“Personne ne nous volera cette révolution”, Smockey, rappeur franco-burkinabé

De son vrai nom Serge Bambara, le rappeur Smockey, fut, avec son mouvement « Le Balai citoyen », l’un des acteurs clés du soulèvement populaire qui a conduit à la chute de l’ex président Blaise Compaoré. Lors des révoltes, son soutien au lieutenant colonel Zida à la tête de la transition lui a valu la colère d’une partie de l’opposition et de la société civile. Entretien

smockey_sankaraMondafrique. Cela fait maintenant près de deux mois que Blaise Compaoré a démissionné. Le lieutenant colonel Zida qui a pris la tête de la transition a rapidement passé le relai à un civil Michel Kafando. Quel bilan tirez-vous maintenant de cette révolte ?  

Smockey. Il faut reconnaître que les choses se sont vite calmées. Il y a eu quelques remous avec notamment la nomination d’Adama Sagnon au ministère de la culture. En tant que procureur lors de l’affaire Nobert Zongo, il avait, à l’époque, contribué à enterrer l’affaire. Sa nomination était un vrai faux-pas. Mais une fois de plus, les manifestations ont eu raison de ce dérapage et il n’est resté à son poste que quelques heures. Mis à part cet épisode, nous sommes rapidement et calmement entrés dans la transition. Il faut maintenant tout faire pour qu’elle conduise à des élections fin 2015 et qu’elle permette de poser de bonnes bases pour les autorités à venir. Les burkinabés sont conscients que ce gouvernement n’est en place que pour un an. Toutes les promesses et tous les projets annoncés aujourd’hui ne pourront être qu’amorcés.

Mondafrique. Votre mouvement « Le Balai citoyen » fut au coeur des évènements qui ont conduit à la démission de Blaise fin octobre. Quel a été votre rôle exact notamment auprès des militaires ? 

Smockey. Dès le 30 octobre au soir, nous sommes venus nous poster devant l’Etat major pour obliger les militaires à prendre leur responsabilité. Le cri de ralliement était « l’armée avec nous ! ». Le lendemain, les manifestants s’étaient massés sur la place de la révolution à Ouagadougou. Nous les avons rameuté vers l’Etat major. Nous avons appelé plusieurs grandes figures de la société civile comme Luc Marius Ibriga et Augustin Louada à nous rejoindre car il fallait créer d’urgence un consensus au niveau de la société civile. Puis, nous avons demandé à rencontrer les militaires réunis à l’Etat major. Là, nous leur avons fait part de notre opinion qui était la suivante : l’armée doit prendre ses responsabilités, ramener le calme et un pouvoir temporaire. Il faut bien comprendre qu’à ce moment là, le peuple risquait de marcher sur le palais de Kossyam et tout pouvait finir en bain de sang ! Nous leur avons demandé d’obtenir la démission de Blaise Compaoré. L’ancien chef d’Etat major de l’armée de terre, le général Honoré Nabéré Traoré, nous a d’abord répondu que Blaise était encore dans la légalité. C’était irrecevable pour nous. Il fallait que Blaise parte un point c’est tout. Les militaires se sont alors à nouveau concertés et nous ont finalement annoncé quelques minutes plus tard que Blaise partirai. Dans un premier temps, ils nous ont demandé de l’annoncer à la foule mais nous avons répondu que nous n’étions pas les messagers de l’armée. Le général Traoré a donc pris les devants pour annoncer qu’il prenait la tête de la transition mais il n’avait qu’un porte voix qui ne fonctionnait pas bien. La foule avait du mal à entendre et continuait de scander le nom du général Lougué.

