Afrique - Mondafrique https://mondafrique.com/tag/afrique/ Mondafrique, site indépendant d'informations pays du Maghreb et Afrique francophone Wed, 27 Aug 2025 06:53:31 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.8.2 https://mondafrique.com/wp-content/uploads/2017/11/logo_mondafrique-150x36.jpg Afrique - Mondafrique https://mondafrique.com/tag/afrique/ 32 32 La restitution du patrimoine africain (volet 2): le temps des conventions https://mondafrique.com/loisirs-culture/la-restitution-des-oeuvres-a-lafrique-volet-2-le-temps-des-conventions/ Wed, 27 Aug 2025 03:31:00 +0000 https://mondafrique.com/?p=70396 Les Africains à partir des Indépendances n’ont pas cessé de réclamer ces objets pillés. Après un traité en 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, l’UNESCO propose un texte en 1970 « pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété de biens illicites des biens culturels ». […]

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Les Africains à partir des Indépendances n’ont pas cessé de réclamer ces objets pillés. Après un traité en 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, l’UNESCO propose un texte en 1970 « pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété de biens illicites des biens culturels ». [1]

Une chronique d’Alexandre Vanautgaerden.

Alexandre Vanautgaerden est historien et historien d’art. Il a travaillé et dirigé plusieurs institutions culturelles (musées, bibliothèques) en Belgique, Suisse et France. Il a publié de nombreux livres sur l’humanisme et Érasme, et travaille actuellement sur l’évolution des lieux d’exposition au regard du développement des projets numériques. Il est Honorary Reader au Centrum for the Study of the Renaissance de l’Université de Warwick en Angleterre.

Le président Mobutu s’adresse le 4 octobre 1973  aux États membres de l’ONU lors d’une réunion de l’Assemblée générale à New York, sous le regard du Secrétaire général Kurt Waldheim (assis à gauche), et réclame le retour des objets pillés pendant la colonisation. Photo ONU/Yutaka Nagata.

La Convention de l’UNESCO entre en vigueur en 1972 avec trois États parties : Bulgarie, Équateur et Nigeria. Elle distingue les pays « exportateurs » des pays « importateurs».

Le professeur Abdoulaye Camara de l’Université Senghor d’Alexandrie nous rappelle qu’un an plus tard, le président de la République démocratique du Congo (Zaïre à l’époque) Mobutu Sese Seko prononce un vibrant discours aux Nations Unies au cours duquel il ne manque pas de réclamer le retour des biens pillés :

Parmi les revendications des pays sous-équipés, principalement les pays anciennement colonisés, il existe un domaine d’importance capitale, car il se rapporte au patrimoine culturel de nos pays. Pendant la période coloniale, nous avons subi non seulement le colonialisme, l’esclavagisme, l’exploitation économique, mais aussi et surtout un pillage sauvage et systématique de toutes nos œuvres artistiques. C’est ainsi que les pays riches se sont approprié nos meilleures et uniques pièces artistiques. Et nous sommes pauvres non seulement économiquement, mais aussi culturellement.

Ces œuvres qui se trouvent dans les musées des pays riches ne sont pas nos matières premières, mais des produits finis de nos ancêtres. Ces œuvres, gratuitement acquises ont subi une telle plus-value qu’aucun de nos pays respectifs ne peut avoir les moyens matériels de les récupérer.

Ce que je vous dis est fondamental. Car tout pays riche, même s’il ne possède pas la totalité des chefs d’œuvre de ses meilleurs artistes, en possède au moins une grande partie. C’est ainsi que l’Italie possède des Michel-Ange, la France des Renoir, la Belgique des Rubens, la Hollande des Rembrandt ou des Vermeer. Et l’autre fait qui montre la justesse de mes propos est que, pendant la seconde guerre mondiale; Hitler avait pillé le musée du Louvre et emporté les magnifiques œuvres qui s’y trouvaient. Quand la libération intervint, avant même de songer à la signature de l’armistice, la France recherchait, par tous les moyens, li récupérer ses œuvres d’art, ce qui était normal. C’est pourquoi je demande également que cette Assemblée générale vote une résolution demandant aux puissances riches qui possèdent des œuvres d’art des pays pauvres d’en restituer une partie afin que nous puissions enseigner à nos enfants et à nos petits-enfants l’histoire de leur pays.[2]

Le Zaïre sera le vingtième pays à ratifier (ou accepter) la convention en 1974.Il faudra attendre 1997 pour que la France ratifie la convention après la piteuse affaire du bélier Djenné de Jacques Chirac (voir l’épisode 1), et les années 2000 pour que des pays importateurs parmi les plus importants l’acceptent (comme le Japon, le Royaume-Uni et l’Irlande du Nord en 2002, ou la Suisse en 2003) : ou la ratifie (comme la Belgique en 2009).

Bronze Ife vs Gaston Lagaffe (Etat belge)

La Belgique qui, non contente d’être une plaque tournante du commerce illicite, se singularise par un sens aigu du cafouillage, digne de Gaston Lagaffe, le personnage de BD inventé par André Franquin. Un « bronze d’Ife » avec d’autres pièces est volé le 14 janvier 1987 dans le Musée national de Jos, une ville du Nigeria. Un gardien du musée est mortellement blessé lors du cambriolage. La pièce est déclarée à Interpol et le Conseil international des musées (ICOM) la publie sur sa liste rouge. Le bronze est saisi en Belgique dans des circonstances inconnues (le Tribunal de Bruxelles a égaré le dossier). Le 14 novembre 2007, le Service public fédéral Finances organise une vente publique de biens saisis à Molenbeek. Un « lot d’art africain », contenant le bronze d’Ife, passe sous le marteau : l’Etat Belge met donc aux enchères un chef-d’œuvre nigérian volé d’une valeur de plusieurs millions d’euro, et la vend à un antiquaire belge pour la somme de 240 euros ! Dix ans plus tard, le bronze est envoyé à la maison de vente aux enchères Woolley & Wallis à Londres, où la justice britannique le saisit. Une querelle juridique commence. L’affaire est dans l’impasse car la Belgique considère qu’il il ne s’agit pas d’une affaire entre deux pays, mais entre un individu (l’antiquaire) et un autre pays (le Nigeria).

Selon M. Babatunde Adebiyi, de la Commission nigériane des musées et des monuments : « La Belgique ne veut pas aider car, au moment de la vente, elle n’avait pas encore signé la Convention de l’UNESCO de 1970 sur le trafic illicite de biens culturels. Cela ne s’est produit qu’en 2009, deux ans après la vente de la pièce. » Espérons que l’Etat belge finira par entendre raison et entendre le conseil de Julien Volper, conservateur au Musée royal de l’Afrique centrale, qui pense que : « le gouvernement belge peut résoudre cette affaire rapidement en payant 60 000 euros au propriétaire actuel de la tête [qui en réclamait dans un premier temps 5 millions au gouvernement du Nigéria]. C’est une bagatelle par rapport à sa valeur réelle. » Personne ne contestant que la pièce a été commercialisée illégalement. Espérons que le bon sens l’emportera.[3]

L’appel d’Amadou-Mahtar M’Bow en 1978

On me permettra, malgré cette histoire rocambolesque, d’être moins pessimiste que Philippe Baqué à l’égard de ces conventions internationales.[4] Si j’ai bien conscience qu’une convention ne change pas le réel, elle permet de faire prendre conscience du problème, médiatise et sensibilise les professionnels du monde des musées.

Aujourd’hui, après les conventions, les codes éthiques, les listes rouges des objets volés, plus aucun conservateur de musée ne peut dire qu’il n’est pas au courant quand il entreprend l’acquisition d’un objet archéologique sans provenance, et que cet achat, s’il l’effectue le met en contradiction avec le code de déontologie auquel il a adhéré.

M. Amadou Mahtar M’Bow, Directeur Général de l’UNESCO (1974-1987). Photo : UNESCO / Dominique Roger.

« Ne plus faire du malheur des autres peuples l’ornement de notre patrie » Amadou Matar M’Bow.

