Tunisie, Youssef Chahed sur un siège éjectable

A l’occasion de la fête du travail, on a assisté, le mardi 1er mai, à une poignée de main entre le président de la République Béji Caïd Essebsi et le chef du gouvernement Youssef Chahed. Est ce la confiance retrouvée entre les deux hommes? Ou le baiser de la mort?

Alors que des électeurs peu enthousiastes votent dimanche prochain, pour des élections municipales sans relief, le Premier ministre, Youssef Chahed, pourrait bien céder sa place au très consensuel ministre de la Défense, Abdelkrim Zbidi.

Le vieux président tunisien Beji Caïd Essebsi, surnommé BCE, qui avait choisi, voici deux ans, un jeune Premier ministre, Youssef Chahed, ingénieur agronome sans expérience politique ni faits d’armes particulier sauf d’appartenir à la propre famille du chef de l’Etat, a-t-il vraiment le choix? Politicien rusé qui donne toujours du temps au temps et retarde le moment d’arbitrer, BCE peut il encore attendre?

L’abstention record qui pourrait marquer le scrutin municipal de dimanche prochain montre que le peuple tunisien, sept ans après le départ du président Ben Ali en janvier 2011, ne croit plus à la capacité du gouvernement de sortir des ornières actuelles. Alors qu’un pays au bord de la faillite peine à payer les retraites, l’actuel Premier ministre, Youssef Chahed,  n’a plus guère de cartes à jouer. Après une alliance sans lendemains avec Chahed , le puissant syndicat tunisien et principal contrepouvoir depuis l’indépendance des présidents Bourguiba et Ben Ali, l’UGTT, demande sa tète avec insistance. Un signe qui ne trompe pas, des réunions politiques ont lieu au Palais de Carthage entre les conseillers du Président et des représentants de la société civile ( dont les partenaires sociaux) en l’absence du Premier ministre.

L’isolement de Youssef Chahed

Politiquement, la grande coalition que Beji et Chahed avaient cru pouvoir former avec les islamistes a paralysé le pays plus qu’elle n’a favorisé de possibles réformes. L’alliance entre Ennahdha et Nida Tounes, le parti présidentiel, bat tous les records d’impopularité à force de fonctionner avec les réflexes de l’ancien parti unique en vogue sous la dictature de Ben Ali. Seuls aujourd’hui les proches du leader d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, soutiennent encore le Premier ministre comme la corde soutient le pendu, avec l’espoir de s’ancrer durablement aux portes du pouvoir.

Dans le sérail politique, les voix s’élèvent toujours plus nombreuses en faveur d’une recomposition de la majorité au pouvoir qui devra, dans une année à peine, affronter des élections législatives et présidentielles. Au sein de la coalition centriste et hétéroclite qui regroupe aujourd’hui onze partis -dont des dissidents de Nida Tounes et des Benalistes éclairés, dont certains financés par les Emiratis-, les appétits d’aiguisent. Quand le président tunisien, implorent-ils, tournera-t-il enfin le dos au Pacte improbable qu’il a scellé avec les islamistes?

Le retour des sahéliens

A quatre jours du scrutin, le sérail tunisien évoque avec insistance la possible nomination de l’actuel ministre de la Défense, Abdelkrim Zbidi, qui a toujours eu la confiance du président tunisien. Autant les élites à Tunis, y compris au sein du ministère de l’Intérieur, répugnent à un scénario à l’égyptienne, où un Sissi tunisien remettrait le pays sur les rails économiques et sécuritaires, autant des voix nombreuses appellent à un renforcement du pouvoir exécutif et à la restauration de l’autorité de l’Etat.

Or Abdelkrim Zbidi semble tout désigné pour ce possible redressement. Ministre de la Défense pratiquement sans interruption depuis le départ de Ben Ali en janvier 2011 après avoir été un discret ministre de la santé de Ben Ali, ce professeur de médecine a appris à cohabiter avec les islamistes et est apprécié de la plupart des politiques tunisiens, à l’exception du fantasque Moncef Marzouki, éphémère président d’une République tunisienne renaissante après les élections constituantes d’octobre 2011.

Sous le règne de Zbidi, l’armée tunisienne s’est renforcée autant en moyens qu’en influence. Cela tombe bien voici un an, Beji a créé un conseil de sécurité au Palais de Carthage, une sorte  de gouvernement bis dirigé par un contre amiral, Kamel Akrout. Or Akrout et Sbidi s’entendent fort bien. L’attelage ainsi imaginé bénéficierait de la collaboration entière du ministre de l’Intérieur, Lotfi Brahem, longtemps le patron de la garde nationale, l’équivalent de la gendarmerie et un corps militaire même s’il est rattaché au ministère de l’Intérieur.

La nomination de l’actuel ministre de la Défense ferait des forces sécuritaires, mais sans s’en vanter publiquement, le discret tuteur d’un pouvoir renforcé et rassemblé.

Cerise sur le gâteau, presque tout ce petit monde qui va de Brahem (Intérieur) à Zbidi (Défense) est originaire de la région toujours privilégiée du Sahel qui s’étend autour des villes prospères de  Monastir et de Sousse. C’est le creuset d’où sont toujours venues, sous Bourguiba comme sous Ben Ali, les élites tunisiennes.

Du neuf avec de l’ancien, voci ce que pourrait nous proposer le Président tunsien condamné à trancher.

Article précédentCentrafrique, le président Touadéra sous influence
Article suivantLe Cameroun inquiète l’Elysée
Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)

4 Commentaires

  1. C’est possible, mais sachez Mr, que la Garde Nationale a été depuis sa création le 06/09/1956 une direction générale du Ministère de l’Intérieur et et son affiliation au Ministère de la Défense se limite à son commandement à deux reprises par des officiers de l’armée.

  2. Prière d’attacher le guignol-ambassadeur de la France en Tunisie à son siège car il est en train de semer la zizanie…

  3. A ce que je sache la garde nationale, contrairement à beaucoup de régimes, est rattachée au ministère de l’intérieur

Les commentaires sont fermés.