Elections en Côte d’Ivoire : 2010 dans la peau, 2020 dans la tête

Demain dimanche 25 octobre, 6 millions d’ivoiriens sont appelés à voter pour leur futur président. Si le calme règne dans les rues d’Abidjan, le traumatisme de 2010 est encore dans les esprits. Face à la victoire quasi certaine d’Alassane Ouattara, les regards se tournent déjà vers les élections de 2020.

La nuit se lève sans bruit sur la lagune d’Abidjan à la veille de la présidentielle du dimanche 25 octobre. La ville a retrouvé son calme à peine troublé la veille par le défilé de la caravane du président Alassane Ouattara qui avait immobilisé une partie du trafic sur son passage. Sur la place de la République, dans le quartier d’affaires du Plateau où le cortège a pris fin, l’estrade et les écrans géants qui ont accompagné en fanfare la cérémonie de clôture de campagne ont été nettoyés vitesse grand V. « C’est plié » rigole un jeune homme assis sur les marches de la direction générale des douanes qui fait face à la place.

En guise de cérémonie de clôture, c’est en effet plutôt une fête avant la victoire que le candidat président a donné à voir à coups de feux d’artifices et de coupé-décalé. Une célébration qui n’a pas été du gout de tout le monde. « Même si les jeux sont faits, c’est provocateur. Et ici, mieux vaut ne pas provoquer pendant des élections » relève un journaliste de la place.

2010, la mémoire à vif

Malgré le calme qui règne dans la ville et le peu d’enthousiasme qui a marqué la campagne jusqu’au bout, il plane comme un léger parfum d’angoisse. Les atrocités de la crise post électorale de 2010 ont laissé des cicatrices que le dispositif sécuritaire déployé dans la capitale ne peut effacer. « Beaucoup de gens sont partis pour aller au village quelques jours. Au cas ou. » explique Kassi, gardien de supermarché dans le quartier des 2 Plateaux, affirmant avoir lui même envoyé ses enfants vers Dabou, à l’ouest de la capitale. « J’ai pris aussi des sacs de riz en réserve au cas où on ne pourrait pas sortir ». En 2010 se souvient-il. « Il y avait des cadavres sur le sol. A Abobo chez les dioula ça chauffait trop. On ne veut plus revivre ça ».

Un journaliste ivoirien ne croit pas à un retour du passé. « Je ne pense pas qu’il y aura des débordements. Peut-être des incidents mais rien de comparable à 2010. Il n’empêche que les gens sont traumatisés. » Parmis les expatriés français, même si on se veut confiants, les mauvais souvenirs reviennent à la charge. « Dans certaines entreprises françaises, on a choisi de profiter des vacances de la Toussaint pour partir ou envoyer les enfants ailleurs » assure un français résidant à Abidjan.

A l’entrée de la commune de Yopougon, fief historique de Gbagbo, une grande affiche appelle à la prévention de la violence électorale dans cette zone où de nombreux habitants avaient été tués ou blessés en 2010. Faitai, la quarantaine, coiffeuse dans un salon, confie un peu gênée qu’elle n’ira pas voter dimanche. « Ca ne m’intérese pas » explique-t-elle avant d’ajouter que si elle y avait été elle aurait voté pour le FPI, le parti fondé par Laurent Gbagbo. « Ici on ne vote pas pour Ouattara même si c’est lui qui va gagner » tranche-t-elle. « Mais on ne veut pas la guerre. Les gens ont trop souffert en 2010. »

2020, la star de 2015

Cinq ans plus tard, les résultats attendus de la compétition électorale laissent peu de place au doute. La principale inconnue reste le taux d’abstention qui, s’il s’avère élevé, pourrait décrédibiliser la victoire, même massive, du président sortant. S’il est réélu, l’un des premiers tests pour Alassane Ouattara sera le choix de la composition du prochain gouvernement. Régulièrement épinglés par la presse et les institutions internationales, plusieurs ministres actuels proches du président sont impliqués dans d’importantes affaires de corruption. Seront-ils remplacés ?

Reste que dans les milieux politiques ivoiriens tout comme dans les réunions d’expatriés, la véritable star du scrutin de 2015 est en réalité… celui de 2020. « C’est là que tout se joue » affirme un fin connaisseur de la politique ivoirienne en pointant le très probable retour au pouvoir du PDCI, le parti de l’ex président Henri Konnan Bédié allié au RDR d’Alassane Ouattara pour 2015. Une alternance que plusieurs hommes forts du RDR qui ne cachent pas leurs ambitions présidentielles dont Guillaume Soro ou Hamed Bakayoko, ne sont sans doute pas prêts à accepter si facilement. « Et là ça va être chaud » s’inquiète un journaliste ivoirien.

Pour l’heure, 6 millions d’ivoiriens sont appelés à voter demain entre 7 et 17h.