L’UNESCO ne s’arrête pas de combattre le trafic illicite après 1970. En 1978, la Conférence générale de l’UNESCO crée le Comité intergouvernemental pour la promotion du retour de biens culturels à leur pays d’origine ou de leur restitution en cas d’appropriation illégale. Ce mécanisme vise à traiter la question de la restitution ou du retour des biens culturels perdus lorsque aucun instrument international ne s’applique – par exemple, les cas survenant avant l’entrée en vigueur de la Convention de 1970. Une des principales critiques à l’encontre de la convention est son aspect non rétroactif. Comme on le sait, une grande partie des biens illicites est sortie du continent africain avant 1970.

C’est en juin 1978 que Amadou-Mahtar M’Bow lance un appel solennel « pour le retour à ceux qui l’ont créé d’un patrimoine culturel irremplaçable ».  La place manque ici pour le citer en entier, même si chacune des phrases de cet appel est mûrement méditée. On peut le retrouver sur le site de l’UNESCO, qui offre aussi l’occasion de l’entendre in extenso ou de le visionner dans une version abrégée.[5] Offrons ici trois paragraphes :

Le génie d’un peuple trouve une de ses incarnations les plus nobles dans le patrimoine culturel que constitue, au fil des siècles, l’œuvre de ses architectes, de ses sculpteurs, de ses peintres, graveurs ou orfèvres de tous ses créateurs de formes qui ont su lui donner une expression tangible dans sa beauté multiple et son unicité. Or, de cet héritage où s’inscrit leur identité immémoriale, bien des peuples se sont vus ravir, à travers les péripéties de l’histoire, une part inestimable.

[…] Les peuples victimes de ce pillage parfois séculaire n’ont pas seulement été dépouillés de chefs-d’œuvre irremplaçables : ils ont été dépossédés d’une mémoire qui les aurait sans doute aidés à mieux se connaître eux-mêmes, certainement à se faire mieux comprendre des autres.

[…] C’est pourquoi, au nom de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, qui m’en a confié le mandat, J’appelle solennellement les Gouvernements des États membres de l’Organisation à conclure des accords bilatéraux prévoyant le retour des biens culturels aux pays qui les ont perdus ; à promouvoir prêts à long terme, dépôts, ventes et donations entre institutions intéressées en vue de favoriser un échange international plus juste des biens culturels ; à ratifier, s’ils ne l’ont pas encore fait, et à appliquer avec rigueur la Convention qui leur donne les moyens de s’opposer efficacement aux trafics illicites d’objets d’art et d’archéologie. […]

Et il terminait par ces mots :

Il y a deux mille ans, l’historien grec Polybe nous invitait à ne plus faire du malheur des autres peuples l’ornement de notre patrie. Aujourd’hui, tous les peuples étant reconnus égaux en dignité, je suis convaincu que la solidarité internationale peut au contraire aider concrètement au bonheur général de l’humanité. Restituer au pays qui l’a produit telle d’art ou tel document, c’est permettre à un peuple de recouvrer une partie de sa mémoire et de son identité, c’est faire la preuve que, dans le respect mutuel entre nations, se poursuit toujours le long dialogue des civilisations qui définit l’histoire du monde.

La convention de UNIDROIT, 1995

Afin d’être plus efficient dans la lutte contre le trafic illicite de biens culturels, l’UNESCO demande à l’Institut international pour l’unification du droit privé (UNIDROIT) d’étudier les questions relatives au droit privé qui ne sont pas directement traitées par la Convention. La Convention sur les biens culturels volés ou illicitement exportés de UNIDROIT voit le jour en 1995, elle complète ainsi celle de 1970 au niveau du droit privé.[6]

À la suite de l’UNESCO, le Conseil international des musées (ICOM) s’est impliqué de manière régulière pour lutter contre le trafic illicite des biens culturels à partir des années quatre-vingt-dix. Nous avons vu dans le premier épisode que c’est à partir d’une liste d’objets pillés éditée par l’ICOM en 1994, que le bélier Djenné offert à Jacques Chirac a pu être restitué au Mali ou le bronze d’Ife vendu par l’Etat belge identifié à Londres. Le travail avait été entamé plus tôt par la réflexion portée sur le code de déontologie dès 1974.[7] Le premier Code of Professional Ethics est approuvé en 1986, et sera maintes fois revu. Ce comité de réflexion sur l’éthique a joué un rôle important dans le positionnement extrêmement clair de l’ICOM à l’égard du trafic illicite, et par sa volonté de publier régulièrement ces « Listes rouges » d’objets dérobés.[8] Encore moins que l’UNESCO, l’ICOM n’a aucun pouvoir de décision, mais par la force de son réseau, nous pouvons considérer qu’il a grandement participé à faire changer les mentalités chez les professionnels des musées. Le débat sur le musée universel, au début des années 2000, a vu de nombreuses prises de position au sein de l’ICOM contre ce concept, perçu comme un alibi justifiant le refus des restitutions, nous y reviendrons.

L’actualité de la convention de 1970

En 2020, l’UNESCO fêta les 50 ans de cette convention.[9] En mars 2020, la Convention compte désormais 140 États parties à la convention de 1970. Selon Philippe Baqué, la convention de 1970 ayant montré pendant trente ans qu’elle ne menaçait pas les « pays importateurs », la plupart d’entre eux décidèrent de la ratifier. Quelques années plus tôt, en 2012, Florain Shyllon, vice-président de l’Université Olabisi Onabanjo du Nigeria, soumit à l’assemblée un document au titre explicite : « La mise en œuvre de la convention de l’UNESCO de 1970, cette étape décisive que les États africains n’ont pas su franchir. » C’est un document à la fois passionnant et inquiétant à lire sur le peu de motivation d’une grande partie des responsables africains pour lutter contre ce trafic illicite. Il est complété par un autre document à destination des participants à la réunion des 15 et 16 mars 2011, du Professeur australien Lyndel V. Prott. Ces textes n’ont (malheureusement) pas perdu leur actualité et contiennent, tous deux, nombre de positions pragmatiques qu’il est toujours utile de relire aujourd’hui.[10]

Il est certain que la difficulté de contrôler des frontières poreuses et le faible investissement des dirigeants africains dans leurs musées n’incitent pas à l’optimisme. Et, dans bien des exemples de l’ouvrage de Philippe Baqué ressort le sentiment que le marché est plus fort que les États. Malgré tout, on le verra dans l’entretien que nous avons eu avec Abdoulaye Camara, dans le prochain épisode, grâce à l’École du patrimoine africain à Porto-Novo au Bénin, et l’Université Senghor d’Alexandrie et sa formation en Gestion du patrimoine culturel, une nouvelle génération de professionnels voit le jour en Afrique. Ces conventions, si imparfaites soient-elles, dans leur rédaction ou leur application, constituent une base de réflexion et un socle stable à partir desquels cette nouvelle génération pourra interpeller le pouvoir en place.

Restituer l’Art africain… aux Français…

Je voudrais terminer ce deuxième épisode en évoquant la vente organisée par la maison Salorges-Enchères à Nantes, le 23 mars 2019. Y étaient proposés des armes issus de « collectes » coloniales[11]; et des récades (sceptre royal de l’ancien royaume du Dahomey, en forme de crosse ou de hache), réunies à la fin du XIXe siècle par Alfred Testard de Marans, chef des services administratifs du corps expéditionnaire dirigé par le général Alfred Amédée Dodds durant la guerre contre le roi Béhanzin et la conquête du royaume du Dahomey (1892-1894), dans l’actuel Bénin.

Une Récade (ou makpo) à tête d’oiseaux. Peuple Fon. Ancien Dahomey actuel Bénin. Date de collecte : 1948, bois, et laiton, 51 x 23 x 6 cm. Muséum de Toulouse (MHNT ETH.AC 450). Photo: Didier Descouens.

