La France et la décennie noire (5 eme volet), le retour du refoulé colonial

Lors d’un colloque à La Sorbonne en juin 2001, l’écrivain Sadek Sellam, sous le pseudonyme d’Hamid Lamine, dressait un bilan des responsabilités françaises dans le coup d’état de 1992 qui écartait le président Chadli du pouvoir. Voici le cinquième et dernier volet de ce texte fondateur

L’heure du recensement des responsabilités françaises dans la décennie noire a coïncidé avec le temps des remords pour le général Massu et  des aveux pour le général Aussaresses. Les débats suscités par la brutale franchise de ces généraux ont permis d’en savoir plus sur les pratiques criminelles pendant la guerre d’Algérie : usage généralisé de la torture, méthodes de lavage de cerveau empruntées au « neurocommunisme » sibérien par les commandants anticommunistes des camps d’hébergement, viol des épouses et des soeurs des suspects pour arracher des aveux à ces derniers, application meurtrière du principe de la responsabilité collective, déplacements de millions de personnes suivis d’une politique planifiée de destruction de milliers de mechtas (par un officier qui a eu une brillante carrière sous Mitterrand), empoisonnement des points d’eau des zones interdites,  blessés confiés aux DOP (Dispositif Opérationnel de Protection, où l’on torturait systématiquement, et sur ordre des politiques) avant de les hospitaliser, jeunes femmes assassinées avec leur bébé. A cette liste incomplète, il faudrait ajouter l’usage des armes bactériologiques, comme l’attestent des documents inédits des services de santé de l’ALN, et l’existence des fours crématoires, comme celui de la caserne des Bérets Rouges de Zéralda, dont l’existence vient d’être révélée par plusieurs anciens militants de la Zone Autonome d’Alger[36] .

Ces données faciliteraient la qualification juridique de ces atrocités voulues, beaucoup mieux que les révélations au compte-goutte faites en 1957 par la commission Delavignette, au moment où la France craignait une condamnation après la session de l’ONU dont l’ordre du jour prévoyait un débat sur l’Algérie. Salan voulait alors renoncer à la torture. Mais le ministre de la Défense, Bourgès-Maunoury, lui dit de la maintenir en faisant preuve d’une plus grande discrétion.

Après que Jospin eût commencé par faire preuve de courage en voulant aborder sans complexe cette page sombre de l’histoire de France, des considérations politiques, voire politiciennes, semblent l’avoir amené à reculer. Il a choisi de s’en remettre aux « historiens », en promettant des facilités(déjà accordées) dans l’accès aux archives répertoriées [37] . Et il a cru devoir décréter à l’avance de mettre la totalité des « crimes d’Etat »[38] commis en Algérie avant 1962 sur le compte de simples « dévoiements minoritaires ».

Les historiens qui tranchent ce débat avant de connaître les contenus des pièces d’archives permettant de conclure au recours volontaire par les principaux responsables de la IVème République à des « méthodes hitlériennes » [39] renseignent sur la course à la médiatisation et, surtout, sur les relations particulières de l’Etat et de la Science, qui retardent gravement la recherche historienne sur l’Algérie [40] . Ce phénomène, qui remonte à l’époque du rattachement de l’Ecole des Langues Orientales au ministère de l’Intérieur, mériterait lui-même une étude précise, qui examinerait en particulier le rôle des conseillers ministériels venus du néo-orientalisme dans le resserrement de l’emprise politique sur les études islamiques. Une telle étude devrait tenir compte de l’importance accordée au renseignement dans la recherche sur l’Algérie contemporaine, au vu de la multiplication des diplômes de complaisance décernés à de simples informateurs algériens à qui l’on ne demande même plus un minimum d’effort méthodologique, pourvu qu’ils s’empressent de réserver les scoops à leurs maîtres . Sur l’Algérie d’aujourd’hui, la science et l’Etat, en France, ont un grand besoin d’être séparés, au moins autant que la Religion et la Politique.

Concernant la recherche sur la guerre d’Algérie, le poids de l’idéologie se ressent autant que celui des intérêts politiques du moment. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter Madeleine Rébérioux exclure toute perspective juridique, apparemment au nom de la pure recherche historienne, pour rejeter à plusieurs reprises toute idée de « repentance » et exclure toute réparation [41] . Sensible à ce discours limitatif, la Ligue des Droits de l’homme, lorsqu’elle se voit obligée de répondre à la question de la qualification, ne veut parler, pour les actes commis pendant la guerre d’Algérie, que de « crimes de guerre ». Elle est encouragée en cela par le récent vote du Parlement reconnaissant qu’il y a eu « une guerre » entre 1954 et 1962 en Algérie [42] .

