Présidentielle Libye : les parrains étrangers des candidats se positionnent

Alors qu’on se rapproche de la date où doit normalement se tenir l’élection présidentielle en Libye avant la fin du mois de décembre, les Etats étrangers actifs dans ce pays en guerre depuis 2011 déploient des jeux d’influence autour des candidats  d’où semble émerger, ces dernières semaines, Bachir Saleh, l’ex conseiller de feu Kadhafi.

Une enquête de Caroline Bright

Parrainée par les démocraties occidentales, la première élection présidentielle de l’histoire libyenne est prévue pour le 24 décembre prochain. Nombreux sont les observateurs à craindre que la date fixée ne puisse être respectée malgré le forcing de l’administration américaine.

Il n’en reste pas moins que cette élection suscite des ambitions : pas moins de 97 candidats ont postulé ! Trois candidatures sortent toutefois du lot : le maréchal Haftar qui dirige l’ANL (Armée nationale libyenne) ; Seïf el Islam Kadhafi, le fils de son père qui a miraculeusement survécu à la révolution de 2011 ; Bachir Saleh, l’ancien argentier de la Jamahiriya rentré triomphalement en Libye à la mi-novembre après dix ans d’exil.

Dans un désordre complet, ces trois candidatures ont été déposées, invalidées puis revalidées par des tribunaux locaux. Comprenne qui pourra. Ces revirements ont donné lieu à de fortes tensions comme celles autour du tribunal de la ville de Sebha. Après avoir vu sa candidature invalidée, Seïf el Islam Kadhafi avait 48 heures pour déposer un recours au tribunal. Las ! Des partisans armés du maréchal Haftar ont occupé pendant plusieurs jours les lieux pour empêcher les juges d’examiner le recours du candidat retoqué

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Le maréchal Haftar délaissé par les Américains

Il faut dire que le maréchal Haftar, qui aime se présenter comme l’homme fort de la Libye, a vu son aura se ternir depuis qu’il a échoué à prendre Tripoli par les armes en 2019 malgré les renforts de mercenaires russes. Même le soutien du ministre français des Affaires Etrangères, Jean Yves le Drian, est c-devenu très discret. 

Il n’est plus soutenu par l’administration américaine depuis l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche. Le dernier rapport du Département d’Etat consacré aux droits de l’homme, un vecteur d’influence souvent utilisé par les Démocrates, ne prend pas de gants pour accuser les troupes de Haftar d’avoir commis des crimes en 2020 (exécutions arbitraires, tortures, disparitions forcées…).

Pour compenser la désaffection américaine, Haftar n’a pas hésité à tenter de négocier un accord secret avec les Emiratis, avant d’appeler Israël à la rescousse. Il aurait en effet dernièrement dépêché son fils à Tel Aviv afin de proposer l’établissement de relations diplomatiques s’il est élu en échange d’un soutien militaire et diplomatique.

Moscou soutient Seïf el Islam Kadhafi

De son côté, Seïf el Islam Kadhafi bénéficie du soutien assumé de Moscou. Quant il était en résidence surveillée à Zenten, sous la garde d’une milice locale, des informations ont fait état de la visite de Russes et même d’un voyage du fils Kadhafi à Moscou. Depuis, ce soutien ne s’est jamais démenti et s’est même accentué en vue de la présidentielle de fin 2021. Ainsi, le 15 janvier dernier, l’envoyé spécial de Vladimir Poutine pour le Moyen-Orient et l’Afrique a reçu deux représentants du fils Kadhafi.

Ce dernier peut également compter sur le soutien de son riche cousin Kaddaf Eddam qui est basé en Egypte. Début décembre, plusieurs médias arabes affirmaient, sur la base de sources libyennes et égyptiennes, que le maréchal al-Sissi avait changé son fusil d’épaule et appuyait dorénavant Seif el Islam Kadhafi à la place de Haftar.

Toujours selon ces journaux, le fils Kadhafi se serait rendu au Caire juste avant d’officialiser sa candidature pour y rencontrer le chef de l’Etat et le général Abbas Kamil, le chef des renseignements égyptiens.

La candidature de Seïf el Islam se heurterait toutefois à un quasi véto des Etats-Unis qui soupçonnent le candidat de frayer depuis longtemps avec les mercenaires de la SMP russes Wagner.

L’ancien dictateur libye, le colonel Kadhafi, avait fait de Bachir Saleh son confident et sans doute son principalconseiller sur les dossiers internationaux

Bachir Saleh a le soutien de l’Italie 

Le troisième homme de la présidentielle libyenne est incontestablement Bachir Saleh, l’ancien argentier de la Jamahiriya et directeur de cabinet de Kadhafi qui vient de passer dix ans en exil notamment en Afrique du Sud où il avait été victime d’une tentative d’assassinat dans des conditions troubles en raison de sa proximité avec le pouvoir français sous la présidence de Nicolas Sarkozy.

Réfugié à Abu Dhabi où il a déposé des fonds importants, l’ancien directeur de cabinet et Monsieur Afrique de Mouammar Kadhafi, Béchir Saleh, prodiguait ses conseils au prince héritier émirati, Mohamed bin Zayed al-Nahyan, sur les affaires libyennes et africaines. De ce poste d’observation, le grand argentier du Guide a minutieusement préparé son retour.

https://www.lemonde.fr/societe/article/2016/11/03/bechir-saleh-l-encombrant-argentier-de-kadhafi_5024813_3224.html

Bien que très discret, Bachir Saleh est rentré en Libye à la mi-novembre pour déposer sa candidature. Cette dernière a été dans un premier temps retoquée ,mais aurait été revalidée par la justice le 3 décembre dernier, du moins selon son entourage.

Dans le jeu d’ombres diplomatiques qui se déploie en Libye pour la présidentielle, Bachir Saleh affiche deux atouts de taille. Premier d’entre eux, le soutien de l’Italie, pays historiquement influent en Libye (et qui en a une connaissance parfaite) et le seul pays de l’UE à pouvoir prétendre à sa part du gâteau dans la reconstruction de la Libye.

Le second atout de cet homme – et non des moindres – est son profil consensuel. Washington ne le perçoit pas comme un repoussoir contrairement au pro-russe Seïf el Islam, loin de là. Saleh peut vraisemblablement aussi compter sur un soutien des Emiratis chez lesquels il a passé ces dernières années, invité et protégé par Mohamed Ben Zayed, dit MBZ.

Une totale incertitude

Enfin, Bachir Saleh possède de solides soutiens au sein de l’Union africaine qu’il essaie de positionner dans le dossier libyen depuis des années. Il a en outre longtemps dirigé le LAP (Libyan Africa Investment Portfolio), un fonds d’investissement richement doté de la Jamahiriya qui a investi des dizaines de milliards d’euros en Afrique.

La politique libyenne n’étant pas une science exacte. Rien ne garantit bien sûr que le vainqueur d’une Présidentielle qui n’aura peut-être pas lieu soit Bachir Saleh, Seif el Islam Kadhafi ou le maréchal Haftar…Une certitude, le parti de la fraude sera majoritaire dans tous les cas de figure.

Les élections libyennes du 24 décembre de plus en plus hypothétiques