Les objets étaient demeurés depuis plus d’un siècle en possession des descendants des administrateurs, militaires ou des missionnaires ce qui conféraient à ces objets une valeur historique importante. C’est pourquoi le Collectif des antiquaires de Saint-Germain-des-Prés, se porta acquéreur des récades. Parfaitement légale, la vente fut contrariée par l’association Afrique-Loire qui alerta plusieurs ambassades de pays africains de la tenue de la vente. Seul le gouvernement du Bénin interpella le ministère de la culture français pour qu’il suspende la vente, espérant que ces bâtons de commandements lui soient restitués. Le ministère de la culture n’ayant pas de pouvoir légal pour suspendre la vente, il demanda à la salle de vente (qui accepta) de retirer les objets provenant du Dahomey des enchères afin que le gouvernement béninois put s’en porter acquéreur.

Thomas Bouli, porte-parole de l’Association Afrique-Loire, lors de la vente de la Maison Salorges-Enchères, le 23 mars 2019. Photo : Samira Houari-Laplatte.

Thomas Bouli, porte-parole de l’association, prit la parole avant que ne commence la vente et interpella les futurs enchérisseurs :

La France a émis le principe de restitution des biens culturels [à l’Afrique] et voici qu’aujourd’hui nous sommes dans une vente de ces biens mal acquis. Personne ne va vous montrer les certificats de vente de ces objets que vous allez acheter et qui ont été pillés. Vous aurez sûrement un reçu, lors de votre achat, mais les fabricants de ces objets, eux, n’ont rien reçu, certains n’ont reçu que la mort.[12]

Poursuivant avec un brin d’ironie, il ne manquait pas de remercier les futurs acquéreurs :

… car l’acte que vous faites aujourd’hui valorise le savoir-faire de ceux qu’on estimait barbares au début de la colonisation. Désormais, leur art est devenu si prisé que les colonisateurs européens fabriquent des lois pour les conserver en Europe.

Après la vente, le gouvernement béninois renonça à acheter ces œuvres au prix fixé en fonction des offres reçues.L’avocat du Collectif des antiquaires, Yves-Bernard Debie, tourna en dérision l’intervention de Thomas Bouli avec esprit (et mauvaise foi). [13] Ce dernier, en mars 2020, constatait, désappointé :

L’Etat béninois aurait pu acheter les objets. Que représente cette somme pour lui ? Nous commençons sérieusement à douter de la volonté des Etats africains de sauvegarder leur patrimoine. Il existe en leur sein tellement d’intérêts divergents que ceux des pays passent en dernier.[14]

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Le Collectif des antiquaires se porta finalement acquéreur des récades auxquels le gouvernement béninois avait renoncé, pour se lancer dans une opération de communication aux dépens de l’État français, embourbé, nous le verrons bientôt dans un prochain épisode, dans la mise en œuvre du discours d’Emmanuel Macron.

Vue du Petit Musée de la Récade, Cotounou, Bénin. Photo : Carolle Lecentre

En effet, le 17 janvier 2020, alors qu’aucune œuvre béninoise n’est encore restituée par la France, le Collectif offre au Petit Musée de la Récade à Cotounou les 28 pièces acquises à Nantes. Offrande faite à lui-même, car ce musée a été créé en décembre 2015 par le Collectif des antiquaires parisiens.

Robert Vallois, membre du Collectif, pouvait déclarer avec fierté, en présence de l’Ambassadeur de France et d’un représentant du ministre de la Culture béninois, et des membres de la famille royale d’Ahomey : « Pour nous, la restitution des œuvres, c’est du concret. » Le sémillant avocat Yves-Bernard Debie ne put que confirmer qu’il s’agissait d’un don franco-français à un musée franco-français. Chercher l’erreur.

NOTE

[1] On trouvera sur le site de l’UNESCO l’ensemble des textes juridiques applicables : https://fr.unesco.org/fighttrafficking/legaltexts et un observatoire très utile (et commode) des législations nationales : https://fr.unesco.org/node/277505.

[2] Allocution de Son Excellence le général Mobutu Sese Seko, Président de la République du Zaïre. Nations Unies, Assemblée générale, 28e session. 2140e séance pléniaire, jeudi 4 octobre 1973, New York. On peut écouter le discours de Mobutu sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=ogdKOnJawJE.

[3] L’enquête a été menée par des journalistes de la VRT et De Tijd. Voir l’article (en néerlandais) de Lars Bové,

[4] Le chapitre dans son livre Un nouvel or noir, 2021, p. 145-158 est intitulé « Convention Unesco de 1970 : une convention pour rien ? ».

[5] Pour la version audio du discours : https://www.unesco.org/archives/multimedia/document-168; la version vidéo abrégée de l’allocution : https://www.unesco.org/archives/multimedia/document-4856; pour le texte :  « Pour le retour à ceux qui l’ont créé d’un patrimoine culturel irremplaçable: un appel de M. Amadou-Mahtar M’Bow, Directeur Géneral de l’UNESCO », Le Courrier de l’UNESCO: une fenêtre ouverte sur le monde, XXXI, 7 (1978), p. 4-5.

[6] Sur ce sujet, voir sur le site d’UNIDROIT : https://www.unidroit.org/fr/instruments/biens-culturels/convention-de-1995; et l’ouvrage et les commentaires de Lyndel V. Prott, Biens culturels volés ou illicitement exportés: commentaire relatif à la Convention d’UNIDROIT, 1995, 2000. Disponible sur l’Internet : https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000122865?posInSet=1&queryId=380266d7-8c96-4d20-9173-51d428b227ab.

[7] Voir l’article de Geoffrey Lewis, « The ICOM Code of Ethics for Museums: Background and objectives”, in Museums, Ethics and Cultural Heritage, Londres, Routledge, p. 45-54. Disponible sur l’Internet: https://www.academia.edu/28966068/The_ICOM_Code_of_Ethics_for_Museums_Background_and_Objectives.

[8] Voir la Liste rouge d’urgence des biens culturels en péril – Afrique : https://fr.unesco.org/news/celebrez-50-ans-lutte-contre-trafic-illicite.

[9] Voir sur le site de l’UNESCO l’état des lieux et les événements organisés à l’occasion de cette commémoration : https://fr.unesco.org/news/celebrez-50-ans-lutte-contre-trafic-illicite.

[10] Voir les deux documents : « La mise en œuvre de la convention de l’UNESCO de 1970, cette étape décisive que les États africains n’ont pas su franchir ». Document de référence préparé par Folarin Shyllon à l’intention des participants à la Deuxième réunion des États parties à la Convention de 1970, Paris, Siège de l’UNESCO, 20-21 juin 2012. Dispoinble à l’adresse suivante: https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000245270_fre; et, « Forces et faiblesses de la Convention de 1970 : un bilan 40 ans après son adoption ». Document de référence préparé par Lyndel V. Prott à l’intention des participants à la réunion La lutte contre le trafic illicite des biens culturels. La Convention de  1970 : bilan et perspectives, Paris, Siège de l’UNESCO, 15-16 mars 2011. Disponible sur l’Internet: https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000191880_fre.

[11] Ces armes avaient été collectés notamment par le caporal Mazier lors de la mission d’exploration au Moyen-congo de Pierre Savorgnan de Brazza en 1875, et par l’Abbé Le Gardinier au début du XXe siècle.

[12] La vidéo de l’intervention de Thomas Bouli est disponible sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=GQO8J1u6-Kg (consulté le 28 juin 2022).

[13] Dans un post publié d’abord sur LinkedIn le 31 août 2019: « La Vente aux enchères des Salorges du 23 mars 2019 : une tragi-comédie en trois actes »: https://www.linkedin.com/pulse/la-vente-aux-ench%C3%A8res-des-salorges-du-23-mars-2019-une-debie; puis dans Tribal Arts, 93 (automne 2019).

[14] Entretien avec Philippe Baqué, cf. Un nouvel or noir, p. 336.