 Dans sa thèse sur la torture, dont les premiers chapitres sont surtout un hommage dithyrambique à P. Vidal-Naquet (grand historien de la Grèce antique venu à l’histoire de la guerre d’Algérie par les voies du moralisme), Raphaëlle Branche semble tout ignorer du point de vue des victimes, comme si leur témoignage compromettait la recherche historique. Or ces victimes, aux souvenirs très précis et qui parlent plus facilement que leurs anciens geôliers des DOP, lui auraient appris que les SAS( administrations inspirées par la bienveillance du colonialisme à « visage humain » du second Empire) aussi torturaient. Son travail, que le Monde(où l’on ignore le rôle du juge Bérard, dont se souviennent, pourtant, très bien des centaines de torturés algérois)  présente comme un événement majeur, ne mentionne même pas les dénonciations de la torture par Louis Massignon, auquel R. Lacoste supprima, en 1957, la subvention que versait le Gouvernement Général d’Alger à la Revue des Etudes Islamiques.

Ailleurs, on refuse de « privilégier le devoir de mémoire » afin, paraît-il, de mieux ménager l’avenir. C’est ce que préconise J-P. Rioux, qui, dans le même article [43] , conteste l’idée de culpabilité de l’Etat en s’autorisant d’une citation dans laquelle Camus récusait, en 1957, le principe de responsabilité collective. Or, ce faisant, Camus s’élevait contre la pratique courante qui permettait de faire abattre une centaine de musulmans pour un garde-champêtre européen tué. Et c’est bien parce que le pouvoir civil de l’époque a couvert ces pratiques criminelles que l’Etat s’honorerait d’un geste solennel de désaveu. Ce serait le meilleur moyen d’assainir la relation à ces pages sombres de l’histoire de France et de ménager ainsi l’avenir.

L’attitude de Benjamin Stora est sans doute celle qui suscite le plus d’interrogations. « Sur l’Algérie, nous ne savons rien », répond-il à une question sur la repentance (Libération du 5 mai 2001). Cet abstentionnisme dubitatif, pratiqué par un dialecticien, moraliste et hyper-politisé, qui préfère aujourd’hui les studios de télévision aux archives, relève plus de la politique que de la science historique. Au nom d’un ultra­positivisme de façade, Stora cherche manifestement à atténuer les responsabilités du Garde des Sceaux du gouvernement de Guy Mollet dans la généralisation des pratiques criminelles en Algérie [44] .Pour diminuer de l’importance du livre d’Aussaresses, qui est surtout accablant pour Mitterrand, il n’hésite pas à contredire ses propos de Libération et ose déclarer, début novembre 2001, au journal algérien le Jeune Indépendant que tout était déjà connu !

Historiquement correct et politiquement correct.

Le souci de préserver la mémoire de Mitterrand était également perceptible à l’Université d’été de l’Education Nationale, qui s’est tenue fin août 2001 à Paris. Les enseignants qui ressentent l’inadaptation des programmes scolaires la guerre d’Algérie, sont restés sur leur faim. Invoquant l’existence de « mémoires antagonistes »-déjà mentionnées dans le discours d’ouverture du mitterrandiste J. Lang-, Sylvie Thénaut a su deviner les prudences ministérielles  et a  ajouté à la perplexité ambiante en prétextant le risque d’introduction du « communautarisme à l’école ».La jeune historienne, qui sait ajuster son discours historique aux considérations politiques du moment, a convaincu les participants qu’il y a bien « deux poids, deux mesures » au collège des inspecteurs d’histoire. D’autant plus qu’une précédente session de la même Université d’été avait recommandé sans difficulté d’améliorer l’enseignement de l’histoire la deuxième guerre mondiale à l’école.

