L’attentat suspect du RER parisien en 1995 (IV volet)

Lors d’un colloque à La Sorbonne en juin 2001, l’écrivain Sadek Sellam, sous le pseudonyme d’Hamid Lamine, dressait un bilan des responsabilités françaises dans le coup d’état de 1992 qui écartait le président Chadli du pouvoir. Voici le quatrième volet de ce texte fondateur

DE L’ATTENTAT DU RER A PARIS (1995) AUX MASSACRES EN ALGERIE (1997)

L’implication française aux côtés des généraux était telle que l’offre de paix faite à Rome en janvier 1995 par les représentants de 80% de l’électorat algérien (et à laquelle le président « dialoguiste » et sans réel pouvoir, L. Zéroual, a commencé à s’intéresser) n’a rencontré aucun écho favorable chez les vrais décideurs de la politique française en Algérie. Le conditionnement de l’opinion a atteint des niveaux tels que tout défenseur des « Romains » passait pour un suppôt des islamistes. Seule la diplomatie (rendue déclarative malgré lui) de Juppé a manifesté de l’intérêt pour cette proposition de retour à la paix et à la démocratie. D’où la panique des généraux quand ce dernier a été nommé premier ministre.

En quète d’un nouveau Pasqua

Selon certaines suppositions, les bombes du RER, en juillet 1995n’auraient été qu’un avertissement des généraux affligés d’avoir perdu leur Pasqua. J.-L. Debré, alors ministre de l’Intérieur, a ainsi supposé publiquement que « c’est peut-être les services secrets algériens » qui auraient été derrière cette vague d’attentats [27] . Cette hypothèse a été confortée par les déclarations faites à Londres, puis à Paris par d’anciens officiers de renseignement en rupture avec leur hiérarchie, puis par les révélations très précises mises sur le site internet du Maol. Les ambassades d’Algérie à Londres et à Paris se contentaient de faire publier de tièdes démentis après ces graves accusations, et se gardaient bien de porter plainte. Alors que l’ambassadeur d’Algérie au Caire n’avait pas hésité à traîner devant les tribunaux le journaliste égyptien Fahmi Houéidi, l’un des premiers à avoir évoqué dans ses éditoriaux l’éventualité de la manipulation du terrorisme « islamiste ». La différence de réaction des diplomates algériens tient à la certitude d’avoir un verdict favorable au Caire, où la justice n’est pas plus libre qu’en Algérie, et à la crainte des débats qui auraient suivi des procès intentés en Angleterre ou en France.

Les velléités qu’aurait eues Chirac d’aider le président Zéroual à s’imposer face au « cabinet noir » sont restées sans suite. La promesse faite en novembre 1995 par le président algérien élu d’organiser des élections législatives libres dans le semestre à venir n’a pu être partiellement tenue qu’en juin 1997Ce qui en dit long sur les luttes au sommet de l’Etat qui avaient pour principal enjeu le monopole des négociations avec le FIS.

Zéroual et son principal conseiller, le général Betchine, négociaient avec les politiques du parti dissous pour avoir gagné en 1991. L’Etat-Major de l’armée semble avoir reporté sur le couple Zéroual-Bétchine le vieux soupçon de vouloir s’entendre avec les islamistes aux dépens des éradicateurs. C’est ce reproche qui attira à Hamrouche puis à Chadli les foudres du clan dont la principale idée consiste à reprocher aux islamistes du FIS de pouvoir gagner les élections en se passant des alliances qui leur auraient rapporté le label – élogieux – de « modérés ».

Automne 1997, l’heure des massacres

Ce conflit a été aggravé du fait de la négociation secrète par les militaires d’une trêve avec l’AIS, le bras armé des radicaux du FIS. La conclusion de cet accord en septembre 1997 a été suivie par les massacres collectifs de Raïs, Bentalha, Sidi Hammad et Béni-Messous, après lesquels a été posé le problème de la passivité, voire de la complicité de l’armée. L’ambassade de France à Alger craignait pour la sécurité des habitués algériens de sa Garden-Party du 14 juillet et a communiqué leurs noms aux services de sécurité en les priant d’assurer leur protection rapprochée. Le chef d’un parti démocrate signataire de la plate-forme de Rome s’est permis d’interroger l’ambassadeur de France sur les raisons de l’absence sur cette liste du nom d’Abdelkader Hachani [28] . L’ambassadeur lui répondit que ce dernier ne faisait pas partie des « amis de la France » [29] ! Ce qui en dit long sur le sens de « l’équidistance » et de la « neutralité » mentionnées régulièrement dans les communiqués du Quai d’Orsay.

En France le débat sur « qui tue qui ? » a permis aux éradicateurs de bénéficier du concours de polémistes, comme Bernard-Henri Lévy et A. Gluksman. Les conditionnements de l’opinion à partir de 1992 étaient tellement bien réussis que ces anciens « nouveaux philosophes » à la recherche de causes à défendre, et avides de médiatisation, ont pu se faire passer pour des réincarnations du Malraux des années 30, mais en prenant fait et cause pour les émules algériens de Franco. Le savoir-faire médiatique de ces « moralistes » peu soucieux de véracité leur permettait de récupérer au profit de leurs seuls amis « éradicateurs » les manifestations destinées initialement à exprimer une solidarité avec l’ensemble du peuple algérien.

