus de deux cents malades. Certains ne voient pas, ne parlent pas, ne parviennent pas à s’alimenter seuls. Le problème, c’est que dans un Liban exsangue, l’État n’intervient qu’à hauteur de 1 % à peine dans le financement de l’institution. Par ailleurs, il est difficile de réclamer plus ce 1% aux parents désargentés. Plus de la moitié des Libanais vivent sous le seuil de pauvreté. 60 % sont au chômage.

Alors comment s’occuper quotidiennement d’autant de pensionnaires handicapés ? « Nous sommes une association où nous prions beaucoup. Et je peux vous assurer que jusqu’à présent nous n’avons jamais manqué de rien », assure une responsable d’Anta Akhi avec un large sourire.     

50 dollars par mois  pour un infirmier  

Alors qui vient à leur secours ? Et quelles formes peuvent bien prendre les Pères Noël ou les bonnes fées ? Ce sont des associations, comme l’Œuvre d’Orient, active auprès des chrétiens d’Orient depuis 1856, qui continuent à venir à la rescousse de ce pays en faillite. En 2021, cette association française a collecté 6,7 millions d’euros pour le Liban. Et sur ce montant, 2,35 millions ont été investis pour venir en aide à 143 écoles. Ajoutez 700 000 euros en faveur de six universités.

Juste avant de nous accompagner dans la montagne chrétienne dans le camp animé par Anta Akhi, Clémence et Baptiste, deux volontaires de l’Œuvre d’Orient nous avaient conduit dans l’hôpital des sœurs du Rosaire, en partie dévasté par l’explosion du port de Beyrouth en août 2020 (200 morts et 6500 blessés). L’établissement est partiellement reconstruit. « Nous avons un gros problème de personnel. Un infirmier gagne autour de 50 dollars par mois. Il peu à peine faire un plein d’essence ! Les médecins partent quand ils trouvent du travail dans le Golfe, en Europe ou en Amérique du Nord », explique Éliane Mehaweg, responsable qualité et gestion des risques.

Deux heures d’électricité par jour                                                                                                                               

L’électricité ne fonctionne plus que deux heures par jour. Les trois générateurs de l’hôpital des sœurs du Rosaire doivent ensuite prendre le relais pendant vingt-deux heures. « Nous ne savons toujours pas si nous aurons les moyens de nous approvisionner en fioul jusqu’à la fin de l’année… », s’inquiète Éliane Mehaweg.  Troisième visite, cette fois à l’École orthodoxe grecque des Trois Docteurs. Elle doit son nom aux trois saints patrons des éducateurs dans l’Église grecque orthodoxe, Jean Chrysostome, Basile le Grand et Grégoire le Théologien. A sa fondation en 1835, elle était surnommée « la grande école ». C’était alors la plus importante institution éducative de Beyrouth.

« Avec l’explosion, la structure centrale s’est effondrée. Tout était à terre. Et savez-vous qui est venu estimer les dégâts, avant même le ministère de l’Éducation ? Vincent Gelot, le directeur de l’Œuvre d’Orient au Liban ? », raconte Nayla Daoun, la directrice de l’Établissement, qui accueille 210 élèves de toutes confessions, dont 20 % d’enfants rencontrant des difficultés d’apprentissage. Pour cette réhabilitation, l’Œuvre d’Orient a travaillé avec une fondation suisse, l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit (Aliph) (1).    

Un chrétien sur 350 élèves  

Monseigneur Pascal Gollnisch, le directeur général de l’Œuvre d’Orient, rappelle que les écoles chrétiennes du Liban sont d’abord des écoles francophones qui accueillent tous les Libanais, qu’ils soient chrétiens, musulmans, druzes, filles comme garçons, riches comme pauvres. « L’éducation est un remède contre tous les fanatismes. Ces écoles participent à cette paix sociale, à ce “vivre ensemble“ unique au Moyen-Orient. Si elles ferment, la situation risque de se détériorer encore davantage au Liban. La paix est en danger », nous confie-t-il. L’évêque ne croit pas si bien dire. A Tripoli, le père Georges, à la tête de l’école Al Raaiya, habite le quartier le plus pauvre de la ville la plus pauvre de la Méditerranée, désertée par les chrétiens, à la “frontière“ de quartiers sunnite et alaouite (un groupe religieux rattaché aux chiites et au pouvoir à Damas, en Syrie).

« J’ai 350 élèves et un seul d’entre eux est chrétien ! Ce n’est pas un problème. Nous ne sommes pas seulement une école, nous sommes une mission. Je ne suis pas un prêtre pour les chrétiens, mais pour cette région, assure le père Georges. C’est souvent lui qui négociait avec les chefs de guerre des cessez-le-feu pendant les affrontements, afin que les élèves ne deviennent pas des victimes collatérales. Joignant le geste à la parole, le prêtre agite devant nous une boîte contenant des munitions tombées dans la cour de son école.

Plus d’électricité ni de chauffage

« Nos écoles n’ont plus l’électricité. Le fioul étant trop onéreux. Elles ne sont plus chauffées en hiver. Nos élèves doivent venir avec des manteaux. Mais comme l’école publique est en total déliquescence, les parents musulmans préfèrent inscrire leurs enfants dans les écoles chrétiennes, qui conservent un bon niveau. Ils peuvent y apprendre le français et l’anglais », explique le père Marcel, responsable des écoles maronites de Tripoli. Des écoles qui attendent toujours les subventions de l’État pour 2016-2017. Mais si le nombre d’élèves augmente, celui des enseignants chute. Ces derniers ne parviennent plus à vivre avec leurs salaires misérables. Les déplacements coûtent plus d’argent que leurs revenus. « Le pire, c’est que nous sommes toujours contraints d’utiliser nos voitures car il n’y a pas du tout de transports en commun… », se désole une secrétaire payée 60 dollars par mois. 

 (1) Encore peu connue du public, l’Aliph est née à la suite d’une conférence organisée à Abu Dhabi en 2016, sur le thème « Comment protéger le patrimoine en danger ? », organisée par la France, les Émirats arabes unis et l’UNESCO. Dirigée par Valéry Freland, un diplomate français, ancien consul général à Boston, l’Aliph intervient sur 18 projets au Liban, investissant 2,5 millions de dollars, notamment dans la réhabilitation de la cathédrale Saint-Georges des maronites, dans la bibliothèque orientale de l’Université Saint-Joseph, dans l’école et orphelinat Zahrat et Ihsan. « Notre mission est d’aller sur le terrain à l’écoute des besoins, d’identifier des projets dans des pays en conflit ou en crise, comme le Liban, et de les soutenir financièrement. Nous sommes actifs dans une trentaine de pays, appuyant 150 projets », explique Valéry Freland