M. Très rapidement, Honoré Nabéré Traoré est mis à la marge au profit du lieutenant colonel Zida. Que s’est-il passé ?

S. Au moment où on nous a assuré que Blaise partirait, Zida a été désigné par les militaires comme messager pour annoncer la nouvelle. Comme lebgénéral Traoré ne parvenait pas à se faire entendre depuis l’Etat major nous avons demandé à l’armée de venir faire une déclaration sur la place de la révolution. On a créé un cordon de sécurité pour que les officiers puissent se frayer un chemin jusque là. Sur la place on a même du soulever Zida à mains nues pour qu’il puisse annoncer le départ de Blaise et la présidence de la transition par Traoré. Mais ça ne passait toujours pas. On entendait mal et on sentait bien que les gens ne voulaient pas de Traoré perçu comme un homme très proche de Blaise. Les militaires sont donc repartis à l’Etat major et nous, les artistes, avons été chargés de garder la foule au niveau de la place de la révolution. Maître Kam, lui, a poursuivi les négociations avec les militaires à l’Etat major. A la fin des discussions, il nous a averti que Blaise annonçait son retrait officiellement. Et c’est là qu’on a vu Zida prendre les rennes et déclarer qu’il prenait la tête de la transition.

M. Pourtant, en tant que numéro deux du RSP, la garde rapproché de Blaise, Zida était lui aussi proche de l’ex président.

S. Zida, nous ne le connaissions pas. Il y a eu des discussions entre des officiers qui ont constaté que Traoré ne passait pas bien. Ils ont désigné un autre homme et nous avons dit ok. Tout ce que nous demandions c’était que l’armée prenne ses responsabilités.

M. Ce soutien aux militaires a valu au Balai citoyen de nombreuse critiques. Vous avez notamment été accusé par l’opposition et d’autres organisations de la société civile d’avoir fait le jeu de l’armée.

S. Encore une fois, sur le moment il fallait à tout prix faire en sorte que la situation ne dégénère pas. Et c’était loin d’être une démarche facile ! Quand Zida s’est déclaré président de la transition, nous avons raccompagné les militaires au camp Guillaume et une fois là-bas nous avons de nouveau discuté. Nous leur avons conseillé d’être fermes dans leur choix. Il y avait une telle cacophonie, on ne savait pas qui dirigeait le pays ! Et là nous avons eu un moment d’hésitation car les militaires ont demandé à ce que nous nous fassions photographier avec eux. Mon frère a tenté de me dissuader. Moi, j’ai dit que vu que nous avions demandé à ce l’armée intervienne, il était bon que les représentants du peuple soient vus à leur côté. De manière également à ce que tout ça ne soit pas perçu comme un coup d’Etat. J’assume comme j’ai toujours assumé. Je me souviens en 2011 quand je manifestais déjà avec ma pancarte « Blaise dégage ». Je passais pour un con aux yeux de nombreux médias. Aujourd’hui je constate que je n’avais pas tort. On nous accuse d’avoir vendu la lutte mais nous verront au sortir de la transition si nous nous sommes trompés.

M. Une partie de l’opposition affirme être la seule à pouvoir mobiliser les foules. 

S. C’est facile de dire cela alors que nous intervenons dans les quartiers les plus défavorisés sans pour autant faire de l’achat de conscience. C’est facile aussi de soulever des foules quand on paye les gens pour se mobiliser. La bonne vieille méthode ! Je rappelle que nous étions les seuls sur le terrain au moment fort du soulèvement de fin octobre. Ce n’est qu’au moment où Zida a déclaré qu’il prenait la tête de la transition que les opposants sont arrivés. En quelques minutes, on a vu leurs 4×4 débouler place de la révolution. Ca a créé du grabuge au sein de la foule qu’ils tentaient de percer avec leurs véhicules.

M. Une fois la transition annoncée vous avez également refusé de participer à la manifestation du 2 novembre organisée par l’opposition contre le pouvoir militaire.

S. En créant cette manifestation pour demander à l’armée de rendre le pouvoir aux civils, les opposants ont légitimé le rôle sécuritaire de l’armée. L’opposition aurait du se concerter, calmer ses divisions et discuter avec les militaires pour négocier la nomination d’un président civil au lieu d’appeler immédiatement à manifester. Au lieu de cela, ils ont invité les gens à se réunir la place de la révolution. Résultat, il n’y a pas eu une grande foule et l’armée en est sortie légitimée. Un de nos militants s’est tout de même fait tué par balle lors d’une altercation et l’armée a sorti son armada pour sécuriser la zone. On lui a donné la sensation qu’elle était indispensable.