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Notre série sur la restitution des biens culturels à l’Afrique (volet 1) https://mondafrique.com/loisirs-culture/notre-serie-sur-la-restitution-des-biens-culturels-a-lafrique-6/ https://mondafrique.com/loisirs-culture/notre-serie-sur-la-restitution-des-biens-culturels-a-lafrique-6/#comments Tue, 26 Aug 2025 08:14:00 +0000 https://mondafrique.com/?p=72673 Nous avons rencontré Jean-Yves Marin, l’un des premiers conservateurs en France à avoir œuvré dès les années 1990 pour une vraie collaboration avec les professionnels africains,[1] et le juriste Vincent Négri qui a collaboré avec Bénédicte Savoy et Felwine Sarr pour la rédaction du rapport remis au président Emmanuel Macron en 2018. Avec eux nous […]

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Nous avons rencontré Jean-Yves Marin, l’un des premiers conservateurs en France à avoir œuvré dès les années 1990 pour une vraie collaboration avec les professionnels africains,[1] et le juriste Vincent Négri qui a collaboré avec Bénédicte Savoy et Felwine Sarr pour la rédaction du rapport remis au président Emmanuel Macron en 2018. Avec eux nous faisons le point sur le mouvement mondial autour des restitutions et sur l’évolution de la situation juridique en France.

L’auteur de cette série sur « Mondafrique » est Alexandre Vanautgaerden, historien et historien d’art

 

Jean-Yves Marin est consultant en Musée et Patrimoine basé à Genève. Il a été successivement directeur du Musée de Normandie à Caen et des Musées d’art et d’histoire de Genève jusqu’en 2019. Président du comité français de l’ICOM de 1992 à 1998 il est l’un des auteurs du Code de déontologie des musées (ICOM). Il enseigne la muséologie et les relations internationales du patrimoine à l’université Senghor d’Alexandrie.

La restitution du patrimoine africain ne concerne pas que l’Afrique

 

Skanda sur un paon, Xe siècle. Cette sculpture fait partie des 30 biens culturels remis officiellement à l’ambassadeur du Cambodge aux États-Unis le 8 août 2022.

Les digues sont en train de céder. Partout, on sent que la procrastination qui était la règle de conduite dans de nombreux musées ne tient plus. Ce problème des restitutions, nous l’avons traité essentiellement à partir du point de vue africain, mais la question est beaucoup plus générale, nous dit Jean-Yves Marin.

L’Amérique du Sud depuis longtemps est particulièrement active dans ce domaine. Les différents présidents des Mexicains se déplacent lors de leurs voyages diplomatiques avec des conservateurs de musées qui réclament des restitutions. Le président actuel du Mexique, Andres Manuel Lopez Obrador, en a fait un cheval de bataille depuis sa prise de fonction en 2018. En 2021, l’exposition « La grandeur du Mexique » (« La Grandeza » de México), présentait 1500 pièces sur deux sites, dont le musée national d’Anthropologie.

Près de la moitié des œuvres étaient exposées pour la première fois dans leur pays d’origine, prêtées ou restituées par des pays ou des collectionneurs européens. L’exposition organisée dans le cadre du bicentenaire de son indépendance, marquait aussi les 500 ans de la conquête de Tenochtitlan-Mexico par les Espagnols en 1521.

La réflexion des Mexicains est identique à celle des Africains : l’histoire de ce pays n’a pas commencé [avec l’arrivée des Occidentaux] il y a à peine 500 ans. Cette lutte des Mexicains, comme des Africains, répond à ce phénomène d’acculturation bien décrit par Amadou Hampaté Bâ :[2]

Une entreprise de colonisation n’est jamais une entreprise philanthropique, sinon en paroles. L’un des buts de toute colonisation, sous quelques cieux et en quelque époque que ce soit, a toujours été de commencer par défricher le terrain conquis, car on ne sème bien ni dans un terrain planté, ni dans la jachère. Il faut d’abord arracher des esprits, comme de mauvaises herbes, les valeurs, les coutumes et cultures locales pour pouvoir y semer à leur place, les valeurs, les coutumes et la culture du colonisateur, considérées comme supérieures et seules valables.

Le long travail qui débute avec les indépendances consiste à replanter ces « mauvaises herbes », incarnées aujourd’hui par les artefacts des musées. En 2021, après trois années, le Mexique avait récupéré déjà 5746 biens du patrimoine historique. [3] Les plaintes du gouvernement mexicain lors de ventes publiques sont maintenant devenues systématiques. Elles n’aboutissent pas encore, car deux logiques bien connues s’affrontent : le droit et la morale, qui évoluent dans deux mondes qui se chevauchent rarement.[4] Les législations occidentales exigent la démonstration de la provenance illégale des pièces mises en vente, tandis que les Mexicains déclarent que c’est peut-être légal, mais ce n’est certainement pas éthique. Parfois, cette logique est inversée, ainsi aux États-Unis, un Tribunal de Floride a jugé le 7 octobre 2009 que le propriétaire d’un sarcophage égyptien avait à charge de prouver que cet objet n’était pas volé.[5] C’est un cas isolé.

Un mouvement international

Les États-Unis ont été la première nation à établir une législation nationale complète exigeant que les musées et les agences fédérales rapatrient les objets culturels aux communautés indigènes. Les efforts visant à promulguer une loi fédérale sur le rapatriement aux États-Unis ont commencé en 1986, lorsque le chef religieux cheyenne William Tallbull a découvert que le Musée national d’histoire naturelle de la Smithsonian Institution détenait les restes de 18 500 Amérindiens.[6] La justice de l’État de New York s’est récemment engagée dans une vaste restitution d’œuvres : de l’été 2020 à la fin 2021, plus de 700 pièces ont été rendues à 14 pays, dont le Cambodge, l’Inde, le Pakistan, l’Égypte, l’Irak, la Grèce ou l’Italie. Le collectionneur américain Michael Steinhardt a ainsi été forcé de restituer en 2021 environ 180 antiquités volées ces dernières décennies, d’une valeur totale de 70 millions de dollars. Pas plus tard que la semaine dernière, le 8 août, la justice américaine a restitué au Cambodge 30 œuvres d’art khmères volées dans les temples d’Angkor.

Ce mouvement est également intra-européen. L’Islande, par exemple, après près de sept siècles de colonisation, a déclaré son indépendance en 1944 à la faveur de l’occupation nazie de sa métropole le Danemark. Les manuscrits des sagas ont immédiatement fait l’objet d’une demande de restitution à laquelle les autorités danoises ont opposé les arguments traditionnels, bien connus des Africains, dans ce type de conflit postcolonial : l’incompétence de l’Islande pour leur conservation et leur mise en valeur ainsi que l’inaliénabilité des trésors nationaux danois. La volonté politique aura cependant raison de ces obstacles et les sagas ont été rendues progressivement à l’Islande à partir de 1971. Cette aventure de la restitution des sagas à Reykjavik est connue dans le pays comme « La patrie des manuscrits ».[7]

Utimut, « le retour » : l’exemple du Groenland

Représentations sculptées de tupilaks (êtres maléfiques) exposées au Musée national du Groenland à Nuuk.

Il est intéressant de se pencher sur un autre cas de restitution de la part du Danemark. Utimut, ou « retour » en groenlandais, est le processus pluriannuel suivi par le Danemark et le Groenland pour établir une répartition équitable de l’art et des artefacts groenlandais entre le Danemark et son partenaire du Commonwealth danois. Le Musée national danois (Nationalmuseet) est le siège des plus grandes collections au monde de ces artefacts, non seulement des habitants scandinaves du Groenland de l’ère viking, mais aussi de vestiges inuits anciens et de matériel ethnographique du XIXe siècle. Ce « processus Utimut » a permis de ramener au Groenland une part équitable du matériel culturel groenlandais et d’établir le musée national et les archives modernes du Groenland à Nuuk.[8] Le retour initialde 204 aquarelles au Groenland par le musée national du Danemark en 1982 n’était que la première étape, symbolique, d’un processus de coopération qui a abouti au transfert légal de milliers d’artefacts.

Les premières demandes du Groenland pour le retour des matériaux collectés dans le Musée national ont été faites dès 1913. Une deuxième demande officielle a également été refusée en 1953. En 1979, le Groenland est devenu un territoire autonome au sein du Royaume du Danemark. Un gouvernement a été établi, représentant tous les habitants du Groenland, dans lequel les peuples d’origine inuit représentent plus de 80 % de la population. Le corps législatif a immédiatement voté la création d’un musée national, mais le Groenland manquait d’objets, de documents et d’un espace physique approprié pour les stocker. La législation a toutefois permis d’entamer un dialogue avec le musée national du Danemark, qui a débouché sur le processus Utimut.

