Sommet N’Djamena (3eme Volet), le Niger dans l’oeil du cyclone

A cinq jours du sommet de N’Djamena, Mondafrique poursuit la publication d’une série sur la situation sécuritaire dans les pays du G5 Sahel. Maillon faible de la lutte contre le terrorisme, le Niger est pris en tenaille par les alliés de « l’Etat islamique » ( encore appelé Daech) à l’est comme à l’ouest du pays.

L’espace infini à couvrir, la pauvreté qui s’aggrave, surtout dans les zones reculées, la progression de la guerre et son cortège d’assèchement des activités économiques/ autant de facteurs qui expliquent que le djihad conserve une puissante capacité d’attraction, notamment auprès des plus jeunes, qui représentent plus de la moitié de la population du pays.

En raison de sa situation géographique, le Niger se bat contre le terrorisme sur deux fronts: le premier à l’Ouest à la frontière avec le Mali; le second à l’Est aux confins du Tchad et du Nigéria. L’ennemi principal est l’Etat islamique (ou encore Daech) qui, de l’été 2014 au printemps 2019, a créé un pseudo État  en Irak et en Syrie où il a mis en place un Califat. Cette organisation totalitaire d’inspiration salafiste a essaimé en Afrique sub sahérienne à travers les deux relais que sont « l’Etat Islamique en Afrique de l’Ouest » dans la région du lac Tchad et « l’Etat Islamique au Grand Sahara » dans la zone des trois frontières.

Les deux groupes, éloignés de 1400 kilomètres, pourront-ils opérer un jour une jonction fatale? Si oui, la messe sera dite et le Sahel livré tout entier aux djihadistes.

La frontière du Sud Niger avec le Nigeria est en effet d’une extrême porosité. « Le risque principal, estime le chercheur Guillaume Soto-Mayor, est le contrôle de la région de Maradi, courroie de transmission possible entre les branches nigériane et nigérienne de l’Etat islamique. »

La commune de Maradi au Niger:
un enjeu pour les terroristes

A l’Ouest, la base arrière malienne

Depuis le double attentat d’Agadez et Arlit en mai 2013, signé Mokhtar Bel Mokhtar, le Niger n’a plus été victime d’une attaque spectaculaire d’Al Qaida. Mais l’organisation a pris racine en profondeur au nord de la région de Tahoua et près d’Agadez. La route du Niger, à travers le Sahara, reste le principal accès à la Libye, fréquentée par certains cadres d’Al Qaida. Leur chef, Abdelmalek Droukdel, y circulait peu de temps avant son éxécution, le 3 juin 2029, lors d’une frappe française.  

L’ennemi public numéro un est devenu l’Etat islamique, dirigé à l’ouest du Niger, dans la région de Tillabéri, par Abou Walid Al Sahraoui, dit « Awas ». Cet ancien combattant du Polisario, proche du tristement célèbre Mokhtar Bel Mokhtar, évolue à l’écart des chicayas qui opposent les groupes djihadistes rivaux. Ce stratège a su cultiver au Mali des amitiés anciennes et sceller des pactes de non-agression avec les groupes armés locaux. Depuis peu, Abou Walid se trouverait dans le sud de la Libye, toujours là où les drones ne peuvent pas le cibler.

Dans cette zone qui va du sud de Menaka au nord de Tillabéri et de Ouallam, ce chef de guerre règne sur une armée où l’on retrouve toutes les ethnies locales, Peuls, Zarmas, Touaregs, pour la plupart Nigériens.

À l’Est, des instructeurs libyens

A l’est du Niger, une autre attaque contre des civils a fait une cinquantaine de morts selon des sources locales à Toumour, un grand village à 75 km de Diffa, au crépuscule du 12 décembre 2020. Les victimes ont péri brûlées dans leurs cases, tuées par balles et noyées. Les assaillants, initialement venus pour tuer le chef de canton, ne le trouvant pas sur place, se sont déchaînés sur le village, incendiant le quartier des réfugiés, puis les points d’eau, les greniers et les moulins et emportant le bétail. L’armée n’est arrivée au secours des populations qu’au matin du 13 décembre.

« L’EIAO a développé un niveau d’emprise très important, qui n’a cessé de croître, année après année, à force d’attaques réussies contre des garnisons et des convois. Leur arsenal est très complet », explique Guillaume Soto-Mayor. Prélevé sur les armées nationales, cet arsenal compte des blindés lourds et légers et du matériel de pointe.

Basé au Nigéria, l’EIAO a également bénéficié de formations délivrées par des instructeurs venus de Libye, pour être capable de mener des attaques complexes, des attaques éclair et des opérations sophistiquées, détruisant, par exemple, les capacités de communication des armées locales. L’organisation jouit d’importantes capacités logistiques et se déplace sur un vaste territoire qu’elle partage avec des bandes armées elles-mêmes très puissantes. L’une des bases arrière de l’organisation serait installée au Niger, vers Chetimarongo. Pour affronter ce redoutable adversaire, l’armée nigérienne a, là encore, adopté une tactique de mobilité maximale. Et la conséquence, là encore, a été l’abandon des villages les plus reculés.

Des populations civiles exposées

Les attaques traumatisantes des postes avancés militaires d’Inatès et Sinagodar, en décembre 2019 et janvier 2020 avaient vu les forces de défense et de sécurité submergées alors par des centaines de djihadistes. Les attaques de Tchombangou et Zaroumdareye le 2 janvier dernier, témoignent de la nouvelle mobilité des militaires nigériens. Ces forces circulent dans la région au sein de patrouilles pour ne plus être la cible des combattants islamistes. Mais l’effet mécanique de cette stratégie est l’exposition des populations civiles.

Du coup, les villageois ont entrepris de se défendre au moyen de comités de vigilance, embryons de milices communautaires d’auto-défense. Et il semble que ce soit le mobile premier du raid meurtrier du 2 janvier. Seuls les hommes ont été pourchassés et abattus. Femmes, enfants et vieillards n’ont pas été pris pour cible. Il ne s’agit pas d’une attaque aveugle mais bien de représailles contre une force adverse, même si les assaillants n’ont pas laissé la moindre chance aux villageois.

On ignore encore si l’armement des communautés locales relève d’une stratégie concertée des autorités nigériennes et de Barkhane. Mais cette stratégie, déjà utilisée au Mali, a embrasé le centre et l’est du pays et causé de nombreuses victimes civiles en précipitant les populations dans une spirale d’affrontements intercommunautaires.