En Côte d’Ivoire, le Président Ouattara est sous pression

 

A 82 ans, bientôt 83 ans l’année prochaine, le président ivoirien visiblement usé par treize années de pouvoir fait désormais tout pour rassembler son monde autour de lui. Mais il s’aliène, du coup, la majorité des Ivoiriens qui lui reprochent de ne rien entreprendre pour lutter contre la cherté de la vie.

Correspondance à Abidjan, Bati Abouè

En Côte d’Ivoire, le président ivoirien est dans sa bulle, au fond de son palais, et n’a pas daigné, encore cette année, recevoir les syndicats à l’occasion de la fête du 1er mai dédiée aux travailleurs du monde entier. Pour éviter d’être souvent aux prises avec les populations, Alassane Ouattara a en effet multiplié les nominations ces dernières années. Par exemple, il a créé un poste de haut représentant du président de la République et en a fait une nouvelle institution à côté du vice-président et du Premier ministre sensés, tous les deux, l’aider dans ses tâches quotidiennes.

Le président ivoirien dispose également d’un cabinet de 14 ministres-gouverneurs, d’un gouvernement de 33 membres et d’une ribambelle de ministres conseillers, de ministres-directeurs-de-cabinet et de ministres-gouverneurs de District. Les nominations de ces derniers jours ont ainsi servi à cadeauter des hommes de main punis autrefois pour des échecs électoraux comme l’ancien président du Sénat Jeannot Ahoussou Kouadio, battu à deux reprises chez lui aux élections sénatoriales et régionales, ou pour avoir voulu prendre ses distances avec le RHDP, le parti présidentiel comme c’est le cas de Toakeusse Mabri. D’autres amis de première heure ont été également nommés, juste pour leur donner des moyens de subsistance qui faisaient désormais défaut.

Des nominations inutiles 

Les conséquences budgétaires de ces récompenses n’ont jamais été exposées, leur utilité encore moins. De sorte qu’il a souvent fallu départager les tenants de ces entités parce qu’elles font double-emploi, d’une part ou parce qu’ils se marchaient sur les pieds, d’autre part. Or, pendant ce temps, les problèmes budgétaires s’accumulent. La dette ivoirienne cumule à plus de 25.000 milliards et le président Ouattara qui bénéficie de la complaisance des médias internationaux et de l’incurie de la pression nationale ne réussit, pour l’heure, qu’à dissimuler les graves problèmes financiers du pays en jouant de théorie sur la soutenabilité de la dette.

En revanche, certains gestes ne trompent plus. Alassane Ouattara a en effet préféré se faire représenter par son Premier ministre à la traditionnelle Fête du 1er mai qui est le rendez-vous mondial par excellence avec le monde des travailleurs. Son collaborateur n’a guère été plus patient que lui puisqu’il s’est agacé de la tonalité des discours des syndicats de travailleurs qui ont tous dénoncé une perte de pouvoir d’achat en raison de la cherté de la vie. Probablement énervé, le Premier ministre a servi une réponse d’autant plus lunaire qu’il a accusé ses hôtes d’utiliser des arguments subjectifs pour justifier la réalité de la cherté de la vie. Les Ivoiriens ont pourtant connu, coup sur coup, deux augmentations du prix de l’électricité en six mois, une augmentation du prix du carburant et une inflation globale rendant hors-d’atteinte plusieurs denrées alimentaires et particulièrement des produits de première nécessité.

La duplicité d’un Président

Ces nominations-récompenses sont également étonnantes puisque le président Ouattara assurait, en 2010, que la Côte d’Ivoire n’avait pas besoin d’un gouvernement pléthorique. « J’ai été Premier ministre de ce pays et je sais qu’on n’a pas besoin d’un gouvernement pléthorique pour bien faire (…) Voyez-vous dans les pays où j’ai eu la chance d’intervenir quand j’étais au FMI, ce sont des gouvernements de moins de 20 personnes souvent et c’est ce que je compte faire en Côte d’Ivoire. Je suis économiste, je sais gérer les dépenses ; on n’a pas besoin de créer assez de postes ministériels pour mettre à mal le budget de l’Etat », disait-il.

Malheureusement, Alassane Ouattara est rattrapé par la réalité du pouvoir. Puisqu’à moins de deux ans de l’élection présidentielle, son urgence semble de vouloir rassurer tout son monde pour qu’il soit groupé autour de lui. Car s’il se contente de scéniser des hommages régionaux avant de se déclarer candidat à un quatrième mandat, le président ivoirien se sait sous pression. Son gouvernement n’a pas su répondre aux défis sociaux, notamment en matière d’emplois, et son plan-jeunes doté d’un fonds de 365 milliards n’a pas donné de résultat tangible.

Ces échecs ont souvent rendu le parti présidentiel bien trop frileux chaque fois que l’opposition s’est montrée offensive dans la critique de l’action gouvernementale. Le secrétaire exécutif, Cissé Bacongo en était même devenu vert de colère lorsque Tidjane Thiam a affirmé, le 8 décembre 2023, qu’il n’est « pas un économiste mais un ingénieur qui fait des choses concrètes ». Ou encore quand le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) a dit vouloir aller à la reconquête du nord de la Côte d’Ivoire avec son parti. Le même scénario s’est également répété lorsque l’ancien président Laurent Gbagbo a annoncé sa candidature pour l’élection présidentielle de 2025 et a organisé une « fête de la Renaissance » à Agboville, à 79 km d’Abidjan.

Le samedi 4 mai, les partisans du chef de l’Etat organisent également une cérémonie de reconnaissance au chef de l’Etat dans la même ville. Le RHDP prévoit notamment une mobilisation supérieure à celle des partisans de Gbagbo grâce aux nombreux moyens financiers qui seront débloqués pour l’occasion. Car pour un président de la République en exercice sous pression et dont les parrains habituels semblent avoir choisi, cette fois, Tidjane Thiam, le poids de l’argent compte.