L’une des raisons pour lesquelles le processus a réellement fonctionné est qu’il était organisé en comités au sein desquels les membres des musées et les universitaires, et non les personnes nommées par le pouvoir politique, détenaient la majorité et empêchaient le processus de s’enliser en cas de problème. Le transfert effectif d’objets, d’archives et d’informations s’est fait de manière progressive, en traitant une région ou une période historique à la fois. Entre le début du processus Utimut et 2001, environ 35 000 objets ont été transférés aux institutions groenlandaises, couvrant toute la préhistoire du Groenland jusqu’en 1900. Bien qu’il reste au Danemark environ 100 000 objets archéologiques et ethnologiques provenant du Groenland, les collections groenlandaises sont complètes et entièrement représentatives. Des copies des documents d’archives associés aux objets sont conservées à la fois par le Danemark et le Groenland.

L’ouvrage Utimut, Past Héritage – Future Partnerships – Discussions on Repatriation in te 21st Century documente une conférence internationale sur le rapatriement en 2007. Sa publication en ligne est une enquête mondiale sur les questions de rapatriement, avec des contributions de vingt et un auteurs. Daniel Thorleifsen, qui a organisé la conférence d’Utimut, y décrit dans la préface du volume son origine culturelle comme celle d’« un Inuit groenlandais, membre de la communauté mondiale » (being a Greenlandic Inuit and a member of the world community) :

Aujourd’hui, j’ai choisi de croire que cette appropriation d’artefacts à l’époque coloniale au Groenland a été faite de bonne foi, manifestement avec la volonté de sauver de l’oubli un patrimoine culturel inuit en voie de disparition. Cette appropriation devait en outre profiter à la science dans l’étude du développement et de l’évolution de l’homme.

Le fait que cette appropriation ait en réalité contribué à l’effacement progressif de la culture inuit est une autre histoire que je n’aborderai pas en détail ici, car notre objectif pour la conférence sur le rapatriement du patrimoine culturel n’est pas de faire des reproches aux anciennes puissances coloniales. Nous voulons plutôt envisager une collaboration et un partenariat futurs sur ces questions.

Dans l’ouvrage Utimut, l’objectif premier du rapatriement ne devrait jamais être le transfert lui-même, mais l’établissement d’une relation de travail qui puisse être bénéfique à toutes les parties, dont le partage des connaissances dans le cadre de futurs projets de recherche ou d’expositions. Les auteurs yexplorent une variété de structures alternatives pour le rapatriement et le partage des objets et des ressources. Plusieurs articles s’attachent à élargir le concept de rapatriement afin d’englober des avantages non tangibles tels que le partage de l’autorité sur les objets et la manière de les expliquer. Un autre article traite des défis que le rapatriement pose à l’archéologie et aux autres sciences lorsque la communauté d’origine détourne ou détruit les objets rapatriés. La publication traite également des situations de rapatriement dans la pratique, des informations utiles qui sont absentes de nombreuses discussions sur la politique des biens culturels. La publication fournit des informations et des leçons qui peuvent être appliquées, directement ou indirectement, à une grande variété de problèmes de rapatriement dans le monde.[9]

Comme l’exprime Jean-Yves Marin, il y a un bien un réveil mondial sur ces questions de restitution, dans lequel l’Afrique a pris le leadership, alors que jusqu’il y a peu elle était à la traîne.

Une visite immersive (et subversive) du British Museum, racontée par les peuples à qui les objets ont été dérobés.

Présentation sur l’Internet de l’application « The Unfiltered History Tour ».

Ce mouvement qui s’amplifie tous les jours a même obligé le British Museum en juin dernier à entrouvrir la porte d’une discussion sur le partage des marbres du Parthénon avec la Grèce, après des décennies de refus obstiné.[10] La pression populaire en Angleterre contre la position du British Museum est tangible. Le journal The Guardian qui ouvre ses colonnes à ses lecteurs a publié en juin dernier un billet du libraire David Simmonds, qui relate avec esprit sa visite chez un ancien conservateur du British Museum, l’archéologue Harold Plenderleith en 1997. Après avoir commis « l’erreur » de lui demander son avis sur le rapatriement des marbres du Parthénon, M. Plenderleith s’emporta avec tellement de véhémence qu’il dut regagner le lit.[11] Le British Museum finira lui aussi par céder. Il ne pourra plus faire illusion longtemps. Dan Hicks avait titré avec ironie son ouvrage en 2020 sur les « bronzes » du royaume du Bénin au Nigeria conservé à Londres : The Brutish Museums. À l’heure du mouvement Black Lives Matter, l’opinion publique aura raison, tôt ou tard, du Board of Trustees qui régente le British Museum, et oppose une injustice légale à une juste réclamation.

Un des projets de contestation les plus stimulants a été récemment de concevoir un guide numérique de visite en réalité augmenté, portant un regard provocant et anticolonial sur la collection du British Museum. C’est une visite du musée racontée par les communautés dont les artefacts exposés ont été pillés. « The Unfiltered History Tour » est un guide du musée de Londres, qui propose aux visiteurs une expérience immersive au travers des objets contestés du musée, de leur origine et de la manière dont ils ont été obtenus. Les visiteurs du musée sont ainsi invités à scanner les objets exposés – comme la pierre de Rosette – pour être transportés à l’heure et au lieu de provenance via des filtres Instagram AR. Grâce à cette expérience, les utilisateurs peuvent également écouter des guides audio racontés par des personnes des pays d’où proviennent les artefacts.[12]

#BringBackNgonnso : les réseaux sociaux au cœur du principe de restitution

Un manifestant camerounais demandant le retour de la statue Ngonnso se tient devant le Forum Humboldt lors de l’ouverture du Musée ethnologique Humboldt et du Musée d’art asiatique, le 22 septembre 2021 à Berlin, en Allemagne. Photo : Sean Gallup/Getty image.

La pression populaire qui oblige les États à considérer l’éthique et non plus seulement le droit est à l’œuvre dans la restitution prochaine par l’Allemagne au Cameroun de la statue connue sous le nom de Ngonnso, statue de la fondatrice et première reine mère du royaume Nso. Pendant trois décennies, la sculpture a été réclamée en vain au musée Dahlem à Berlin, puis au Humboldt Forum aujourd’hui.

Les Nso et leurs sympathisants et sympathisantes ont envisagé plusieurs options pour ramener la statue chez eux, y compris la voler au musée allemand ou demander son prêt. Les appels à la restitution lancés par le chef suprême des Nso, le NSODA et l’action des activistes comme Sheey Shiynyuy Gad et Joyce Yaya Sah n’ayant donné lieu à aucune réaction concrète, il a été décidé de changer de stratégie.

Sylvie Njobati, l’initiatrice de la campagne sur les réseaux sociaux #BringBackNgonnso, qui avait pour but de toucher directement la société civile en Allemagne, sans passer par leur représentant politique.

Une campagne sur les réseaux sociaux a été lancée par Sylvie Njobati en mai 2021 : #BringBackNgonnso. Son raisonnement était le suivant :

Notre idée était que la campagne en ligne crée la connexion entre le peuple Nso et les Allemands afin qu’ils se parlent entre eux. Je me suis rendu compte que le peuple Nso ne s’adressait pas directement aux bonnes personnes, ni à une personne en particulier, mais écrivait des lettres adressées à « qui de droit ». C’est donc grâce à Twitter que nous avons pu entrer en contact avec d’autres interlocuteurs en charge des collections et du contexte colonial.

Nous avons utilisé Twitter pour la communauté allemande parce qu’ils sont surtout sur ce réseau. Comme il était également nécessaire de sensibiliser le peuple Nso, les Camerounais et Camerounaises et l’Afrique dans son ensemble, nous nous sommes concentrés sur Facebook.

