Au Liban, l’enquête bâclée du meurtre de Joe Bejjani

Ancien employé de communication et photographe militaire amateur, Joe Bejjani a été abattu en décembre 2020 par deux hommes alors qu’il se trouvait dans sa voiture. L’ONG Humain Rights Watch a dénoncé dans un rapport les négligences des autorités dans l’enquête chargée de retrouver et condamner les assaillants.

21 décembre 2020. Dans le village de Kahaleh, à environ 15 kilomètres de Beyrouth. Joe Bejjani, 37 ans, ancien employé de télécommunications et photographe militaire amateur, grimpe dans sa voiture. Il est sur le point d’emmener ses enfants à l’école. Quelques secondes après s’être installé, deux hommes masquées surgissent et l’abattent.

Des images provenant de caméras de surveillance ont circulé sur internet. Elles montrent la victime grimper à bord de son véhicule et fermer sa porte lorsque deux hommes sont sortis d’une cage d’escalier, qui se connectait à la route au-dessus de son immeuble. L’un des assaillants, portant seulement un masque médical pour cacher son visage, a rapidement ouvert la porte de la voiture et a tiré sur M. Bejjani. L’autre homme portait un casque de moto, un sac à dos et un paquet ressemblant à une boîte à outils. 

Une enquête est ouverte. Elle est menée par le Département de l’information des Forces de sécurité intérieure (FSI) qui disposeraient, selon les avocats interrogés par l’organisation, des capacités techniques les plus avancées pour enquêter sur des crimes présumés. Un rapport publié au début du mois de février 2022 par l’ONG Human Rights Watch indique que cette enquête à souffert de nombreuses négligences de la part des autorités. Pour ettayer ses propos, HRW a enquêté : elle a mené des entretiens avec des proches de la victime, des avocats, des journalistes, des spécialistes du droit pénal et des sources proches de la famille au Liban, et a consulté les dossiers de police et les vidéos des scènes de crime disponibles.

Faux noms, absence de sécurisation

Il apparaît par exemple clairement dans des vidéos que les forces de sécurité n’ont pas sécurisé la scène du crime. Cela a « permis à des hommes en civil non identifiés de toucher les voitures dans lesquelles ont été retrouvés les corps de Slim et Bejjani, au risque de détruire d’éventuels indices ». Les forces de sécurité ont notamment consulté les téléphones et des équipements électroniques des familles, dont elles ont effacé certaines données, selon l’ONG.

Ce n’est pas tout. Dans l’affaire Bejjani, HRW indique que les agents du Département de l’information ont donné un « faux nom aux familles des victimes : ‘Jad Daou’. Ce nom serait une version arabisée de l’américain ‘John Doe’ (c’est-à-dire ‘Monsieur Tout-le-monde’). Les avocats signalent que la loi nationale interdit aux agents des forces de sécurité de donner de faux noms ».

Le rapport rappelle que certains médias avaient affirmé que Joe Bejjani avait été l’un des premiers photographes à arriver au port de Beyrouth après l’explosion du 4 août 20200, et que sa famille avait démenti cela. Il publie néanmoins des tweets postés par la victime sur son compte, quelques jours après l’explosion, et dans lesquels Joe Bejjani évoquait le hangar 12 et le fait qu’il avait décidé d’arrêter la photographie militaire au Liban.

« Faiblesse de l’Etat de droit »

L’affaire Joe Bejjani a (malheureusement), toujours selon HRW, connu le même dénouement que trois autres affaires — politiquement sensibles — de meurtres au Liban, rejoignant a liste des meurtres non-résolus et des enquêtes bâclées qui « rappellent les dangereuses faiblesses de l’état de droit libanais face à des élites intouchables et des groupes armés », a déclaré Aya Majzoub, chercheuse sur le Liban à Human Rights Watch.  « Les forces de sécurité et le pouvoir judiciaire, qui reçoivent de généreux subsides et des formations des pays donateurs, disposent des capacités techniques d’enquêter sur ces meurtres, mais ils n’ont identifié aucun suspect dans ces affaires sensibles et ils ont négligé des pistes évidentes », poursuit-elle.

« Les violations de la procédure, l’abandon de pistes politiquement sensibles et l’incapacité à identifier des suspects jettent le doute sur le professionnalisme et l’impartialité des forces de l’ordre au Liban, et par suite sur la justice et l’établissement des responsabilités », explique le rapport de l’ONG. Il ajoute que les manquements dans les enquêtes montrent « que les généreuses contributions de donateurs visant à financer et former les forces de sécurité et le pouvoir judiciaire n’ont pas permis de renforcer l’état de droit ».