M. Les autorités ont annoncé une série de promesses telles que la réouverture des dossiers Norbert Zongo et Thomas Sankara. En un an pensez-vous qu’elles seront en mesure de les tenir ?

S. On attend de voir. Le Balai citoyen reste dans son rôle de sentinelle. Mais qu’ils le veuillent ou pas ils vont devoir revenir sur ces sujets là. Il y a désormais une veille citoyenne sourcilleuse. Personne ne nous volera cette révolution. Il faut être vigilent ! Il y a toute une frange civile de l’ancien régime qui risque de revenir aux affaires avec les anciennes méthodes. Et ces personnes n’ont pas intérêt à ce que des casseroles remontent. Le gouvernement pourrait vite avoir du plomb dans l’aile si on ne fait pas attention. Quant aux militaires, je pense qu’ils seront contraints de partir si le peuple ne veut plus d’eux. Aujourd’hui on a suffisamment démontré que ce n’est pas la kalachnikov qui l’emporte dans ce pays. Par contre, la course aux calculs politiques pour les présidentielles pourrait fortement entraver le travail de la justice.

M. Briguerez-vous un poste politique ?

S. Le principe du Balai Citoyen c’est de ne pas accepter de fonction politique. Aucun élément du Balai citoyen ne sera membre du gouvernement ou du CNT. C’est dans notre Charte. Notre objectif est de rester marge et de mettre la pression quand il faut défendre le peuple. On ne peut pas être à la fois juge et partie. Notre rôle est à l’extérieur du système.

Quel impact l’insurrection a-t-elle eu sur le Balai citoyen ?

S. Il y a deux effets. D’abord on enregistre des nouveaux membres. D’abord beaucoup de gens veulent militer avec nous. Y compris certains travailleurs déçus de leurs syndicats comme des orpailleurs, des mineurs ou mêmes des employés de l’hôtel Azalaï qui a été saccagé lors de la révolte. Ensuite, on subit beaucoup d’attaques. Certains alliés d’hier veulent maintenant nous éliminer. On dérange. Une cellule a même été créée spécialement par l’opposition pour nous attaquer sur la toile. Avant c’était le CDP qui s’en prenait à nous de cette façon mais maintenant l’opposition utilise les mêmes méthodes.

M. Dans vos morceaux, vous critiquez souvent l’ingérence des anciennes colonies dans les pays africains. La France est de nouveau intervenue à travers les forces spéciales qui ont exfiltré Blaise jusqu’en Côte d’Ivoire.

S. Oui, c’est une illustration de plus de ce que j’ai toujours dit dans mes textes. Aucun pays africain n’a jamais été indépendant depuis les années 1960. On est toujours aussi dépendant. C’est ce que ce raconte dans ma chanson « Cinquante ans de dépendance. » J’attends désormais que l’on réfléchisse vraiment à la manière dont on peut accéder à une vraie indépendance. Comment se passer de ces aides extérieurs, de ces appuis techniques et financiers qui frisent souvent avec l’ingérence ? Thomas Sankara détenait une partie de la réponse. Pousser à la consommation burkinabé est un bon exemple de mesure possible. Ce n’est pas en applaudissant en permanence les organisations internationales qui viennent nous dire comment gérer notre pays qu’on y arrivera. Il y a plus de 16 000 associations et ONG au Burkina et pourtant on est toujours l’un des pays les plus pauvres du monde. C’est bien que ça ne marche pas ! Les projets financés sont souvent des gouttes d’eau dans l’océan. Ils entretiennent parfois la pauvreté et arrange bien souvent les expatriés. Il faut avoir le courage politique d’arrêter tout ça.

M. Quels sont vos projets musicaux à venir ?

S. Là je m’apprête à sortir un double album. Viendra ensuite la préparation du spectacle qui devra l’accompagner. J’y aborde l’actualité politique de mon pays. l’ironie de l’histoire c’est que tout ce que j’avais écrit il y a deux ans déjà est devenu réalité. Donc finalement ce sera comme une réactualisation de mes anciens titres !