Il y a eu suffisamment de pression de la part des gens, notamment la société civile allemande, sur les réseaux sociaux. Il ne s’agissait pas seulement du post mais de l’utilisation d’outils multimédias pour influencer le débat.

Le mois dernier, la Stiftung Preußischer Kulturbesitz (Fondation du patrimoine culturel prussien, SPK) a permis le retour de Ngonnso, faisant de ce retour la toute première restitution au Cameroun. La Fondation a également indiqué qu’elle allait restituer 23 pièces à la Namibie et quelques objets à la Tanzanie. Twitter en Allemagne, Facebook en Afrique, deux réseaux sociaux alliés pour obtenir en quelques mois ce que des années de lettres diplomatiques n’avaient pu obtenir…[13]

Au tour des collectionneurs privés maintenant !

André Breton dans son atelier au 42, rue Fontaine à Paris. Juin 1965. Photo : Sabine Weiss

Pour l’instant dans cette chronique, j’ai relaté essentiellement ce qui se déroulait dans les collections publiques. Il y a pourtant un continent oublié, qui est celui des collections privées. C’est, selon Jean-Yves Marin, le thème de l’avenir.

En 2003, la restitution volontaire d’un masque de cérémonie aux indiens Kwakwa-ka waks du nord-ouest des États-Unis par Aube Elleouet, la fille d’André Breton, marqua un tournant dans la relation entre collectionneurs et pays sources. Elle porte désormais un nouveau nom, elle a été rebaptisée « U’Ma » (« Celle-qui-a-rendu »), par les descendants de la tribu indienne originaire des îles situées au nord-est de Vancouver.[14] L’une des plus importantes collections au monde d’art africain en mains privées se trouve à Genève : la Fondation Barbier-Mueller. Comme les collections publiques, elle possède de nombreuses œuvres arrivées de façon illicite en Europe. Si pour l’instant rien ne bouge pour cette collection depuis les décès récents de Monique et Jean Paul Barbier-Mueller, ailleurs, certains collectionneurs passent à l’acte. Le 26 juillet dernier une collection imposante de 2522 objets pré-hispaniques a été restituée au Mexique par une famille de Barcelone.[15] La plus vaste collection d’art khmer en mains privées va bientôt, elle aussi, retourner au pays. Nawapan Kiriangsak, la fille du collectionneur Douglas Latchford, va restituer une centaine de sculptures, bijoux, couronnes d’or, d’une valeur de plus de 50 millions de dollars, acquise durant la guerre civile, puis sous le régime des Khmers rouges. Décision courageuse qui met fin à l’errance d’objets qui n’auraient jamais dû quitter le Cambodge. Cette collection trouvera place dans un musée public à Phnom Penh, dans lequel sera distinguée la mémoire de Douglas Latchford qui, en homme de son temps, s’estimait « sauveur d’objets perdus dans la jungle ».[16]

Certains collectionneurs commencent à se poser des questions, et si ce n’est eux ce sont leurs héritiers. Parfois, d’un point de vue éthique, parfois par embarras. Il ne sert pourtant à rien de culpabiliser ces héritiers, des actions de médiation sont plutôt à mener pour leur expliquer que ces collections ont été constituées à une époque dans laquelle l’on cohabitait avec « innocence » avec une partie du marché de l’art qui importait des œuvres pillées. Mais, aujourd’hui, notre « innocence » a disparu. Nous devons accorder nos actes avec le monde, en conformité avec l’esprit du temps.

Il faut maintenant s’allier avec ces grands collectionneurs, pour qu’ils puissent envisager la voie de la restitution. Il est inutile de juger nos aînés, qu’ils aient officié dans le monde privé ou dans l’administration publique, à partir de ce que nous vivons et savons en 2022. Pendant longtemps, il y a eu à la tête des musées des hauts fonctionnaires français qui, de bonne foi, ont défendu en priorité les intérêts de la France. Leur attitude était identique qu’ils négociaient des tomates, des armes, des haricots verts ou des œuvres d’art. C’est pourquoi la transgression du discours du président français à Ouagadougou est bien un acte fort. Il fallait oser le prononcer. Emmanuel Macron a-t-il mesuré à quel point il allait à l’encontre de ses troupes en « provoquant une rupture avec la doctrine française qui jusqu’alors reposait sur l’inaliénabilité et l’imprescriptibilité des collections publiques, arrimées au droit de la domanialité publique » ?[17]

Quid des pays africains qui ne réclament rien ?

Certains pays africains pour l’instant ne réclament rien, comme le Gabon, ou le Cameroun, bien qu’une part importante de leur patrimoine soit conservée à Genève dans la collection de Jean Paul Barbier-Mueller, grand collectionneur de masques et fervent opposant aux restitutions. Ces deux États ont conservé, pour leur part, de nombreuses collections au pays. Leur position actuelle est de vouloir d’abord s’occuper de celles.ci, pour les réclamations, on verra après. D’autres, comme le Congo-Brazzaville, qui ne se préoccupait pas de restitution, sont dans une démarche de valorisation de leur patrimoine qui, tôt ou tard, posera la question. Le Musée national du Congo (fermé) a été pillé lors de la guerre civile de 1997. Beaucoup d’œuvres ont été perdues, il faut reconstituer ce patrimoine national. Mais depuis, plusieurs musées ont été créés. Fin 2018, le Musée du Cercle africain est inauguré à Pointe-Noire, parrainé par l’Unesco. Il a été financé par une compagnie pétrolière, Eni. Une autre compagnie pétrolière, Total, a financé la même année le Musée Mâ Loango de Diosso.

L’année précédente, le musée Kiebe-Kiebe était inauguré sur le domaine présidentiel de N’Gol’Odoua, près d’Édou, le village natal de Denis Sassou Nguesso.[18] L’aménagement de ces musées, et la restauration du musée national du Congo feront naître certainement une nouvelle dynamique.

Les solutions juridiques discutées actuellement en France

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Vincent Négri est juriste, chercheur à l’Institut des Sciences sociales du Politique (UMR 7220), École Normale Supérieure Paris-Saclay. Ses travaux et publications portent sur le droit international et le droit comparé de la culture et du patrimoine, ainsi que sur les interactions entre normes et cultures. Il est engagé dans des travaux interdisciplinaires entre droit, anthropologie et philosophie. Il intervient comme expert auprès de l’UNESCO, de l’UNIDROIT, de l’ICCROM, de l’ICOM et de la CEDEAO.

 

Pour terminer ce panorama, échangeons avec Vincent Négri à propos de la situation juridique en France, quatre ans après la remise du rapport Sarr-Savoy, auquel il collabora en sa qualité de juriste. Rappelons que toute la problématique au niveau du droit repose sur le système de domanialité publique en France qui rend les biens inaliénables et imprescriptibles.[19] Ce sont deux verrous qui cadenassent la problématique depuis 1792. Et même au-delà, certains juges n’hésitant pas à considérer que le domaine de la couronne, devenu le domaine public, fait partie du même ensemble. La question auquel répond le rapport est la suivante : doit-on restituer en s’affranchissant de ce régime de domanialité publique ou en le préservant ? Avant 2018, les décisions en France ont fait appel à un régime d’exception, qu’il s’agisse du retour des têtes maories ou de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman en Afrique du Sud[20]. Les auteurs du rapport ne désiraient pas poursuivre dans cette voie, même si elle fut adoptée encore pour la restitution du Trésor de Béhanzin ou du sabre avec fourreau dit d’El Hadj Omar Tall.[21]

Dans le rapport de 2018, Vincent Négri avait proposé une alternative intéressante.[22] Le système juridique est souvent présenté comme une pyramide, avec au sommet la constitution qui pose les grands principes du système, institutionnels et juridiques ; de ces principes découlent les lois qui doivent être conformes à la constitution ; et, des lois, découlent les règlements d’application. La proposition de recourir à des traités internationaux présente l’avantage de se nicher entre la constitution et la loi. Dans un tel système pyramidal, si un État conclut un traité international (et qu’il accepte donc d’être lié juridiquement avec un autre État), les obligations juridiques qui découlent du traité sont proches du sommet de la pyramide.

