L’OCP au Maroc: la recherche en retard d’une guerre

L’office Chérifien des Phosphates, fleuron de l’économie marocaine, doit investir massivement dans la recherche et le développement. Une libre opinion d’Abdelatif Elouahabi*

Sur environ 21000 employés que comptait l’OCP en 2016, 170 seulement faisaient partie du département Recherche et Développement (R&D), soit 0,8 % ses effectifs (1). A titre d’exemple, la R&D dans les industries chimiques ou pharmaceutiques multinationales représente en moyenne 10 à 15% des effectifs totaux, soit jusqu’à 20 fois plus (2). Or l’OCP, même si elle est aussi une entreprise minière, produit surtout différentes formes d’acide phosphorique et d’engrais. Le niveau de la recherche devrait donc être comparable à celui des grands groupes pharmaceutiques et chimiques à l’étranger.

Ce n’est pas tout. Après presque cent ans d’existence, l’OCP continue à réaliser la totalité de son chiffre d’affaire sur plus ou moins les mêmes trois  familles de produits à faible valeur ajoutée, à savoir la roche phosphatée, l’acide phosphorique brute et les engrais (à base de mélanges phosphates/azote).

Premiers pas

Après des décennies de quasi immobilisme, l’entreprise semble avoir récemment adopté une approche d’innovation dite « incrémentale » renforçant ses acquis et sécurisant le marché de ses produits historiques. Des investissements conséquents dans la modernisation de la gouvernance et certains procédés de production ont été en effet lancés par la direction du groupe. Une politique de limitation de pollution de l’environnement, notamment par un meilleur contrôle des rejets chimiques, a été également installée.

L’entreprise semble s’être ouverte à l’innovation externe notamment en signant un accord avec la société belge Prayon pour développer l’application industrielle d’un nouveau procédé de purification d’acide phosphorique liquide.

Récemment, l’OCP a joué un rôle important dans le développement de l’université polytechnique Mohammed IV à Ben Guérir au nord de Marrakech. Les informations reprises sur le site web de cette institution indiquent que l’entreprise reste figée sur sa stratégie d’innovation incrémentale visant à améliorer les systèmes de management, logistique et d’ingénierie.

Encore un effort !

Hélas, la stratégie de l’entreprise n’est toujours pas orientée en premier vers l’innovation radicale. Une telle stratégie transformatrice consisterait à diversifier les activités et investir, par exemple, d’autres secteurs de l’industrie agroalimentaire en lien avec les engrais et/ou l’acide phosphorique. Par exemple, la sélection et l’amélioration de variétés de semences de plantes qui en présence d’engrais de l’OCP offriraient des caractéristiques plus attractives: haute valeur nutritive, meilleur » résistance à des conditions climatiques défavorables, croissance plus rapide. Le Maroc, pays agricole en premier lieu et disposant d’une richesse biologique fantastique, a tous les atouts pour permettre cette synergie entre les engrais et les semences. Ce qui absorberait les risques liés aux fluctuations des prix des phosphates ou leurs dérivés.

Les industries des produits alimentaires et ménagers, comme les détergents, utilisent l’acide phosphorique et/ou les phosphates. Autre piste, l’OCP pourrait investir massivement dans le développement de nouveaux produits, par exemple des boissons à base de plantes endémiques marocaines ou de nouvelles lessives industrielles et percer les marchés extérieurs. Au lieu de cela, l’OCP continue à se contenter d’agir comme fournisseur d’un des additifs de base, l’acide phosphorique.

L’uranium, trésor caché

Le Maroc dispose d’importantes réserves d’uranium qui se trouvent mélangés au minerai phosphate brute estimées à 6 millions de tonnes (3). L’uranium des phosphates marocains est plus difficile à extraire puisqu’il représente moins de 0,02% du minerai brute. Son prix de revient risque d’être plus élevé que d’autres sources actuelles du minerai dans le monde (notamment au Canada où des minerais contenant jusqu’à 15% d’uranium sont exploités).

Mais une vision à long terme pourrait parier sur l’augmentation possible des prix d’uranium. La tonne d’uranium coute aujourd’hui environ 50,000 $ alors que la tonne d’acide phosphorique ne coute qu’environ 500 $, soit 100 fois moins. L’OCP aurait signé un accord avec le groupe français Areva en 2007 pour collaborer en matière d’extraction d’uranium (4). Personne ne sait très bien où on en est de ce rapprochement.

Ailleurs dans le monde

La stratégie de diversification ciblée a porté ses fruits pour la société belge Solvay. Lancée en 1863 pour commercialiser la soude, les dirigeants de la société ont vite compris les limitations et dangers de tout miser sur un seul secteur à long terme. Ils ont donc investit dans la recherche et développement de divers produits chimiques et polymériques  visant des applications dans de nombreux domaines dont l’agriculture, les produits ménagers, l’industrie automobile et électronique, entre autres. Solvay a même investit le secteur pharmaceutique avant de s’y retirer pour se recentrer sur le chimique. Aujourd’hui, Solvay est un groupe international et à nombre d’employés comparable à l’OCP, réalise un chiffre d’affaires environ quatre fois plus élevé !

Nous pouvons encore citer Samsung qui se lance dans les médicaments biologiques biosimilaires ou Google qui investit dans les nouvelles technologies médicales. Autant d’entreprises qui anticipent le futur.

Un immobilisme alarmant

Il ne s’agit pas ici de critiquer les transformations structurelles, managériales et technologiques, initiées et menées avec talent par le président actuel du groupe OCP M.  Terrab. Ces transformations ont été certes vitales pour sortir le groupe d’une gouvernance inefficace menée depuis l’indépendance du pays. Notre propos vise à alerter sur le fait que cette stratégie seule ne portera ses fruits qu’à court et moyen terme. Une stratégie de croissance à long terme devra passer par l’investissement massif, risqué, dans de nouveaux secteurs d’activité.

L’OCP se doit de servir de modèle aux autres industries nationales. L’approche actuelle, où la première entreprise du Maroc se contente de gérer ses acquis historiques est le signe d’un immobilisme alarmant. Avec une telle approche, le pays continuera à avancer à petits pas au lieu de réaliser les sauts nécessaires pour accéder au statut des pays émergents.

 

(1) L’OCP crée en 1920 en tant qu’entreprise publique, est passée en 2008 au statut de société anonyme (SA) avec comme actionnaire l’Etat Marocain. Elle possède le monopole sur l’extraction, transformation et commercialisation des gisements de phosphates du Maroc. En 2016, le chiffre d’affaires annuel de l’OCP était d’environ 42,5 milliards de dirhams.

(2) https://www.efpia.eu/media/219735/efpia-pharmafigures2017_statisticbroch_v04-final.pdf http://www.chemlandscape.cefic.org/wp-content/uploads/combined/fullDoc.pdf

(3) http://mragheb.com/NPRE%20402%20ME%20405%20Nuclear%20Power%20Engineering/Uranium%20Resources%20in%20Phosphate%20Rocks.pdf

(4)http://www.new.areva.com/FR/actualites-6503/maroc-areva-signe-avec-l-ocp-un-accord-de-cooperation-dans-le-secteur-minier.html

 

* Abdelatif Elouahabi, docteur en biotechnologie, est directeur général d’Amaxa-consulting, société de conseil basée à Bruxelles. Il est spécialiste en R&D (Industrie Pharmaceutique Multinationale), processus « d’open innovation » et propriété industrielle.