La possible extradition d’un avocat des droits de l’homme algérien

Avocat spécialisé dans la défense des droits de l’homme, Rachid Mesli a été arrêté le 19 août à la frontière entre la Suisse et l’Italie sur la base d’un mandat d’arrêt algérien affirmant son appartenance à un groupe terroriste. Des accusations dénoncées comme politiques.

Avocat d’origine algérienne et directeur juridique de la Fondation Alkarama basée à Genève et spécialisée dans la défense des droits de l’homme dans le monde arabe, Rachid Mesli a été arrêté mercredi 19 août à la frontière entre la Suisse et l’Italie où il se rendait en vacances avec son épouse et son fils. Motif, un mandat d’arrêt délivré par les autorités algériennes en avril 2002 affirmant qu’il avait eu « des contacts avec des terroristes en Algérie » et était «membre d’un groupe terroriste opérant hors d’Algérie ».

Mandats politiques

« Les policiers italiens ont effectué un contrôle de routine » explique Colombe Vergès, chargée de communication pour Alkarama. « Ils ont contacté les polices suisse et française pour vérifier les antécédents de Rachid Mesli. Aucune irrégularité n’a été constatée. Puis ils ont appelé Interpol et ont pris connaissance du mandat d’arrêt. Rachid Mesli a ensuite été transféré au commissariat d’Aoste avant d’être mis en résidence surveillée. » Selon le mandat d’arrêt, Rachid Mesli a été accusé en 2002 de « fournir des informations téléphoniques sur les mouvements des groupes terroristes », ainsi que de « tenter d’approvisionner des groupes terroristes avec des caméras et des téléphones »

L’avocat qui a exercé ses fonctions jusqu’au début des années 2000 en Algérie n’en est pas à ses premiers déboires avec le pouvoir algérien. Enlevé par le DRS, les redoutables services de renseignement militaire algérien en 1996, tenu au secret et torturé au plus fort de la décennie noire qui a ensanglanté le pays, Rachid Mesli avait alors été inculpé d’appartenance à un groupe terroriste avant d’être acquitté en 1997 et accusé, à la place, d’avoir « encouragé le terrorisme ». A l’époque, plusieurs ONG de défense des droits de l’homme dont Amnesty International avaient signalé de graves manquements aux règles de conduite du procès à l’issue duquel il fut condamné à trois ans d’emprisonnement.

Installé en Suisse depuis 2000 où il a obtenu le statut de réfugié politique, il a créé en 2004 l’ONG Alkarama dont l’une des activités principales est d‘apporter une assistance juridique aux victimes et familles de victimes d’exécutions sommaires, de disparitions forcées, de tortures et de détentions arbitraires. Rachid Mesli travaille notamment en contact direct avec les personnes conernées et leurs proches afin de soumettre des informations aux procédures spéciales de l’ONU et à plusieurs de ses organes, dont le Comité contre la torture et le Comité des droits de l’homme.

Des activités qui ont déjà valu des démêlés de justice à plusieurs membres. « En décembre 2012, notre directeur éxecutif, avait été arrêté en France où il a passé 6 mois en prison également sur la base d’un mandat d’arrêt algérien » explique Colombe Vergès. « Il a été relâché après que le juge a estimé que les allégations étaient ubuesques ».

Les lois anti terroristes détournées

Consultés courramment par Interpol, les mandats d’arrêt ont l’inconvénient de pouvoir être utilisés à des fins politiques par des régimes autoritaires. Au point que certaines ONG plaident pour un renforcement des contrôles de ces mandats. « Il faut éviter qu’Interpol ne devienne une simple boîte au lettres » relève Colombe Vergès. « A la fondation Al Karama, nous avions tous connaissance de l’existence de ce mandat mais cela faisait rire tout le monde. Aujourd’hui n’importe quel défenseur des droits de l’homme dans le monde arabe qui se montre critique envers un gouvernement est accusé de terrorisme. L’usage détourné des loi antiterroristes permet aujourd’hui de détenir des opposants ».

Auditionné par la Cour d’Appel de Turin le 25 août, Rachid Mesli restera assigné à résidence dans la ville d’Aoste jusqu’au 31 août, date limite jusqu’à laquelle les autorités algériennes peuvent officiellement demander son extradition.

Mondafrique a pu joindre Rachid Mesli par téléphone depuis son hôtel d’Aoste en Italie.

Mondafrique. Aviez-vous connaissance du mandat d’arrêt émis par les autorités algériennes ? 

R.M. Oui, je connaissais l’existence de ce mandat depuis son émisson en 2002. Je résidais déjà en Suisse depuis 2000 et, en 2002, j’ai transmis tout le dossier pénal aux autorités du pays. A l’époque j’étais en charge de faire avancer les enquêtes sur les disparus en Algérie avec l’Onu. Les autorités algériennes n’ont jamais apprécié… la preuve encore aujourd’hui. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que ce mandat pose problème. Il y a 4 ans, j’avais déjà reçu un signalement par la Hongrie m’interdisant l’entrée sur le territoire de Schengen. Cette interdiction a été levée depuis.

Mondafrique. Vous travailliez déjà sur le dossier des disparus pendant la décennie noire en Algérie. 

R.M. Oui, j’ai commencé à travailler sur cette question dans les années 1990. A l’époque, nous étions un tout petit groupe d’avocats à nous risquer à nous intéresser à la question. Ce que le régime ne voyait évidemment pas d’un bon oeil. C’était le règne des juridictions d’exception. Toutes les personnes qui me communiquaient des informations sur les violations des droits de l’homme à l’époque ont été emprisonnées. Moi même après avoir été enlevé par le DRS puis torturé en 1996, j’ai été condamné à être emprisonné pendant trois ans. D’ailleurs il est paradoxal de constater que dans le mandat d’arrêt de 2002, je suis accusé d’avoir tenu une réunion avec un groupe terroriste dans la région de Dellys en Kabylie en juin 1999. Or à cette époque, j’étais en prison.

Mondafrique. Le renforcement de la lutte anti terroriste aujourd’hui entre en conflit avec les libertés individuelles et le respect des droits de l’homme.   

Oui, et le plus grave dans cette affaire est que malheureusement Interpol continue à donner suite à des mandats d’arrêt émis par des dictatures. Or, le statut même d’Interpol l’article 3 du Statut d’Interpol, dispose que toute intervention dans des questions ou affaires présentant un caractère politique, militaire, religieux ou racial est rigoureusement interdite à l’organisation. Il faut renforcer les recherches et les vérifications des allégations formulées dans les mandats d’arrêt.

Mondafrique. Selon vous, quelle sera l’issue de cette affaire ? 

R.M. Pour confirmer le mandat d’arrêt et faire une demande d’extradition, les responsables algériens doivent fournir un dossier complet dans les trente jours qui suivent. Or je suis prêt à parier qu’il ne s’y risqueront pas car ils se discréditeraient. Les allégations ne tiennent pas et de nombreux documents requis manqueront.