Une pareille prudence n’est peut-être pas sans rapport avec l’ébruitement de l’intention du  gouvernement de nommer une commission d’historiens dûment choisis. Ce projet a dû être abandonné à l’annonce de la remise par le général Aussaresses du manuscrit de Services Spéciaux-Algérie 1955-1957, Perrin, 2001 [45] . Mais son évocation semble avoir inspiré aux candidats pressentis, et à ceux qui souhaitaient l’être, une autocensure digne des convenances que doivent avoir les historiens-bureaucrates désireux de travailler à l’Institut François Mitterrand. L’excessive politisation de l’histoire de la guerre d’Algérie, et l’abandon de la lutte des classes au profit de la lutte des places par d’anciens trotskistes conscients que le mitterrandisme reste un enjeu électoral, ont amené des historiens de valeur à adopter des réflexes compréhensibles chez Rousselet, Charasse ou Mazarine mais qui ont de quoi étonner chez des hommes et des femmes de science qui n’hésitent pas à donner, non sans condescendance, des leçons d’impartialité et de méthodologie à leurs collègues algériens, jugés insuffisamment autonomes vis-à-vis de leur pouvoir.

Les tenants de l’historiquement correct ont compris également que le gouvernement redoutait la prolongation de ce débat qui risquait de contrevenir aux normes du politiquement correct concernant l’Algérie d’aujourd’hui. Car le rappel des horreurs couvertes par la « justice » de la gauche colonialiste ne peut se faire sans l’évocation des atrocités commises aujourd’hui par les « amis » de la France qui détiennent le pouvoir réel en Algérie. Le caractère amoral de l’abstentionnisme apparent du gouvernement français, qui dissimule une connivence effective et une si efficace concertation policière, risquerait d’être mis à nu par un vrai débat sur les responsabilités des gouvernements français successifs dans l’actuelle tragédie algérienne. D’où les mots d’ordre du genre: « pas de vagues de ce côté jusqu’aux prochaines élections ». Les experts et les « consultants » sur l’Algérie se chargent d’apporter des cautions plus ou moins savantes à cette attitude en répétant : « C’est complexe »; « Les Algériens sont imprévisibles et il faut éviter de les amener à des réactions inconsidérées, comme en juillet 1995 »; « il ne faut pas tout révéler »; « il faut trouver une autre formulation »…

Loin de ces subtilités, 56% des Français se disent favorables, selon un sondage, à une « repentance » sur les crimes de la France en Algérie. Cela montre le décalage entre l’opinion, qui ne se contente plus de mythes quand elle est suffisamment informée, et la classe politique qui a constamment les yeux rivés sur les échéances électorales.

La France officielle insensible aux souffrances du peuple algérien.

Si les Français n’exigent pas autant sur l’Algérie d’aujourd’hui que sur la guerre de 1954-62 c’est, pour une bonne part, en raison du halo d’imprécisions entretenu par les idéologues de l’éradication et leurs relais parisiens. Les manifestations de l’année de l’Algérie en France ne risquent pas d’apporter la clarté souhaitable. Car du côté français, la préparation de ces festivités a été confiée à Hervé Bourges qui n’avait pas incité l’audiovisuel public à davantage de recul par rapport aux campagnes de conditionnement du temps où il dirigeait France Télévision. Il a pour vis-à-vis algérien Hocine Sénoussi, un ancien officier plus ou moins bien recyclé dans les affaires, après avoir eu des démêlés avec la justice de son pays. On a là, avec deux hommes, deux symboles de la connivence franco-algérienne, si bénéfique pour les intérêts particuliers.

Au moment où les mythes inhérents à la politique d’éradication se trouvent détruits par les émeutes parties de Kabylie [46] – dont la jeunesse a les mêmes revendications que celle des autres régions – cette célébration risquerait d’ajouter aux confusions dont bénéficient surtout les partisans de l’immobilisme.

Le statu-quo en Algérie arrange tous ceux qui sont attachés aux avantages des transactions commerciales avec un pouvoir qui a fait de l’importation un choix stratégique, en décidant notamment de maintenir l’agriculture dans un état de délabrement. L’attachement à la francophonie et la crainte obsessionnelle de la concurrence des Etats-Unis, auxquels un certain « gallicanisme » reproche surtout d’être puissants, servent de prétexte à des prudences qui évitent d’exprimer aux « éradicateurs » algériens une réprobation comparable à celle qui a empêché récemment les dictateurs ivoirien et yougoslave de rester en place contre l’avis de leurs peuples.

