La réélection du président Erdogan célébrée par ses homologues africains 

Les dirigeants africains ont participé en grand nombre à l’investiture le 3 juin du président turc Racep Tayyip Erdogan pour un nouveau mandat de cinq ans. L’Europe a brillé, en revanche, par son absence à cette cérémonie, comme si elle refusait toujours le verdict du scrutin présidentiel.

 

Le contraste était saisissant : d’un côté une absence totale, qui frise la bouderie, et de l’autre une présence massive de dirigeants africains à la cérémonie d’investiture le 3 juin à Ankara du président turc Erdogan réélu pour un nouveau mandat de cinq ans avec plus de 52% des voix.  

Bien au-delà du nombre, on notait une représentativité du continent du nord au sud, d’est en ouest. Pour l’Afrique orientale, il y avait au palais Kullye d’Ankara le Rwandais Paul Kagamé et le Somalien Hassan Cheikh Mohamed ; pour l’Afrique de l’Ouest le Bissau-guinéen Umaru Embalo Sissoko et le Guinéen Mamadi Doumbouya ; pour l’Afrique centrale le Gabonais Ali Bongo Ondimba et le vice-président équato-guinéen Teodoro Nguema Obiang Mangue. A cette cérémonie d’investiture organisée en grandes pompes dans la capitale politique turque, il y avait également pour l’Afrique du nord le Premier ministre libyen Abdulhamid Dabaiba et pour l’Afrique australe le président sud-africain Cyril Ramaphosa. Représentativité géographique mais diversité linguistique aussi à travers la présence des dirigeants africains anglophones, arabophones, francophones et hispanophones. 

Convergence diplomatique et reconnaissance 

Derrière cette présence massive des dirigeants africains à Ankara, apparait leur volonté assumée non seulement de reconnaître une réélection transparente à tous égards mais surtout traduire leur reconnaissance envers leur homologue turc qui s’est tant investi dans l’obtention de l’accord entre la Russie et l’Ukraine pour permettre la reprise des exportations des céréales à partir de ces deux Etats en conflit vers le reste du monde.  

Plus qu’ailleurs dans le monde, l’arrêt des exportations des céréales russes et ukrainiennes a provoqué en Afrique une explosion des prix des denrées alimentaires qui menaçait la stabilité des Etats et la cohésion sociale. Outre la contribution des Nations unies, la mobilisation de la Turquie a été décisive dans l’obtention de cet accord mais surtout dans son maintien, en dépit des récriminations de Moscou sur la non-application de certaines dispositions. Profitant de ses relations de respect mutuel et d’amitié avec le président Poutine, Erdogan a obtenu que des militaires russes et ukrainiens participent côte à côte à Istanbul aux côtés des Turcs et des représentants des Nations unies à la surveillance des navires autorisés à transporter les céréales de la zone de guerre vers toutes les régions du monde. A cela s’ajoute la convergence totale de la position du président turc et la plupart de ses homologues africains sur la guerre en Ukraine. La doctrine turque, majoritairement partagée en Afrique, est celle de condamner sans équivoque l’invasion le 24 février 2022 de l’Ukraine par la Russie, mais sans se sentir liée par les sanctions décidées au niveau européen. 

« Les sanctions européennes ont été décidées par des Etats membres de l’Union européenne lors des réunions organisées à Bruxelles auxquelles la Turquie n’a jamais été conviée. Pourquoi voulez-vous que la Turquie s’aligne mécaniquement sur ces décisions ? », a expliqué une source diplomatique turque, résumant parfaitement la position de l’Union africaine et de la plupart des dirigeants du continent. 

Nouveaux horizons de coopération 

La réélection du président Erdogan suscite en Afrique l’espoir de renforcer la coopération déjà existante et d’ouvrir de nouveaux horizons. Depuis plusieurs années la Turquie contribue à la réduction du gap important de l’Afrique en infrastructures. Des entreprises ont ainsi construit des aérogares aux standards internationaux, notamment l’Aéroport international Blaise Diagne (AIDB) à Dakar, l’aéroport international Hamani Diori de Niamey. Elles ont également construit d’autres joyaux architecturaux tels que le Centre international de conférence Abdou Diouf situé à Diamnadio à la périphérie de Dakar, l’Hôtel des Finances à Niamey, au Niger.  

A partir de son hub d’Istanbul, la compagnie nationale Turkish Airlines dessert actuellement près de 62 destinations africaines. Son réseau devrait s’étendre dans les prochaines années avec l’ouverture de nouvelles lignes et le renforcement des liaisons déjà existantes. Au départ des Etats africains, le tourisme médical vers la Turquie est également en plein expansion. Alors que l’Europe se barricade en imposant des conditions draconiennes pour l’obtention de visas, y compris pour des personnes ne présentant aucun risque migratoire, la Turquie simplifie largement les conditions d’entrée et de séjour aux étudiants africains, aux hommes d’affaires, aux chercheurs ainsi qu’aux hommes politiques et aux élus. 

Avenir prometteur du partenariat militaire 

Les cinq prochaines années de mandat du président Erdogan devraient très largement favoriser le renforcement de la coopération militaire afro-turque. Sur un continent traversé de part en part par la crise sécuritaire, la Turquie devient un allié stratégique en matière de formation, d’équipement et d’assistance militaire. Les armées africaines apprécient très fortement le rapport qualité/prix du matériel turc, les délais de livraison rapide mais aussi l’absence des conditions jugées parfois vexatoires en matière de démocratie et des droits de l’homme.  

En plus de ses facilités de manipulation, un drone turc coûte dix fois moins cher qu’un drone américain. Déjà présente depuis 2017 à Mogadiscio, en Somalie, avec la plus grande base de son armée à l’extérieur, la Turquie a signé des accords de coopération militaire avec le Burkina Faso en 2019 et le Niger en 2020. Comme lors de ces précédents mandats, le président Erdogan devrait cette fois-ci aussi effectuer plusieurs déplacements en Afrique pour vanter la technologie militaire turque, le savoir-faire des entreprises nationales et souligner la spécificité du partenariat entre le continent et son pays. Entre 2003 et 2021, Erdogan a visité 28 pays africains, soit presque la moitié du continent. Il a désormais cinq ans devant lui pour visiter l’autre moitié d’une Afrique où son pays dispose, avec 44 ambassades, du plus vaste réseau diplomatique occidental, après la France.  

Francis Sahel