Le poète iranien Baktash Abtin, mort en captivité le 8 janvier 2022

Une solidarité plus forte que la répression. Le mur de l’oppression s’est fissuré en Iran. La mort du prisonnier politique Baktash Abtin, écrivain et poète que le régime avait refusé de soigner en prison contre le coronavirus, le confirme. Sa mort a déclenché une vague de haine sociale et internationale contre le régime des mollahs, à tel point qu’au moment même de la mort d’Abtin Bektash dans la tristement célèbre prison d’Evin, ses codétenus ont ignoré la menace des Gardiens de la révolution et scandé « Mort au dictateur ».

Une chronique de Hamid Enayat

« La mort est très bon marché et disponible dans notre pays »

Cette phrase est l’un des célèbre vers du poète Baktash Abtin, mort en captivité le 8 janvier 2022. Un poète emprisonné pour avoir écrit pour la liberté et protesté contre la « mort bon marché et accessible » et pour ne pas avoir cédé à la répression des mollahs. Alors qu’il était dans l’un des moments les plus critiques de sa maladie, et que ses bourreaux auraient du le faire admettre à l’hôpital, ils l’ont juste enchaîné vers la mort.

« L’état de notre société aujourd’hui est que nous avons suffisamment de bons artistes », a-t-il déclaré avant sa mort. « Ce qui nous manque, c’est qu’une série de personnes se battent. Et je voudrais sacrifier ma chère vie avec force aujourd’hui dans ma jeunesse. »Il est la dernière victime en date des meurtres en série des mollahs, habitués aux assassinats d’écrivains, de poètes et d’artistes depuis 1992. La mort de Baktash Abtin montre cependant bien une chose : que, comme en 1992, les meurtres prémédités n’engendrent pas les résultats escomptés par les mollahs. La société ne peut plus rester silencieuse et repliée sur elle-même, car il existe une grande solidarité et une forte volonté de ne pas se rendre au statu quo, plus puissant et plus fort encore que la répression.

Les peuples d’Iran se soulèvent

Depuis un an un soulèvement contre la théocratie au moins a lieu tous les quatre mois. Il est clair qu’il existe une forte solidarité au sein du peuple iranien. Une solidarité qui se mesure à chaque contestation, à chaque soulèvement, à chaque émeute. On le voit au Khouzestan et à Ispahan, on l’entend dans le rugissement des « mort au dictateur » dans la prison d’Evin ou encore parmi les familles des passagers tuées dans le crash de l’avion ukrainien.

Les réactions à la mort de Baktash Abtin indiquent clairement que la situation a changé. Non seulement la « peur » a changé de front, mais l’idée même de mourir pour la liberté et de se moquer de la mort se répand. C’est ce qui sonne le glas de la théocratie iranienne.

Le soulèvement de la mi-novembre 2019, au cours duquel plusieurs milliers de jeunes insurgés ont été tués par des tirs directs sur ordre d’Ali Khamenei, a sonné comme un nouveau départ de cette mort pour la liberté. C’est la poussée verte sur les fosses communes des 30 000 martyrs du massacre de 1988, tués en quelques mois simplement parce qu’ils n’étaient pas d’accord avec Khomeiny et ne se soumettaient pas à ses croyances. Baktash Abtin n’est pas un simple exemple de plus. Lorsqu’une société dans son ensemble atteint le stade d’Abtin Baktash, prêt à sacrifier sa chère vie, il devient invulnérable à la répression. La manifestation de centaines de milliers d’enseignants le 13 décembre, malgré toutes les mesures prises par le régime pour l’interdire, est la preuve de cette affirmation.

Quand la répression ne fonctionne plus, que reste-t-il aux tyrans ?

Dans une vidéo largement publiée sur les médias sociaux, Les mères des jeunes rebelles tombés pour la liberté à la mi-novembre 2019, scandant le slogan de la mort au dictateur, affirment qu’elles résisteront jusqu’au renversement de la République islamique. Au Chili aussi, les mères des combattants disparus de force ont mis à genoux le dictateur Pinochet. La statue de Soleimani, icône du massacre du peuple syrien et du terrorisme du régime dans la région, a été incendiée par des jeunes rebelles le 7 janvier dans la ville kurde de la province de Chaharmahal-Bakhtiari, et les affiches à son effigie ont été déchirées dans d’autres villes

La politique de Khamenei de construire une bombe atomique et de développer un missile qui a plongé le peuple iranien dans une pauvreté sans pareille. La jeunesse insurgée a ainsi frappé le mur de l’oppression pour l’effondrer. C’est la réponse de la société aux délires répressifs et guerriers de dirigeants déconnectés des réalités !Le guide suprême Ali Khamenei a écarté volontairement la partie dite réformiste du régime et nommé Ebrahim Raïssi à la présidence afin qu’il puisse résister aux violentes vagues de soulèvements et de protestations populaires. Raïssi devait être un facteur de survie du régime et de Khamenei lui-même. Mais force est de constater que cela n’a jamais fonctionné. Et que cela ne fonctionnera jamais. Le soulèvement d’Ispahan et des enseignants en est la preuve. Au contraire, il est devenu un indicateur de l’ère du renversement du régime. Comme le Shah l’avait en son temps expérimenté à la fin de sa dictature en nommant le commandant Azhari ; Khamenei a également signé l’impasse complète du régime et sa fin en faisant élire Ebrahim Raïssi.

 

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)