La démystification demeure difficile sur l’Algérie, car l’opinion française s’est vue imposer une grille de lecture artificielle qui lui fait croire que la loi sur l’arabisation [47] serait plus dommageable que les conséquences meurtrières du coup d’Etat et les effets ravageurs du Plan d’Ajustement Structurel réunis. Par ailleurs, l’opinion continue d’être abusée au nom de la littérature du fait de la médiatisation des romans de Yasmina Khadra. Très peu de journalistes savent que derrière ce pseudonyme se cache un colonel qui occupe toujours le poste d’attaché militaire à l’ambassade d’Algérie à Mexico.

Le fait que la situation algérienne ne soit pas directement en rapport avec l’ancien conflit Est-Ouest a empêché d’avoir sur l’Algérie un débat comparable à celui qui a agité l’opinion sur la Bosnie, puis sur le Kosovo. Il est vrai que ces débats mêlent un peu de compassion pour les victimes du nettoyage ethnique à beaucoup de règlements de comptes entre coteries d’intellectuels (atlantistes contre communistes, staliniens contre trotskistes, souverainistes contre mondialistes…).

Quant aux gouvernements français successifs, qu’ils soient de droite ou de gauche, ils ont eu un rôle contestable en décourageant toute velléité de l’Union Européenne d’interpeller fermement le pouvoir algérien sur les Droits de l’Homme [48] . Ils se sont accommodés d’une attitude anti-démocratique concernant l’Algérie. D’abord parce que leur complaisance a grandement aidé au torpillage de la jeune démocratie algérienne. Ensuite parce que tout est fait pour priver l’opinion française de l’information démystificatrice qui lui permettrait d’évaluer les responsabilités françaises dans le drame algérien.

Sans le clair-obscur des discours dominants sur l’Algérie d’hier et d’aujourd’hui, les Français seraient plus nombreux à déplorer l’insensibilité de la France officielle aux terribles souffrances qui continuent d’être infligées au peuple algérien par les aventuriers francophiles de l’éradication, quarante ans après les crimes contre l’humanité commis au nom de la « pacification ».

La sévérité ici de certaines appréciations sur ceux qui, par idéologie ou par affairisme, on biaisé le débat sur l’Algérie, ne saurait dispenser de la condamnation des crimes commis au nom de l’Islam, ni faire perdre de vue les insuffisances politiques d’un grand nombre de leaders islamistes radicaux. La responsabilité de ces derniers dans le drame algérien n’a d’égale que celle de leurs machiavéliques manipulateurs.

NOTES

[36] Emission « Pièces à conviction » sur FR3, le 27/6/2001. Les fours crématoires avaient servi en mai 1945 à faire disparaître des milliers de corps dans la région de Guelma afin de permettre à une commission d’enquête d’arrondir par défaut le chiffre des victimes de la féroce répression contre les civils.

[37] 0n sait que les documents aux contenus embarrassants font l’objet d’une rétention et n’ont même pas été répertoriés.

[38] Pour reprendre le titre donné par O. Lecour-Grandmaison au récent livre consacré à la répression de la manifestation des Algériens à Paris le 17 octobre 1961, Ed. La Dispute, 2001.

[39] Dès le début de la guerre, la répression menée par l’armée française en Algérie était comparée à celles des nazis par des résistants comme Claude Bourdet, René Capitant, et le général Paris de la Bollardière.

[40] Le tome 2, Les Portes de la Guerre (1 946-1954) de La Guerre d’Algérie par les Documents, SHAT, Vincennes, 1998, a été publié avec cinq ans de retard. La crainte d’un débat sur le rôle actif de F. Mitterrand dans l’adoption des moyens répressifs au début de l’insurrection expliquerait ce temps perdu.

[41] La biographe de Jaurès, qui ne regrette pas son passage au PCF, ne s’intéresserait-elle à ce débat que pour montrer qu’un Livre Noir de la social-démocratie colonialiste devrait être écrit pour faire contrepoids au Livre Noir du Communisme?Tout autres sont les points de vue d’Alain Joxe et de certains hommes d’Eglise, comme le Père de la Morandais. Celui-ci, qui avait participé à la « pacification », a déclaré, le 21.4..2001, à l’émission de Thierry Ardisson sur France 2, que l’évêque de Saint-Denis, dont le rôle dans la repentance de l’Eglise pour son attitude durant la Seconde Guerre Mondiale est connu, lui a déclaré que le peuple algérien mérite un geste analogue. Cette position reflète sans doute la gêne due au souvenir de l’acceptation de la torture – au nom de l’Evangile! – par le père Delarue, qui était l’aumônier de la 10ème D.P. de Massu. La préface d’un livre en l’honneur des paras d’Algérie par Mgr Feltin (qui était évêque aux armées en 1956) demeure aussi embarrassante pour l’Eglise de France. Les préposés au dialogue islamo-chrétien, comme les pères Delorme et Gaudeul, pourront-ils continuer de faire l’économie d’un vrai débat à ce sujet ?