La France officielle était sous le régime de la cohabitation qui a contribué au maintien de l’immobilisme concernant l’Algérie, qu’abritaient des prises de position formelles mêlant beaucoup de « Realpolitik » à un peu d’humanisme verbal. L. Jospin, qui récusait la vision purement géopolitique au nom d’une conception post-mitterrandienne de la « gauche morale » a vite oublié les envolées de sa campagne électorale sur le respect des droits de l’homme et le retour à la démocratie en Algérie. Il a rapidement pris ses distances avec les idées inspirées par le FFS d’Aït Ahmed à l’Internationale Socialiste. L’arrivée des socialistes marocains au pouvoir a été suivie d’un désintérêt du gouvernement français pour l’Algérie au profit du Maroc. Quand le premier ministre est devenu ouvertement candidat à l’élection présidentielle, il a montré l’importance accordée aux relations avec Israël dans sa « cosmogonie » politique. Au nom de cette priorité, il a assumé des mésaventures comme l’équipée de l’Université de Bir-Zéit, où il a découvert que le sans-gêne des étudiants palestiniens encore attachés à des convictions est sensiblement différent de la docilité des Beurs du PS à la recherche de strapontins ou de subventions.

L’Algérie compte peu dans les choix du premier ministre. Il s’en est tenu aux stricts impératifs sécuritaires qui ont, en partie, justifié la nomination au ministère de l’Intérieur de J.-P. Chevènement, un homme rassurant pour les hommes forts d’Alger. Dans une séance au Sénat, ce souverainiste – que les Arabes à la recherche d’ « amis français » jugent encore en souvenir de sa démission lors de la guerre contre l’Irak, sans tenir compte de son soutien à l’extermination des musulmans de Bosnie, du Kosovo et de Tchétchénie – a expliqué son soutien à la Concorde Civile en se référant à des partisans de « l’intégrisme éradicateur » [30] comme S. Sadi et R. Malek. A Alger, on comptait beaucoup sur celui qui avait accru autant que Pasqua la coopération policière entre les deux pays pour plaider le dossier de la relance d’une « coopération franco-algérienne exemplaire », sur le plan économique notamment. Mais le ministre de l’Intérieur de la « Gauche Plurielle » n’était plus suffisamment influent au moment où Bouteflika est venu à Paris demander une incitation des investisseurs français à créer des emplois en Algérie. A cette période, Jospin avait déjà choisi le Maroc en raison de l’indulgence rapportée au royaume chérifien, y compris chez les militants des Droits de l’Homme, par l’acceptation, sans conditions rédhibitoires, de la normalisation avec Israël [31] . Les quelques « pro-Arabes » du PS abusés par la nostalgie du passé tiers-mondiste de Jospin et refusant de prendre acte des revirements imposés à leur mentor par son nouvel entourage(à la fois familial et politique) auront pesé de peu de poids dans ces choix.

[27] Entretien avec le rédacteur de Ouest-France, J.-Y. Boullic, qui avait assisté à un entretien à bâtons rompus avec J.-L.Debré, dont les déclarations à ce sujet ont été largement reproduites. La rupture de Debré avec la mosquée de Paris résultait sans doute de ces sérieux soupçons. En juin 1997, le recteur a profité du retour de la droite dans l’opposition pour reprocher dans le Figaro à l’ancien ministre de n’avoir pas expulsé vers l’Algérie assez d’imams « islamistes ». En opposant le laxisme attribué à Debré à la fermeté de Pasqua et de Chevènement, le recteur n’a fait qu’exprimer les préférences des  « éradicateurs » algériens dont il dépend financièrement et politiquement.

[28] Qui a fini par être assassiné le 23 novembre 1999, sans doute pour avoir été mêlé à des tractations destinées a réaliser une « Réconciliation Nationale »(sur laquelle a insisté le message de condoléances de Boutéflika), afin de remédier aux insuffisances de la « Concorde Civile ».

[29] Entretien avec F.T. A cette période, J.-F. Kahn, B.-H.Lévy, A. Gluksman et P.M. de la Gorce voulaient interdire que soit posée la question: « Qui tue qui? » Alors que les Français étaient mieux renseignés que les services britanniques qui découvrirent que le journal Al Ansar, publié à Londres au nom du mystérieux GIA, recevait des consignes d’une caserne d’Alger. Voir Paris-Match du 9 octobre 1997. Le colonel dissident Habib Samraoui a révélé que le GIA a été créé par ses collaborateurs du temps où il était l’adjoint du responsable du Contre-Espionnage à Alger. Emission Bila Houdoud (Sans Frontières), 1er  août 2001, chaîne El Djazira, Qatar. On aurait aimé entendre les réactions de ces relais parisiens des éradicateurs algériens, après l’accumulation de ces révélations. Jean Daniel, qui avait interpellé sans nuances l’ensemble du « peuple musulman de France »(sic) après les attentats de juillet 1995 dans le RER, tarde à intégrer dans ses tours d’horizon la multiplication des révélations sur le rôle des faux islamistes dans la violence attribuée aux fondamentalistes, à commencer par celles de l’ancien spécialiste de la manipulation, qui a expliqué sur la chaîne qatarie comment juste après le premier attentat commis à Paris, le 11 juillet, contre l’imam Sahraoui du 18ème arrondissement, un de ses supérieurs est venu en Allemagne lui  proposer d’organiser la liquidation de Rabah Kébir et d’Abdelkader Sahraoui, l’homonyme du malheureux orateur du quartier de Barbès).

[30] La formule a été prononcée par Boutéflika quand il a vilipendé, dans ses nombreux discours de l’été 1999, les partisans de la continuation de « l’éradication » qui bénéficiaient d’une haute protection à la résidence d’Etat du Club des Pins.

[31] L’indulgence rapportée au Maroc auprès de certaines organisations des Droits de l’Homme on raison de ses avancées dans le domaine du rapprochement avec Israë1 a été soulignée par un expert du State Department invité à prononcer une conférence à l’Institut National des Etudes Stratégiques Globales d’Alger en mai 2000.