La politique au Cameroun et le football: les liaisons dangereuses

Guerre ouverte au sommet du football camerounais. Entre le ministre des Sports et de l’Éducation physique, Narcisse Mouelle Kombi, et le président de la Fédération camerounaise de football, l’ancien footballeur star Samuel Eto’o, les couteaux sont tirés. Larvées depuis l’échec du Cameroun à la CAN 2023, avec une élimination en huitièmes de finale au terme d’un parcours des plus ternes, les hostilités ont débuté le 2 avril dernier.

Un article de Patrick Juillard

Narcisse Mouelle Kombi, ministre des sports, en conversation avec Samuel Eto’o
Ce jour-là, les Camerounais apprennent à la CRTV (télévision nationale) la nomination du Belge Marc Brys au poste de sélectionneur, en lieu et place du Camerounais Rigobert Song, choisi en 2022 par Eto’o contre l’avis du ministre et non reconduit au terme de son contrat. Un communiqué du « Minsep » (forme abrégée très usitée pour ministère des Sports et de l’Éducation physique, ndlr) vient ensuite officialiser l’annonce, qui se double de celle de la composition du nouveau staff technique, constitué principalement de membres de l’équipe en place avant la nomination de Song.

Seulement voilà, la « Fécafoot », ainsi que l’on désigne la Fédération, n’est pas d’accord, et le fait savoir. Pour l’instance dirigeante, cette désignation présente un caractère « unilatéral » et va à l’encontre des textes en vigueur. Une guerre des communiqués commence alors. Arguant qu’il s’agit d’une décision prise en bonne intelligence avec la présidence de la République, le ministre des Sports rappelle que la convention entre le ministère et la Fécafoot du 5 février 2015 donne « la pleine et entière latitude à l’État de recruter et de mettre des encadreurs à la disposition des sélections nationales de football. »

Non sans rappeler les « résultats relativement médiocres des Lions Indomptables depuis le premier trimestre 2022 », en particulier la « débâcle » enregistrée à la CAN 2023, le représentant du gouvernement assure que les trois entraîneurs proposés par Samuel Eto’o pour remplacer Rigobert Song avaient pour point commun de présenter des prétentions salariales exorbitantes.

Insistant en conclusion sur la nécessité de faire prévaloir « l’intérêt supérieur de la nation, dont les Lions Indomptables sont l’un des plus emblématiques porte-étendards » au-delà des « considérations particularistes ou individualistes », le ministre espère mettre un terme à la crise. Peine perdue. Le lendemain, la Fécafoot contre-attaque de nouveau et annonce, au terme d’une réunion de son comité d’urgence, que son président, Samuel Eto’o, va formuler dans les 72 heures des « propositions de nominations pour les postes clés au sein de l’encadrement des Lions Indomptables. » 


Une crise qui vient de loin

Depuis, Marc Brys a été officiellement installé dans ses fonctions de sélectionneur, et les propositions attendues ne sont pas venues du camp Eto’o, il est vrai marqué par le décès récent du père de l’ancien joueur, enterré ce jeudi en présence de nombreuses personnalités du football camerounais. Cet épisode conflictuel aura apporté une nouvelle illustration de l’importance politique du football au Cameroun. 

D’abord parce que les cas d’implication des services de la présidence de la République dans la désignation sont tout sauf rares. Ce fut notamment le cas lors de la désignation du Français Paul Le Guen à la suite d’un entretien entre le chef de l’Etat camerounais, Paul Biya, et le Premier ministre français d’alors, François Fillon, venu au Cameroun pour assister à la fête de l’Unité le 20 mai 2009, ainsi que le racontait le journaliste spécialisé Jean-Bruno Tagne, dans son ouvrage « Programmé pour échouer », paru en 2010.

Ces dissensions entre l’État, qui paye le sélectionneur, et la Fédération, qui est supposée présenter les candidats au poste, ne datent pas d’hier. La décennie 2010 fut celle de tous les contentieux. La Fédération camerounaise vit alors une crise à rebondissements multiples avec des contentieux en série et des présidences contestées, avec des recours devant le Tribunal arbitral du sport (TAS) et des interventions de la FIFA, via la mise en place de comités de normalisation, à deux reprises.

Tout avait commencé en juin 2013 avec la réélection contestée de Mohammed Iya, patron de Fécafoot depuis 2000. Déjà incarcéré pour de présumés détournements de fonds au sein de la Société de développement du coton (Sodecoton), l’homme d’affaires écopera en septembre 2015 d’une peine de 15 ans de prison. C’est cette période troublée que l’élection de Samuel Eto’o avait, pensait-on alors, soldé en décembre 2021.


