Ramadan 2023, une série saoudienne ravive le conflit chiite/sunnite 

Le groupe de médias saoudien MBC a annoncé pour la période du Ramadan qui débute le 22 ou 23 mars  la diffusion d’une série télévisée consacrée à Mu’awiya bin Abi Sufyan, une figure controversée de l’histoire islamique.  L’émotion est vive chez les chiites en Irak et dans la région.

in Ismail, l’acteur syrien qui joue le role of Mu’awiya

MBC Media Group, un groupe audiovisuel d’Arabie Saoudite, a annoncé la diffusion pendant le prochain mois de Ramadan, d’une série dramatique consacrée à Mu’awiya bin Abi Sufyan, le premier calife omeyyade. Le premier épisode n’aura beau être diffusé que dans 18 jours, toutes les communautés chiites du Moyen Orient sont déjà sur le pied de guerre. Pour les chiites, Mu’awiya était un ennemi de l’islam. 

Le leader chiite irakien Muqtada al-Sadr a exigé que MBC arrête la série. « La diffusion de telles séries est contraire à la nouvelle politique modérée menée par le pays frère qu’est l’Arabie saoudite », a tweeté Sadr le 14 février. L’Agence de surveillance des médias irakiens, la Commission de la communication et des médias, a averti la filiale de MBC en Irak, que la diffusion de pareille série allait à l’encontre de la réglementation du pays.  MBC Iraq a annoncé qu’il ne diffuserait pas la série.

Mais d’autres chaînes MBC n’auront pas cette délicatesse et satisferont les engagements signés avec le producteur. 

La série, réalisée par Tarek Alarian, aurait coûté entre 75 et 100 millions de dollars et sa mise en chantier a duré deux ans. Des acteurs arabes bien connus sont au casting, dont Lujain Ismail (jouant Mu’awiya), Iyad Nassar (Imam Ali), Suhair bin Amara (Hind, la mère de Mu’awiya) et Wael Sharaf (Amr Aas).

Les chiites sur le pied de guerre

Les musulmans jeûnent de l’aube au crépuscule pendant le Ramadan, qui devrait commencer le 22 mars. Ce mois est également connu comme une période de l’année où les chaînes de télévision de nombreux pays musulmans diffusent de nouvelles séries. 

Mu’awiya, la série en question tourne autour d’une période de l’histoire islamique connue sous le nom de « Première Fitna [Grande Discorde] », qui a émergé après le meurtre du calife Uthman bin Affan (644-56). Parent d’Uthman, Mu’awiya qui à cette époque est gouverneur de Syrie se propose comme successeur d’Uthman. Les chiites considèrent la manœuvre comme une « révolte » contre Ali, qui, selon eux, était le mieux à même de gouverner.



La série télévisée aborde également un certain nombre d’autres questions épineuses, notamment le meurtre d’Ali et le bref califat de son fils Hassan (janvier 661-août 661) – ainsi que l’abdication de Hassan en faveur de Mu’awiya.

La série suscite également des débats car elle dépeint la montée au pouvoir du fils de Mu’awiya, Yazid I (680-83). Les chiites insultent Yazid alors que ses forces répriment la révolte du fils d’Ali, Hussein, qui eut lieu en 680. La bataille sanglante a eu lieu dans l’Irak d’aujourd’hui, où des millions de chiites visitent aujourd’hui un sanctuaire dédié à Hussein chaque année.

Nombreux sont les chiites qui, de siècle en siècle, se transmettent la même colère contre les Omeyyades en général et Mu’awiya en particulier. Les sunnites en revanche, sont fiers de la période omeyyade et s’y réfèrent comme un moment glorieux de l’histoire islamique.  Pour les Arabes musulmans du Moyen Orient, le temps n’a pas effacé ces passions vieilles de plus de mille ans.

La riposte s’organise

La chaîne chiite irakienne Al-Shaaer a annoncé qu’elle ne diffuserait pas Mu’awiya et a fait savoir qu’elle allait produire une série rivale sur Abu Lu’lu’a Firuz, un esclave persan qui a assassiné le deuxième calife islamique, Umar ibn al -Khattab, en 644 après JC. Pour les sunnites, Umar est un chef religieux et politique important alors que les chiites le considèrent comme un dirigeant illégitime.  

La même Agence de surveillance des médias du gouvernement irakien a également rappelé à Al-Shaaer qu’« il est interdit aux médias conventionnés de déprécier, de déformer ou de dénigrer les croyances religieuses d’autres courants de l’islam ». Al-Shaaer a répondu qu’ils respecteraient cette consigne à condition que MBC ne diffuse pas Mu’awiya.

Sur les réseaux sociaux, l’agitation est à son comble et des appels à manifester devant le siège de MBC-Irak sont lancés. Le siège de MBC à Bagdad a été attaqué et incendié en 2020 après la diffusion d’un documentaire sur une attaque terroriste visant l’ambassade d’Irak au Liban dans les années 1980, accusant l’ancien chef des Unités de mobilisation populaire, Abu Mahdi Al-Muhandis , de mener l’attaque.

L’arme de la fiction historique  

Au cours des deux dernières décennies, films et séries historiques ont alimenté les rivalités entre l’Iran, l’Arabie saoudite et la Turquie. Toutes les fictions produites ainsi que les documentaires avaient pour but de glorifier telle ou telle nation tout en dénigrant les nations rivales. Ces fictions ou documentaires n’avaient qu’un seul point commun : l’hostilité envers l’Occident.

La série Mu’awiya réveille – avant même sa diffusion – le conflit structurel de l’islam moyen oriental, le conflit Shiite-Sunnite. Un conflit d’autant plus important que qu’au Moyen Orient, les Chiites font à peu près jeu égal avec les Sunnites en terme d’importance démographique. Si les Sunnites sont plus nombreux au plan mondial, au Moyen Orient, les deux populations sont d’importance similaire.

Les dirigeants de l’Irak, pays où la population est pour plus de la moitié composée de chiites et qui n’en finit plus de panser ses plaies après la défaite de l’Etat Islamique, a des raisons de craindre le réveil de passions mal endormies.