Alger, les dessous de la fortune d’Ali Haddad

La journaliste d’investigation Salima Tlemcani révèle dans El Watan les dessous de l’enquête de la justice algérienne sur les passe droits innombrables dont a bénéficié l’ancien patron des patrons, Ali Haddad, un des oligarques aujourd’hui détenu et un des oligarques les plus proches de Said Bouteflika, le frère de l’ancien président.

Au moment où il tentait de rejoindre la Tunisie, par le poste frontalier d’Oum Tboul, à Taref, vers 4h, en cette journée du 31 mars 2019, raconte Salima Tlemcani, l’influent homme d’affaires Ali Haddad, patron du groupe ETRHB et ex-dirigeant du Forum des chefs d’entreprise (FCE), ne s’attendait certainement pas à ce qu’il soit placé en détention, que son empire s’écroule comme un château de cartes et que son ami et protecteur, Saïd Bouteflika, frère-conseiller du Président déchu, ne pourra plus lui être utile. Son appel à l’aide qu’il lui a lancé à travers un SMS à 4h52, alors qu’il se trouvait bloqué au poste frontalier, est resté sans réponse.

Un discret avertissement

Il faut constater que son arrestation, largement filmée, a fait l’objet d’un maximum de publicité, comme s’il s’était agi de lancer un discret avertissement à tous ses amis, notamment ceux qu’il compte en France, où il bénéficiait de nombreux relais. Rappelons que lors du voyage qu’Emmanuel Macron fit à Alger durant sa campagne électorale, ce fut Ali Haddad qui le cornaqua pendant une grande partie de son séjour.

Même si les plus avertis savaient que l’empire financier détenu par l’ex-patron du FCE (patronat algérien) est en grande partie le résultat de l’hégémonie de ce dernier sur les marchés publics et l’argent des banques (publiques), constate la journaliste d’El Watan, les conclusions de l’enquête préliminaire ont fait état de révélations hallucinantes, de chiffres à donner le vertige et de pratiques de rapine incroyables. Ainsi, l’on apprend que depuis l’année 2000, coïncidant avec l’arrivée de Bouteflika à El Mouradia, jusqu’à 2019, le groupe ETRHB a bénéficié de 124 marchés publics (dont la plus grande partie entre 2012 et 2018), d’un montant de 78 410 milliards de centimes.

89 marchés de travaux publics

Lenquète du prestigieux quotidien algérien révèle que le secteur des travaux publics occupe la première position avec 99 marchés, pour une enveloppe de 56 430 milliards de centimes, suivi de l’hydraulique avec 23 marchés d’un montant de 21 719 milliards de centimes, puis de l’énergie et des mines avec 2 marchés de plus de 261 milliards de centimes. Pour les enquêteurs, le statut de privilégié accordé à Ali Haddad n’a été possible que grâce à sa relation assez solide avec Saïd Bouteflika, frère du Président déchu. Un statut qui va lui permettre de bénéficier de 452 crédits auprès des banques, pour un montant de 211 000 milliards de centimes, dont 167 000 milliards de centimes, soit 83%, ont été accordés par des banques publiques, à leur tête le CPA (Crédit populaire d’Algérie), avec 73 000 milliards de centimes, soit 43% des montants prêtés.

Comment se fait-il que ni les banques ni les structures de contrôle financier, comme la CTRF (Cellule du traitement du renseignement financier) ou la Banque d’Algérie, n’ont décelé de telles situations, sachant que le rapport préliminaire affirme que le nombre d’incidents de remboursement ont atteint 88, dont seulement 4 ont été remboursés par le groupe ETRHB ? L’enquête s’est attardée sur chaque marché obtenu par Ali Haddad dans des conditions douteuses et explique comment ce dernier s’arrangeait pour être dans des groupements de sociétés avec, comme chef de file, des entreprises étrangères – le portugais Teixeira, les turcs Mapa et Ozgun, les chinois CSCEC et Chec, l’italien Rizzani Todini, les espagnoles Ofcc, Inerica, Enyse – pour qu’elles bénéficient de la plus grande partie des montants transférables à l’étranger.

55 millions l’hôtel Palace à Barcelone…

Une pratique qui, selon les enquêteurs, aurait permis à Ali Haddad d’ériger des fortunes à l’étranger et d’acheter à Barcelone, en Espagne, l’hôtel Palace pour un montant de 55 millions d’euros, dont 44 millions proviennent d’un crédit alloué par une banque espagnole, alors que 10 millions d’euros ont été avancés par deux sociétés (5 millions d’euros pour chacune des sociétés Mapa et Teixeira Duarte), des chefs de file dans des groupements avec Haddad en Algérie.

L’enquête révèle en outre que la majorité des projets confiés à Ali Haddad ont vu leur prix augmenter et fait l’objet, par la suite, d’avenants qui ont suscité de lourdes pertes financières. Cité a titre d’exemple, le montant des travaux d’aménagement des gorges de Kherrata, sur la RN9, arrêté à 3 526 333 646 DA et 89 350 880 millions d’euros, a connu, après la signature de l’avenant (02) une hausse de 1 250 954 582 DA et de 8 903 685 euros, soit une augmentation de 59% pour la partie en dinars et de 99,6% pour la partie en devises, avec une prolongation du délai de réalisation de 14 mois.

De nombreuses violations de la réglementation sont relevées en ce qui concerne le marché de réalisation de la ligne de tramway Alger-Est, confié à Haddad, qui a soumissionné avec Meditrail et Alstom comme chef de file, pour un montant de 3263 milliards de centimes, dont une grande partie, soit 2300 milliards de centimes, transférée en devises. Ce marché a connu 19 avenants ayant suscité une hausse de 88% du montant initial, ce qui est contraire à la réglementation qui limite à 10% seulement la hausse par rapport au montant initial, en cas d’avenants. Mieux encore, même les délais de réalisation arrêtés à 32 mois dès le lancement des travaux, en mars 2007, n’ont pas été respectés, puisque le projet s’est terminé en 2018. Autre anomalie relevée : le changement opéré à l’avenant 02 pour ajouter une nouvelle ligne Est, qui aurait dû passer par un nouvel avis d’appel d’offres (…) »

Mondafrique avait consacré une longue enquête à Ali Haddad alors qu’il était encore au sommet de sa gloire et de son influence