Un traité international qui traite de restitution ne supprime pas la domanialité, il l’enjambe. Sans toucher au statut des collections publiques, on considère que ce statut ne s’applique plus parce qu’on restitue l’objet. La solution du traité aurait permis de nouer un processus de restitution qui laisse intact, dans son libellé et dans sa perception publique, la notion de collection publique.

Cette proposition a été perçue comme beaucoup trop ouverte. On a craint un effet d’entraînement, et pensé qu’en introduisant cette fluidité, il aurait suffi à un État de revendiquer une restitution pour que, automatiquement, s’enclenche le processus. Personnellement, nous dit Vincent Négri, je pense que cela n’aura jamais été le cas. Dans un processus de négociation bilatérale il y a deux parties. Si la France considère qu’une demande de restitution n’est pas justifiée, disproportionnée ou inadéquate, libre à elle de décliner. Il n’y a pas d’obligation de discuter une restitution. Mais, les mentalités ne sont peut-être pas encore mûres. Dans le code du patrimoine on encadre les acquisitions dans l’idée qu’elles entrent dans le domaine public, jamais on n’a pensé qu’il fallait encadrer la sortie. Il y a donc un changement de paradigme qui doit être opéré. Cela prendra plus de temps que ce que l’on pensait.

Le Sénat introduit une proposition de loi

Le parlement, inquiet de savoir qui exercera le contrôle sur la décision de restituer (le parlement ou le gouvernement), décida de refuser la solution des accords bilatéraux. De leur point de vue, ils craignaient que ces restitutions soient le fait du prince. On peut comprendre l’argument, mais un accord bilatéral n’est pas le fait du prince, c’est une procédure négociée. Il est fatalement co-construit avec l’État qui interpelle la France. Quoi qu’il en soit, le Sénat a adopté en janvier 2022 une proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques. La proposition est constituée de deux articles : le premier instaure un Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extra-européens, le second traite des restes humains patrimonialisés.[23] La proposition a été transmise à l’Assemblée nationale.

Un projet de loi-cadre préparé par le président français

Pendant ce temps, le président Emmanuel Macron a projeté une loi-cadre qui permettrait de sortir de l’impasse des procédures d’exceptions adoptées jusqu’à présent, car sinon il faudrait plusieurs dizaines d’années pour répondre aux demandes de restitution. Le président a confié à l’ancien directeur du Musée du Louvre Jean-Luc Martinez, devenu ambassadeur pour la coopération internationale dans le domaine du patrimoine, une mission de réflexion sur cette loi-cadre et sur le trafic illicite. Mais, à la surprise générale, le 23 mai 2022, Jean-Luc Martinez est mis en garde à vue dans le cadre d’une affaire de trafic d’antiquités et mis en examen peu de temps après pour « blanchiment et complicité d’escroquerie en bande organisée » ; il lui est reproché d’avoir manqué de vigilance face aux incohérences qui apparaissent dans les certificats accompagnant une stèle en granit rose gravée au nom du pharaon Toutânkhamon et exposée au Louvre Abu Dhabi, et quatre autres objets.[24] Même relevé de sa mission sur le trafic illicite, il y a fort à craindre que son rapport sur la loi-cadre ait perdu toute autorité dans ce contexte.[25] Heureusement, pour la question des restitutions, on est en début de mandature pour Emmanuel Macron, il pourra relancer ce projet à l’automne quand les choses se seront tassées. Remarquons que la proposition de loi du Sénat d’instituer un organe consultatif, si elle est approuvée par l’Assemblée nationale, ne s’oppose pas au projet de loi-cadre. Il est d’ailleurs fort probable que ce Conseil national soit inséré dans le projet de loi-cadre du président.

Le temps du pragmatisme

Nous avons souligné l’impact et l’audace du discours de Ouagadougou, mais aujourd’hui, il convient d’être pragmatique pour que les restitutions se concrétisent. Ne pas empiler les démarches, projets et résolutions comme l’UNESCO a pu le faire. Depuis la fameuse intervention du président Mobutu Sese Seko en 1973, évoqué dans le second volet de cette série,[26] il y a eu pas moins de 29 résolutions de l’UNESCO traitant du retour et de la restitution de biens culturels. En 1973, pour Vincent Négri, le Président Mobutu parle d’abord au continent africain. Dans le texte de la résolution 3187 (XXVIII) du 18 décembre 1973, on parle de juste réparation du préjudice commis.[27] Sur le plan du droit international, le président du Zaïre se frappe la tête contre un mur, car la réparation ne peut intervenir qu’en conséquence d’un acte illégal. Cela suppose qu’un jour le droit contemporain déclarera de façon rétroactive que la colonisation a été illégale. On peut le souhaiter, mais juridiquement, cela n’arrivera jamais, sinon cela remettrait en cause le système sur lequel s’est bâti les Nations Unies depuis 1945. Dans le même esprit, quand Emmanuel Macron déclare à Alger que la colonisation est un crime contre l’humanité, d’un point de vue moral on peut être d’accord avec lui, mais d’un point de vue juridique c’est sans effet. Il peut être séduisant qu’un candidat en campagne ait l’aplomb de proclamer cela, mais après son discours, Emmanuel Macron sait pertinemment que juridiquement ce n’est pas vrai. Il ne vient pas à Alger pour faire du droit, il s’y rend pour afficher des positions politiques, ce n’est pas pareil.

Il faut donc que l’on profite de la médiatisation qu’a apportée ce discours de 2017 au sujet des restitutions pour, enfin, mettre en œuvre un partenariat équitable, et tirer parti du nouvel élan qui souffle dans la société civile, et chez les jeunes conservateurs du patrimoine. Vincent Négri rapporte que lorsqu’il travaillait avec Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, il pensait naïvement que les forces politiques de gauche seraient favorables aux restitutions, contre les opinions des partis de droite. Cette vision est erronée. Les partisans ou les adversaires des restitutions se retrouvent dans les deux camps (ainsi qu’au centre). Les prises de position dans ce débat sont plus générationnelles que politiques. Vincent Négri rapporte que lorsqu’il donne cours à l’Institut national du patrimoine, pour les jeunes conservateurs, cette question des restitutions n’est plus un sujet de crispation.

Dans son article « Restituer le patrimoine culturel africain », Vincent Négri propose une représentation inédite de la figure de Dame Justice. Une allégorie nouvelle qui porterait les attributs de l’injustice légale et du droit supralégal pour illustrer le conflit suivant : comment mettre en question la validité juridique de normes qui produisent une injustice. Des actes ont été commis dans le passé en toute légalité, mais nous éprouvons aujourd’hui l’intensité du conflit qu’ils génèrent entre ce que nous ressentons moralement, comprenons intellectuellement, et savons juridiquement. Ce dilemme est bien illustré dans le texte célèbre de Gustav Rabruch écrit en 1946 à propos du positivisme juridique et de l’injustice évidente des lois arbitraires et criminelles du Troisième Reich.[28]

Voir le monde avec les yeux de l’Autre

Eloy du Mont dit Costentin, François 1er tenant les mains de Justice et Paix s’embrassant, Bibliothèque nationale de France, 1530-1531, manuscrits français 2237, fol.2r.

Il y aurait bien des sujets à évoquer ici encore, comme cet ensemble de « guidelines » rédigé à destination des musées, en Allemagne, Belgique, Suisse, Pays-Bas, Angleterre ou Amérique.[29] Ce sera pour un article futur. Il faudrait évoquer aussi le monde bouillonnant des artistes et le lien, que l’exposition du Bénin a créé avec beaucoup de naturel, entre patrimoine et création contemporaine. On peut s’attrister aussi, c’est un cercle sans fin, que chaque nouvelle guerre, comme celle que nous observons aujourd’hui en Ukraine, rejoue les mêmes scènes de pillages de biens culturels.[30] Mais, malgré l’exemple tragique de l’Ukraine, chaque jour apporte une histoire nouvelle incroyable à propos des restitutions qui nous permet d’espérer. Selon la belle formule de Vincent Négri, les restitutions permettent de « voir le monde avec les yeux de l’Autre », j’espère qu’il en a été de même pour vous. À chaque rencontre, à chaque lecture, un souffle immense, un vortex, qui charrie une énergie trop longtemps contenue. Et qui, de fleuve en fleuve, avance et vient heurter les digues que nous avions dressées pendant un siècle. Entendez-vous ces craquements ? Oui ! Elles cèdent.

