Tunisie, Rached Ghannouchi violemment contesté au sein d’Enahdha

Pour la première fois de leur longue histoire, les islamistes du mouvement Ennahdha, pourtant arrivé en tète lors des dernières élections législative et municipale, est menacé de scission

De graves divisions sont en train de s’opérer dans les rangs du parti islamiste d’Ennahdha. Le clan des détracteurs de Rached Ghannouchi menés par Abdellatif Makki, l’ancien ministre de la Santé du gouvernement islamiste de 2012 qui est depuis toujours sur une ligne dure de rupture, ne décolère pas. Ce clan insiste pour organiser le prochain congrès du parti, à sa date prévue, soit au courant du mois de mai 2020. Ce congrès pourrait constituer pour ce clan le point de départ de la prise du pouvoir du parti et la mise à l’écart du Cheikh Rached Ghannouchi, devenu pourtant le patron de l’Assemblée Nationale tunisienne après lamort de l’ancien président Beji Caïd Essebsi et les élections qui ont suivi..

Le paradoxe, le voici: au moment où les frères Musulmans tunisiens sont au maximum de leur influence sur la vie politique de la Tunisie, ils sont menacés d’implosion.

Ghannouchi, stratège hors pair

Rached Gannouchi reçoit au siège du mouvement islamiste en juin 2018 les journalistes de Mondafrique, Nicolas Beau et notre ami Slim Bagga,, hélas décédé

Jusqu’à aujourd’hui, la force de Rached Gannouchi, leader charismatique de la mouvance islamiste depuis le début des années 1980, aura été de construire un mouvement soumis à son autorité et dont la cohésion est restée totale alors que le reste de l’échiquier politique tunisien était marqué par les scissions, les trahisons et les rapprochements éphémères, La capacité de Ghannouchi à maintenir son mouvement en ordre de marche aura été certainement un des facteurs qui expliquent son influence aujourd’hui et ses succès électoraux.

Ce qui a forgé l’image du leader d’Ennahdha en stratège politique hors pair capable d’assurer sa survie politique dans un monde arabe où les frères Musulmans ont été partout ailleurs écartés du pouvoir, voire emprisonnés et condamnés à mort comme en Egypte.

Le centralisme démocratique, façon Ennahdha

Paradoxalement et alors que l’islam politique, sans doute un peu rapidement, pour une idélologie totalitaire, la force d’Ennahdha est surement d’avoir garanti le fonctionnement pluraliste du mouvement. Ainsi, lors du congrès du parti en juillet 2012, un an après le printemps tunisien qui devait voir le départ de l’ex président Ben Ali et l’arrivée à la tète du gouvernement des Frères Musulmans d’Ennahdha, les deux tiers des cent cinquante membres du majlis al-Choura – le « parlement » d’Ennahdha – ont été élus au suffrage direct par les mille deux cents délégués présents. De retour d’éxil et victorieux d’un combat de dix sept ans contre la dictature de Ben Ai, le très charismatique Rached Ghannouchi n’avait, lui, été réélu à la tête du mouvement qu’ »avec » 73 % des voix face à une dizaine d’autres candidats.

Le fonctionnement du parti islamiste s’est souvent apparenté en réalité au centralisme démocratique des belles années du communisme : des débats houleux à la base, des courants qui s’expriment, des sensibilités opposées, des ego qui prospèrent, des votes enfin qui départagent les concurrents. La synthèse est dégagée au sommet grâce à l’art du consensus et de la dialectique du cheikh du parti islamiste, Rached Ghannouchi.

Ses arbitrages sont ensuite relayés sans états d’âme. « De véritables éléments de langage, constate un diplomate occidental, apparaissent dans les discours que nous tiennent les principaux dirigeants d’Ennahdha.»

L’enjeu du Congrès

Or cette époque semble révolue, alors même que le mouvement Ennahdha est arrivé en tète lors des élections de 2019 et que Rached Ghannouchi est devenu l’épicentre de la vie politique tunisienne.

Lors de la dernière réunion du conseil de la Choura, indique le site Tunisie Numérique, le clan opposé à Ghannouchi a demandé à inscrire à l’ordre du jour, la préparation de l’organisation du congrès du parti pour le mois de mai prochain.  Mais le Cheikh a répondu que ce sujet est bien trop important pour être traité en marge d’une réunion consacrée à l’étude de la position du parti vis-à-vis de la formation du gouvernement. Il a promis de consacrer, au plus tôt, une réunion du conseil, pour discuter de ce sujet et de commencer les préparatifs et les dispositions pour la tenue du congrès

Depuis, Ghannouchi fait la sourde oreille à la grogne galopante qui est en train de miner le parti. Il semble vouloir gagner du temps, son plus fidèle allié dans un parcours pour l’instant parfaitement maitrisé.

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)