Marième Faye Sall, l’impératrice du Sénégal 

Derrière son effacement, Marième Faye Sall, la première dame du Sénégal, cache son vrai rôle de coach et conseillère influente de Macky Sall. Une véritable revanche pour celle qui fut longtemps une femme au foyer sans profession, issue d’une famille très modeste.

Dans le couple que forment Macky et Marième Faye Sall la distribution des rôles a été réglée comme sur un papier à musique. A Monsieur le président, reviennent la lumière, les prises de parole publique, les voyages officiels et les apparitions sous les ors de la république et les projecteurs. A Madame la présidente, le rôle de conseillère de l’ombre, celui de la confidente, du coach qui n’apparaît jamais. 

Ascenseur social 

La trajectoire de Marième Faye Sall est celle d’un pari gagnant. Elle épouse en 1992 un « obscur fonctionnaire », un jeune ingénieur en pétrochimie comme le Sénégal sait en fabriquer par dizaine. Marième Faye, née dans une fratrie de huit enfants, qui n’était alors qu’une lycéenne sans histoire, mise sur sa vie de couple au point d’abandonner ses études l’institut supérieur de technologie de Dakar pour se consacrer à l’éducation de ses enfants. Tous deux issus des familles modestes, le couple Marième Faye et Macky Sall connaît des soucis de fin de mois : les factures d’électricité à payer, l’éducation des enfants et les sollicitations sociales.

Leur vie va basculer lorsque Macky s’encarte au Parti démocratique sénégalais (PDS) au pouvoir à Dakar, après la défaite en 2000 du président socialiste Abdou Diouf. Son successeur Abdoulaye Wade repère Macky Sall parmi les jeunes loups du parti. Tout s’accélère pour Macky et Marième Faye Sall. Il devient conseiller, ministre de l’Hydraulique, ministre de l’Intérieur puis président de l’Assemblée nationale. Marième Faye le suit en restant à l’ombre. Elle consacre ses journées à préparer le « tchébou-djène », plat national du Sénégal.  Le reste de son temps, elle tricote, regarde la télévision et écoute la radio. Arrive ensuite, en 2008, la disgrâce. Wade prend très mal les ambitions de Macky de vouloir lui succéder, lui qui a son plan de dévolution dynastique du pouvoir en confiant les clefs du palais à son fils Karim. 

Traversée du désert 

Au prix d’une modification de la Constitutionnelle, Macky est débarqué 2008 de son perchoir à l’Assemblée nationale. Il entame une traversée du désert. Les téléphones ne sonnent plus, les visites d’amis et de parents se rarifient. Dans l’épreuve, Marième va se révéler. La lycéenne timide, la ménagère sans emploi, devient « une lionne », elle sera le principal soutien de Macky dans l’épreuve. Désormais privé des privilèges protocolaires liés à sa fonction, Macky Sall n’a plus accès au salon d’honneur de l’aéroport, ni véhicule de fonction, ni chauffeur.

C’est Marième Faye qui l’emmène à l’aéroport internationale de Yoff et vient le chercher pour ses voyages internationaux.  Elle aussi qui va le pousser dans le dos, au propre comme au figuré, dans sa confrontation désormais ouverte avec Abdoulaye Wade, son ex-mentor. Elle enfin qui va chercher les premières ressources financières pour permettre le démarrage de l’Alliance pour la république (APR), la formation lancée fin 2008 par Macky pour conquérir le pouvoir. Ses parents, ses connaissances, ses amis seront démarchés un à un pour s’encarter à l’APR. Marième Faye prend ainsi goût à la politique. Elle donne son avis lorsqu’elle s’est sollicitée et s’invite dans les débats internes au parti même lorsque personne ne l’y invite. 

Retour sur investissement  

Lorsque Macky Sall est élu président de la République en 2012 à l’issue du second tour Marième Faye Sall tient sa revanche. Elle se sent légitime pour avoir un rôle déterminant dans la gestion de l’appareil d’Etat. Elle ne voudra rien pour elle-même. Mais pour les siens, elle fera tout. Depuis l’installation de Macky dans le fauteuil présidentiel, de très nombreuses nominations portent l’empreinte de Marième Faye. De nombreuses disgrâces sont également de son fait. Les choses se passaient dans la discrétion totale, le soir dans le secret du tête-à-tête entre Macky et Marième Faye sall jusqu’au jour où Mbagnick Ndiaye, si fier de son maroquin de ministre de la Culture, a laissé entendre : « Si nous sommes ministres Matar Ba et moi, nous le devons à Marième Faye ». L’opinion découvre alors hébétée que la première dame avait son quota réservé dans le gouvernement et dans les nominations aux plus hautes fonctions civiles et militaires. Elle pouvait aussi opposer son véto à telle nomination ou telle décision. 

 « On pensait avoir élu un président de la République, mais on a élu une première dame. On en a marre de la dynastie Faye-Sall », s’était indigné le rappeur Keur Gui, un des fondateurs du mouvement social « Y’en a marre ». Les critiques sur la très grande influence de la première dans les affaires de l’Etat et son ascendant sur son mari vont largement dépasser les opposants et la société civile pour arriver jusqu’aux alliés politiques de Macky. 

Authenticité sénégalaise 

Sachant qu’elle n’a ni le parcours académique, ni l’origine sociale la normande Colette Senghor, la métisse Elisabeth Diouf et la bourgeoise Viviane Wade, les trois premières dames qui l’ont précédée, Marième Faye joue la fibre nationaliste. Elle séduit une partie de l’opinion sénégalaise par son attachement aux faits et gestes qui font la femme authentique sénégalaise. Lecture quotidienne du Coran, toujours habillée en grands boubous africains, tresses traditionnelles de rigueur, jamais une couche de rouge à lèvres en excès. On l’a même vu esquisser quelques pas de danses traditionnelles et raccompagner ses hôtes jusqu’aux grilles du palais présidentiel. Mais les Sénégalais attendent désormais Marième Faye Sall sur la décision de son mari de briguer ou non un troisième mandat en 2024. A tort ou à raison, nombreux sont ses compatriotes qui sont convaincus que cette décision ne sera pas prise par Macky tout seul. L’avis de Marième Faye Sall sera déterminant. 

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)