Au coeur du discours politique

Ingérence ou récupération ? Ces griefs ne sont jamais très loin quand il est question de l’importance clé du football dans le discours politique au Cameroun. Le « sport roi » a été abondamment utilisé, tant lors de la période de succès des clubs nationaux (1965-1981) que lors des décennies fastes des Lions Indomptables (1982-2002) ou depuis ces temps bénis. Le discours présidentiel fait à la nation prononcé le 31 décembre, comme celui du 10 février, veille de la fête nationale de la jeunesse, regorgent d’allusions plus ou moins transparentes au ballon rond. Sans parler bien sûr des réceptions des joueurs au Palais de l’Unité à la suite des victoires dans des compétitions internationales majeures.

« Lorsqu’il m’arrive de m’interroger sur nos enjeux nationaux et notre destin commun, comme c’est certainement le cas pour chacun d’entre vous, je pense aux Lions Indomptables qui ne sont jamais aussi forts qu’en période de doute et qui savent se relever à chaque fois de faux pas perpétrés. C’est ce que j’appelle «l’esprit des Lions» autrement dit «the fighting lions spirit». Nous devrions nous en inspirer en toutes circonstances pour déjouer toutes les manœuvres funestes, éviter les nombreux pièges qui nous sont tendus, en particulier ceux du découragement et de la démobilisation, mais surtout pour relever les multiples défis qui nous sont lancés », écrivait par exemple le président Paul Biya dans sa Lettre aux Camerounais le 3 novembre 2009.

Dans un pays qui compte plus de 200 langues nationales et entités ethniques, la sélection se doit d’incarner l’unité nationale. Ce besoin explique le très faible nombre de sélectionneurs camerounais à avoir occupé le banc des Lions Indomptables. Ce choix managérial reflète la crainte du favoritisme ethnique (voire de la corruption), en même temps que le peu de crédibilité longtemps accordée aux techniciens locaux. Marc Brys, intronisé le 8 avril, est déjà le troisième Belge à accéder à ce poste !

Le Cameroun, une exception

Quelques semaines après son accession à la présidence de la Fécafoot, Samuel Eto’o avait pourtant rompu avec cette habitude en nommant, contre l’avis de son ministre de tutelle, son compatriote et ancien coéquipier en équipe nationale, Rigobert Song. Mais après des débuts réussis, avec une qualification décrochée sur la pelouse de l’Algérie, les choses ont mal tourné. Et il est devenu évident après une CAN 2023 des plus ternes que l’ex-défenseur et capitaine des Lions Indomptables ne serait pas reconduit.

Et si Marc Brys est le choix du ministre des Sports, même les trois profils retoqués pour cause de prétentions financières exorbitantes étaient des techniciens européens (le Français Hervé Renard, actuel sélectionneur de l’équipe de France féminine, le Portugais José Peseiro, finaliste de la dernière CAN avec le Nigeria et l’ancien champion du monde italien Fabio Cannavaro).

Des grands noms qui tranchent avec les profils en vogue depuis la fin des années 2010 sur les bancs techniques du continent : des entraîneurs présentés comme « locaux », qui ont en réalité un pied en Afrique et l’autre en Europe, où ils ont grandi et fait carrière : l’Algérien Djamel Belmadi, le Sénégalais Aliou Cissé, le Marocain Walid Regragui, ou encore le dernier vainqueur de la CAN en date, l’Ivoirien Emerse Faé, formé en tant que footballeur en France mais arrivé à maturité en tant que technicien dans le pays de ses ancêtres. En échouant à imprimer sa marque sur l’équipe, Rigobert Song a laissé passer une occasion de s’ajouter à cette liste de réussites totales ou partielles.

Fin de la crise ou simple pause ?

Avec la reprise en mains de la sélection par le ministère des Sports, les autorités entendent aujourd’hui remettre Samuel Eto’o face à ses promesses de campagne, en l’occurrence réhabiliter le football local, plutôt que de se focaliser sur une vitrine (l’équipe A) qui comprend une part croissante de joueurs binationaux nés et formés en Europe. L’ancien double champion d’Afrique en restera-t-il là ?

Grand ancien, Joseph Antoine Bell ne voit pas Samuel Eto’o nommer son propre sélectionneur en concurrence avec Marc Brys. « Je ne vois pas quel entraîneur, qu’il soit camerounais ou étranger, pourrait accepter une telle offre et se mettre dans une position très inconfortable qui pourrait nuire à sa réputation, estime dans les colonnes du Monde l’ancien gardien de but de l’OM. Samuel Eto’o dit qu’il est occupé par les obsèques de son père, ce qui est louable. Quand pourrait-il trouver le temps de chercher un sélectionneur ? Et surtout dans quel but ? Un entraîneur a été nommé, il faut en finir avec cette affaire. » Sera-ce le cas, ou bien le feuilleton s’enrichira-t-il de nouveaux épisodes ? Réponse à suivre.

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