Vladimir Poutine est moins isolé qu’on ne veut bien le dire !

La Russie n’a pas que des ennemis, même si un vote « historique » de l’ONU contre la guerre de Poutine en Ukraine a été approuvé, mercredi 2 mars, par 141 des 193 pays de l’Organisation des Nations Unies.
 
Réunis autour d’une « session extraordinaire d’urgence », les pays membres devaient se prononcer pour ou contre une résolution « exigeant que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine » et qu’elle retire immédiatement, complètement, et sans conditions toutes ses forces militaires ». La résolution « condamnait » également la Russie « d’accentuer la mise en alerte de ses forces nucléaires. Seules les pires des dictatures ont voté contre ce texte : la Corée du Nord, l’Erythrée, la Syrie et la Biélorussie. 
 
Mais la Russie n’est pas si isolée qu’on peut le croire, vu d’Europe ou des Amériques. Vladimir Poutine jouit, de par le reste du vaste monde non occidental, d’une solide panoplie de soutiens qui, même s’ils n’ont pas été jusqu’à voter contre la résolution, ont décidé de ne pas prendre position.  
 
Même s’ils ne sont pas forcément les affidés du tsar du Kremlin, ces pays sont suffisamment dépendants de Poutine pour qu’ils aient choisi ne pas heurter leur allié.
 

Chine, Inde: un soutien teinté d’inquiétude

 
Parmi les nations qui se sont abstenues et n’ont donc pas voulu condamner le régime de Poutine, on en trouve deux qui pèsent lourd sur la balance de l’échiquier mondial : la Chine et l’Inde. Même si ces deux alliés de Moscou sont solidaires de Moscou, ils s’inquiètent de la tournure que prennent les événements en Ukraine. La Chine pour des raisons qui tiennent à la dépendance de Pékin au commerce mondialisé, que la guerre risque de mettre à mal. L’Inde, allié historique de la Russie, ne voudrait pas que son son principal fournisseur en armement soit frappé d’embargo.
 
A ces deux poids lourds de l’Asie, il faut en ajouter un autre, moyen-oriental celui là : l’Iran. La récente visite à Moscou du président iranien Ebrahim Raissi, fin 2021, avait contribué à relancer la relation entre les deux pays, ne serait ce qu’en raison de leur commune inimitié à l’égard du « grand Satan » américain. Téhéran est un partenaire stratégique et aussi militaire de Moscou. Ainsi, le 20 janvier 2022, les deux capitales ont mené, avec Pékin, un exercice militaire commun intitulé « ceinture de sécurité maritime 2022 ».
 

L’Iran anti occidental, forcément

 
On pouvait donc s’attendre à ce que Téhéran soutienne fermement la Russie dans son aventure ukrainienne, mais la première réaction officielle est restée « mesurée ». « Nous ne considérons pas la guerre comme une solution », a réagi le ministre des affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian. Pour autant, Ali Chamkhani, secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale écrit dans un tweet, le vendredi 25 février 2022 : « Rien n’est plus horrible que la guerre, mais lorsque l’Occident cherche à porter atteinte à la sécurité nationale des nations de diverses manières, il est, en fait, directement responsable des guerres et des crises créées pour résister à sa stratégie
 
N’oublions pas dans le camp des pro Poutineun autre « bloc », celui des Républiques d’Asie centrale ou du Caucase, autrefois soviétiques, mais qui conservent d’étroits liens de dépendance avec la Russie. Plusieurs se sont abstenues de voter : le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Dans la région, seule la Géorgie a condamné l’agression russe.
 

Un patchwork contrasté en Afrique

 
Mais un autre continent tout entier frappe par son ambivalence par rapport à la Russie : l’Afrique.Dans l’ensemble Maghreb/ Mackhrek, l’Algérie est le seul pays qui s’est abstenu, le Maroc, la Tunisie, la Libye et l’Egypte ayant toutes  choisi de condamner l' »opération spéciale » du Kremlin chez son voisin.
 
