Saïd Bouteflika : le patron, c’est moi ! 

Les images ont fait le tour de l’Algérie.  Ils ont alimenté une vive polémique et suscité une controverse nationale. Le 30 juillet dernier, à l’enterrement de l’ancien chef du Gouvernement Rédha Malek au cimetière d’El Alia, le frère et conseiller d’Abdelaziz Bouteflika, Saïd Bouteflika, s’est affiché tout sourire avec le président du Forum des chefs d’entreprises (FCE), Ali Haddad. Des rires, de la complicité et des regards qui désavouent terriblement le Premier Ministre, Abdelmajdid Tebboune, le tout nouveau Premier Ministre parti en guerre contre les oligarques algériens.

Une guerre dans laquelle les Algériens ont exprimé leur solidarité, dans la rue comme sur les réseaux sociaux, avec un Tebboune déterminé à rompre avec les habitudes fâcheuses de son prédécesseur, Abdelmalek Sellal. Et au moment où tout le monde commençait à rêver en Algérie d’une probable chute du roi des oligarques, Ali Haddad, Saïd Bouteflika est intervenu publiquement pour sauver son ami et afficher sa complicité avec celui qui a financé sans compter la campagne électorale pour le 4e mandat du président Abdelaziz Bouteflika.

Les caméras des télévisions algériennes ont immortalisé ce moment : un Said Bouteflika qui vole la vedette à Tebboune et lui lance un regard méchant alors que le Premier Ministre baisse sa tête lors d’une prière furtive. L’image est incroyable et démontre tout bonnement que Saïd Bouteflika a profité des funérailles du défunt Rédha Malek pour faire une mise au point sévère.  « Le patron, c’est moi ! », tel est le message que semble avoir adressé Saïd Bouteflika à tous les acteurs politiques de la place d’Alger.

Il n’est pas question que Tebboune jouisse de la ferveur populaire à la lumière de sa guerre contre les « méchants oligarques ». Mais que s’est-il passé pour que Saïd Bouteflika s’impose de la sorte ? La réponse à cette question renvoie à la conjoncture politique très complexe de l’Algérie. D’abord, Said Bouteflika n’a pas apprécié la place prépondérante conquise par Tebboune. Ce dernier avait pour mission de rappeler à l’ordre les hommes les plus riches en Algérie qui rebutaient les investisseurs internationaux.

« Mais il n’a jamais été question d’éliminer Ali Haddad ou de zigouiller le FCE », nous explique une source proche de l’entourage de Saïd Bouteflika. « Tebboune a fait de ce conflit avec Ali Haddad une affaire personnelle pour séduire la rue et gagner l’adhésion des Algériens. Et Saïd Bouteflika n’a pas du tout apprécié cette instrumentalisation politique », confie encore notre source. D’autres sources ont fait savoir que Saïd n’a pas voulu faire couler Ali Haddad. « Tous les oligarques algériens sont derrière Saïd Bouteflika et souhaitent de toute leur force que ce dernier se présente aux élections présidentielles de 2019. Pour garantir la pérennité du clan présidentiel, le frère du Président a besoin de ces oligarques qui peuvent financer toutes les opérations politiques dans les échéances à venir », nous explique une autre source bien introduite dans le sérail à Alger.

Un autre élément est à prendre en considération dans le contexte actuel de l’Algérie. Les amis les plus fidèles de Saïd Bouteflika sont des hommes d’affaires riches et influents. Il s’agit notamment des frères Kouninef, à savoir Karim et Réda, des amis personnels de Saïd Bouteflika. Les liens sont très étroits et forts entre les Kouninef et les Bouteflika. Le père des Kouninef est un ami de longue date d’Abdelaziz Bouteflika. Lorsque ce dernier subissait sa traversée du désert durant les années 80, Kouninef père a manifesté une solidarité sans faille. L’amitié a traversé les années.

Les Kouninef ont joué le rôle des rabatteurs des grosses fortunes en Algérie pour financer toutes les campagnes électorales d’Abdelaziz Bouteflika. Saïd a toujours prêté une oreille attentive à ses amis les Kouninef. Et comme lors du conflit entre Sellal et Ali Haddad en décembre 2016, les Kouninef ont encore convaincu Saïd de ne pas lâcher le soldat Haddad qui sera encore utile dans les prochaines épreuves.  « Saïd Bouteflika veut d’un pouvoir d’argent contrôlé et maîtrisé parce qu’il en a besoin pour gérer les rapports de force des diverses composantes du régime. Or, Tebboune a tenté tout simplement de neutraliser ce pouvoir pour le faire disparaître de la scène politique. Ce qui menaçait directement les futures ambitions du frère du président », souligne enfin un entrepreneur qui fréquente depuis de longues années le cercle proche de Saïd Bouteflika. Ce dernier n’a jamais aussi d’une aussi grande influence. Désormais, il est celui qui peut sceller les conflits et les situations les plus complexes.