Déjà intrigués par le retour à la foi des Beurs (qu’ils verraient mieux à SOS-Racisme qu’aux réunions du controversé Tareq Ramadan), ces informateurs de l’Eglise – et du Haut Conseil à l’Intégration – sur la vie religieuse des musulmans en France, risqueraient d’être plus étonnés encore par le poids de la mémoire de la guerre d’Algérie chez les familles d’origine algérienne. Celles-ci avaient été sommées par J.-C. Barreau de « changer d’histoire » avant de prétendre à « l’intégration ». L’ancien prêtre devenu conseiller de Pasqua pour l’immigration n’a pas indiqué l’attitude à adopter concernant l’histoire de la guerre d’Algérie, qui est commune aux Français et aux Algériens. Quant à Alain Joxe, il avait avancé l’idée de « repentance » quatre ans plus tôt: « Repentons-nous sur l’Algérie et parlons vrai », Le Monde du 11/11/1997. Le spécialiste de stratégie parlait des deux guerres d’Algérie. Il faudrait également rappeler l’attitude, durant le procès de M. Papon, de Simone Veil qui s’est étonnée de l’acceptation des amnisties et de la prescription concernant l’Algérie par ceux-là même qui, à propos de la Deuxième Guerre Mondiale, militent contre l’impunité, par devoir de mémoire et à des fins de judiciarisation (intervention à l’émission Polémiques sur France 2, 9 novembre 1997).

Il y aurait à mentionner la netteté de la position de J. Julliard, qui tranche sur celle des historiens et moralistes sollicités par le Nouvel Observateur. Ceux qui parmi ces derniers n’arrivent pas à être au clair avec l’héritage mitterrandien sont souvent gênés aux entournures.

[42] Après avoir voté la reconnaissance du génocide arménien, le Parlement refuse la création d’une commission d’information sur la guerre d’Algérie, qui serait moins contraignante qu’une commission d’enquête. Les Turcs ont réagi par l’inauguration, en face de l’ambassade de France à Ankara, d’un « Mémorial des victimes du génocide commis par la France en Algérie ». En accordant le statut d’anciens combattants aux anciens soldats d’Algérie, le vote reconnaissant qu’il y a eu guerre semble avoir eu une finalité électoraliste.

[43] J.-P. Rioux, « L’Etat coupable, mais amnistié« , Libération, 11/12/2000. J-P. Rioux veut exonérer l’Etat d’un pareil geste au motif que le pouvoir politique sut mettre fin au conflit; curieuse manière d’attribuer une partie des mérites de De Gaulle (qui a dit: « Je suis le seul au Conseil des Ministres à croire à l’indépendance de l’Algérie ») à G. Mollet et à Mitterrand, qui ont installé la France dans une guerre sans lois sans être en mesure de lui trouver une issue.