« Il est indéniable, note la revue Orient XXI,  que l’Égypte entend se placer comme un acteur central durant cette crise en demandant une réunion d’urgence des délégués permanents de la Ligue des États arabes. Ce faisant, elle cherche à identifier les positions des différents États membres, car bien que la Ligue ne constitue plus un levier de la politique arabe, elle n’en demeure pas moins un mécanisme pour coordonner les différentes tendances. » Er les chercheurs d’Orient XXI d’ajouter: « L’adoption d’une politique de non-alignement, l’appel à arrêter toute opération militaire ainsi que l’invitation à passer par les voies diplomatiques pour solutionner la crise constituent probablement la voie idéale pour adopter une position arabe quasi unanime. »
 
Dans l’Afrique sub saharienne, la situation est plus compliquée et si l’on dessinait une carte onusienne de l’après vote, on y verrait se dessiner le patchwork contrasté des choix exprimés par les nations du continent noir. Où Poutine, grand pourvoyeur d’armements et de soutien de nature stratégique, reste pour certains un partenaire important. Comme on l’a vu ces derniers temps au Mali où les « milices Wagner » sont à l’oeuvre : outre ce pays, qui s’est naturellement abstenu, douze autres Africains ont  refusé de condamner Moscou : le Sénégal, le Soudan, le Soudan du Sud, le Congo ( Brazaville), l’Angola, la Namibie, l’Afrique du Sud, Madagascar, le Mozambique, de l’Ouganda, du Burundi et de la Tanzanie.
 
Parmi les soutiens à Moscou, même s’ils n »ont pas voté contre la résolution, la réaction du fils de l’autocrate ougandais Yoweri Museveni donne une idée de la vision de certains caciques africains : le lieutenant général Muhoozi Kainerugaba s’est tout simplement déclaré en faveur de l’intervention russe : celui qui est  le commandant de l’armée de terre ougandaise a tweeté que  » la majorité de l’humanité non blanche soutient la Russie en Ukraine ». Et d’ajouter : « Poutine a tout à fait raison! »
 
Réaction extrême, en contrepoint avec des pays comme le Kenya – qui a voté pour la résolution-, et dont l’ambassadeur aux Nations Unies, a comparé l’invasion russe en Ukraine à la colonisation de l’Afrique par les pays occidentaux et a regretté la vision de Poutine, incapable d’ajuster sa politique aux contraintes de la modernité du XXIème siècle.
« .

La Turquie, allié contrarié de la Russie 

 
Dans un autre registre, un grand pays aux relations ambivalentes à la fois avec l’Europe et la Russie, a voté pour la résolution et condamné l’invasion de l’Ukraine : la Turquie. Membre de l’Otan, elle est en quelque sorte un allié « contrarié » de la Russie. Quitte à entretenir des relations paradoxales avec Poutine : Moscou et Ankara se sont ainsi entendus sur la Libye tout en étant dans des camps fermement opposés en Syrie où la Russie soutient le régime de Bachar Al Assad tandis qu’Ankara est aux côtés des groupes de la mouvance anti syrienne, notamment islamiste. 
 
L’expert  Pavel Baev, professeur à l’Institut de recherche pour la paix d’Oslo, analyse ainsi l’ambivalence de la Russie à l’égard des Turcs :  » « Pour Moscou, ce n’est pas tant le fait que des rebelles de différents mouvements ( y compris des groupes liés à des rejetons d’Al Qaïda, sont retranchés) soient retranchés à Idlib et protégés par la Turquie  qui constitue le problème pour Moscou », écrivait il l’année dernière dans un article publié sur le site de l’Institut Français des relations internationales ( IFRI)  ; « c’est plutôt le caractère incertain de la victoire soulignant la nature irréductiblement instable du régime d’Al Assad », qui inquiète fondamentalement le dirigeant russe.
 
Quant aux relations entre Poutine et Erdogan, Pavel Baev les résume de la façon suivante :  » Ces deux autocrates se ressemblent par certains traits de caractère et leurs aspirations communes, mais cela n’a pas suffi à générer une sympathie mutuelle, la confiance et le respect ». 
 
Mercredi, la Turquie a voté pour la résolution. Contre la Russie.
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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)

3 Commentaires

  1. Au temps de l »URSS , on pouvait comprendre le ralliement à son idéologie anti impérialiste des pays non alignés et des intellectuels tiers mondistes occidentaux . Mais comment comprendre le ralliement de bien des pays africains et d’intellectuels populistes occidentaux cette caricature de potentat impérialiste qu’est Poutine ?

  2. Le courage, c’est de s’abstenir ou de voter contre la résolution car ce faisant il y a risque de subir les sanctions de l’empire. Le maroque est résolument pro-occidental et entretient très peu de relations avec la Russie. Où est donc le courage de voter pour la résolution ??? Ou alors vous ne comprenez rien a la politique.

  3. Comme d’habitude, chez vous l’a peu près est la règle: le Maroc s’est courageusement abstenu…de voter tout court. Ca serait pas mal de vérifier avant d’écrire, ou alors c’est fait exprès?

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