[44] Si Stora veut mettre le clivage droite-gauche au coeur du débat historique sur la guerre d’Algérie en insistant, à juste titre, sur la gravité de la tuerie du 17 octobre 1961, c’est pour mieux accabler la Vème République. Dans le même temps, il tente de trouver des circonstances atténuantes à la IVème République et à ses ténors de la gauche colonialiste – par exemple en voulant faire croire aux lecteurs du Nouvel Observateur(du 14-21.12.2001) que les DOP (centres de torture) n’ont pas été créés par le gouvernement G. Mollet. Alors que « ce service est créé en septembre 1956 par une décision gouvernementale, suivie d’instructions d’applications ministérielles » (Henri Le Mire, Histoire Militaire de la Guerre d’Algérie, Paris, A. Michel, 1982, p. 67). Cette attitude le range du côté d’André Rousselet pour qui la mémoire de la guerre d’Algérie semble se confondre avec celle de Mitterrand.Voir Libération du 5.5.2001.  Le biographe de Messali avait tourné le dos à ses écrits de jeunesse – comme « L’Algérie et la révolution permanente », La Vérité, octobre 1980 – après avoir rallié le courant Jospin du PS avec un groupe de lambertistes. Depuis lors, il navigue souvent dans les eaux du pouvoir, ce qui fait dire à la presse de l’OCI (où il avait été responsable de la Fédérale des Etudiants) qu’il « exprime le point de vue du Quai d’Orsay » (article signé L.G., « Qui pousse à la dislocation de l’Algérie? « , Informations Ouvrières, n0 493, 27 juin-3 juillet 2001). L’acceptation de ce type de relation entre le Savant et le Politique va de pair avec une stratégie de médiatisation qui accorde plus d’importance aux journalistes généralistes qu’aux historiens spécialisés. Avec franchise, il fait état de cette stratégie qui passe « par l’entremise de bataillons d’attachés de presse qui. se chargent de faire circuler votre nom » (Aline Gérard, « Quand les experts dévoilent leurs dessous », Le Nouvel Economiste, n°1116, 26/11/1998). Cette peu révolutionnaire conception du débat d’idées a amené Stora à apporter une caution plus ou moins savante à Xavier Raufer qui a voulu, en présence de l’ambassadeur d’Algérie en France, expliquer le « terrorisme résiduel » par le goût des sociétés méditerranéennes pour la « vendetta » (La Marche du Siècle, FR3, 12 septembre 1998). Elle lui a permis aussi de diffuser la contestable thèse imputant aux partisans de l’Algérie française la montée du Front National – dont les électeurs venus du PS et du PC ont été convoités par le MDC (voir son Transfert de mémoire, Paris, La Découverte, 2000).

[45] Entretien avec un membre de l’Union Nationale des Combattants. Il est possible que l’autocensure des historiens politisés ait eu pour principale raison leur désir de faire partie de cette commission. Cela expliquerait leur absence de réaction à la demi-vérité selon laquelle le juge Bérard, qui servait d’intermédiaire entre le Garde des Sceaux de G. Mollet et les militaires d’Alger, a été sanctionné. Les lecteurs du Monde ont cru que c’était à cause de l’exécution de Ben M’hidi. En fait, la sanction du juge Bérard avait pour raison la lenteur avec laquelle il instruisait « l’affaire du bazooka », la tentative qui visait à éliminer, en 1957, le général Salan (le futur chef de l’OAS) que Mitterrand appréciait particulièrement…

[46] « Les Kabyles auraient pris les armes si le FIS était arrivé au pouvoir », disait-on après l’opération du 11/1/1992 pour vaincre les réticences suscitées par ce coup de force. Puis la menace d’ »embraser la Kabylie » a été agitée durant l’été 1998. L’assassinat du chanteur Matoub Lounès, dont la famille accuse le pouvoir, semble avoir été destiné à favoriser cet embrasement. L’exagération du risque d’embrasement a servi à pousser Zéroual à la démission. En raison de la faible importance des revendications linguistiques dans les manifestations parties de Kabylie au printemps 2001, celles-ci ont surtout montré la vanité de ces supputations. En révélant l’ampleur des difficultés dont se plaignent les jeunes Algériens de toutes les régions, ce mouvement a également contribué à rendre très peu convaincante la propagande qui servait depuis dix ans à faire de l’islamisme l’unique problème de l’Algérie contemporaine, ou presque.

[47] Cette dramatisation des problèmes linguistiques utilise, à tort ou à raison, la caution d’arabisants comme M. Arkoun, qui a eu tendance à attribuer une bonne partie de la crise algérienne à la mauvaise arabisation, et D.E. Bencheikh, qui plaide la cause de la seule langue kabyle, et oublie une demi-douzaine d’autres parlers berbères assez éloignés les uns des autres. Ce dernier exprime surtout le regret de n’avoir pas été consulté pour la mise au point des programmes d’arabe en Algérie. Le berbère est mieux vu, comme le montrent les financements publics accordés à la Maison Kabyle qu’ont créée à Paris des proches du RCD déçus par Boutéflika.[48] A la demande d’un officier de l’ambassade algérienne an Suisse, Sohéib Bencheikh, le « mufti » sans mosquée à Marseille qui, en tant que « théologien du RCD » était le favori de Motchane (alors conseiller de Chevènement pour l’Islam) pour la succession de Boubakeur à la tête de la Mosquée de Paris, a pris la parole au printemps 1998 devant la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU pour la dissuader de dépêcher des enquêteurs sur les massacres an Algérie