NOTES

[1] Sur le colloque de l’ICOM qui s’est tenu au Bénin, Togo et Ghana en 1991, voir : https://mondafrique.com/notre-serie-sur-la-necessaire-restitution-du-patrimoine-africain-volet-3/.

[2] Amadou Hampaté Bâ fut membre du Conseil exécutif de l’UNESCO de 1962 à 1970, il décrit ce processus d’acculturation dans ses mémoires, voir Amkoullel l’enfant peul, Arles, éd. Actes Sud, 1991, p. 382, cité par Vincent Négri, « Restituer le patrimoine culturel africain aux peuples africains : apories d’un débat juridique », in Clémentine Bories et alii (dir.), Les restitutions des collections muséales. Aspects politiques et juridiques, [Le Kremlin Bicêtre], Mare & Martin, 2021, p. 71-83.

[3] Voir la présentation officielle de l’exposition La Grandeza de México : https://www.youtube.com/watch?v=9gs0gN0pjnA&t=163s et la chronique de Emmanuelle Steels sur France culture : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/affaire-a-suivre/affaire-a-suivre-du-lundi-13-decembre-2021-5303041. La collaboration entre le Mexique et l’Italie est particulièrement positive, et le jour de l’inauguration, le président Andres Manuel Lopez Obrador a d’ailleurs octroyé la plus haute distinction du pays, l’Ordre mexicain de l’aigle Aztèque, à un carabinieri italien, Roberto Riccardi. Ce militaire, à la tête d’une brigade pour la « sauvegarde du patrimoine culturel », avait saisi plusieurs ensemble de biens culturels mexicains sur le point d’être vendus aux enchères en Italie. L’Italie est probablement le pays européen le plus touché par le pillage de son propre patrimoine.

[4] Sur le droit et la morale, voir le commentaire de Vincent Négri à la réponse du gouvernement français aux demandes de restitutions formulées par le gouvernement béninois en 2016 : « Voir le monde avec les yeux de l’Autre. Le rapport Sarr/Savoy sur la restitution du patrimoine africain », in Laurick Zerbini (dir.), L’objet africain dans les expositions et les musées missionnaires. Dépouiller, partager, restituer, Paris, Maisonneuve-Larose et Hémisphères, 2021, p. 565-581.

[5] Voir l’article de Olivier Savelli, « Art : on a frôlé le ‘vrai’ casse du siècle ! », Le Monde du droit,  1 juillet 2010  : https://www.lemondedudroit.fr/decryptages/779-art-on-a-frole-le-qvraiq-casse-du-siecle.html.

[6] Sur la législation concernant la loi américaine sur le rapatriement du patrimoine amérindien, voir l’article de C. Timothy McKeown, « Considering Repatriation Legislation as an Option: The National Museum of the American Indian Act (NMAIA) & The Native American Graves Protection and Repatriation Act (NAGPRA) », in Utimut: Past Heritage – Future Partnerships, Discussions on Repatriation in the 21st Century, ed. Mille Gabriel and Jens Dahl, Copenhagen, Work Group for Indigenous Affairs & the Greenland National of Museum and Archives, 2007, p. 134-147.

[7] Voir la série d’émissions sur les restitutions réalisées en 2018 pour l’émission La Fabrique de l’histoire, dont le quatrième épisode est consacré aux sagas : « Les sagas d’Islande : histoire d’une restitution post-coloniale réussie » sur France culture : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-les-objets-de-la-discorde-comment-restituer-les-tresors-culturels-spolies. Le premier épisode est consacré à l’Afrique, le second aux marbres du Parthénon, le troisième aux restes humains.

[8] Sur le retour des objets groenlandais, et sur la problématique générale des restitutions, on consultera l’excellent volume Utimut: Past Heritage – Future Partnerships, Discussions on Repatriation in the 21st Century, ed. Mille Gabriel and Jens Dahl, op. cit., consultable ici: https://www.iwgia.org/en/resources/publications/305-books/2567-utimut-past-heritage-future-partnerships.html.

[9] Voir l’article, « Successful Repatriation: The Utimut Process in Denmark & Greenland. Workable Model of Restitution Continues to Benefit Communities » sur le site américain, très utile pour notre problématique, Cultural Property News : https://culturalpropertynews.org/successful-repatriation-the-utimut-process-in-denmark-greenland/#_ftn1. La conférence Utimut était organisée par l’IWGIA (International Work Group for Indigenous Affairs), une organisation située à Copenhague, et le Musée national et les Archives du Groenland. 

[10] Sur l’idée d’un partenariat entre le British Museum et le Musée de l’Acropole, voir l’article du 31 juillet 2022 du Guardian, « British Museum calls for ‘Parthenon partnership’ with Greece over marbles » : https://www.theguardian.com/artanddesign/2022/jul/31/british-museum-calls-for-parthenon-partnership-greece-marbles. Pour la lettre  de David Simmonds, voir le 1er juin 2022: « It is dishonourable for the British Museum to keep the Parthenon marbles” : https://www.theguardian.com/artanddesign/2022/jun/01/it-is-dishonourable-for-the-british-museum-to-keep-the-parthenon-marbles.

[11] Peu de temps après la visite du libraire chez le conservateur du British Museum, les musées de Glasgow ont décidé de restituer un costume de Ghost dance à la communauté sioux, à la suite de quoi la poétesse britannique Anna Crowe écrivit ce poème : We still believe some form of words, / or ritual will come between / us and another’s anger. Not seeing / that our invisibility’s what’s required. (« Nous croyons encore qu’une forme de mots, / ou de rituel s’interposera entre / nous et la colère d’autrui. Sans voir / que c’est notre invisibilité qui est requise. »)

[12] Le guide « The Unfiltered History Tour » a été créé par le groupe média Vice World News, en collaboration avec Dentsu Creative. Vous pouvez effectuer cette visite virtuelle dans les salles du musée ou depuis chez vous, il est consultable ici : https://theunfilteredhistorytour.com/. Voir la présentation du projet : https://www.youtube.com/watch?v=138kSdE63-Y&t=65s.

[13] Sur la campagne menée par Sylvie Ndjoboti sur les réseaux sociaux pour récupérer la statue Ngonnso, voir l’article de Amindeh Blaise Atabong, « Germany to return looted goddess statue to Cameroon’s Nso people », Quartz Africa, 20 juillet 2022 : https://qz.com/africa/2186423/bringbackngonnso-returned-a-looted-statue-of-a-cameroonian-goddess/.

[14] Sur le masque rendu par la fille d’André Breton, voir l’article d’Harry Bellet, « Le masque d’André Breton rendu aux Kwakwaka’wakws », Le Monde, 27 septembre 2003, et sur la collection d’André Breton, voir l’article de Gérard Toffin, « André Breton, précurseur du musée du quai Branly », Les Temps Modernes, Numéro 686 (2015/5), p. 174-197.

[15] Les objets restitués par la famille du collectionneur de Barcelone au Mexique sont exposés depuis la fin juillet dernier au musée du Templo mayor, en plein centre historique de Mexico, sous la tutelle de l’Institut national d’Anthropologie et d’histoire (INAH), le bras armé de la politique de sauvegarde du patrimoine.

[16] Voir le billet de Jean-Yves Marin dans la Tribune de Genève du 11 mars dernier : « Le retour d’une collection d’art ».

[17] Sur le discours d’Emmanuel Macron, voir une analyse détaillée de celui-ci dans l’article de Vincent Négri, « Voir le monde avec les yeux de l’Autre. Le rapport Sarr/Savoy sur la restitution du patrimoine africain », in Laurick Zerbini (dir.), L’objet africain dans les expositions et les musées missionnaires. Dépouiller, partager, restituer, Paris, Maisonneuve-Larose et Hémisphères, 2021, p. 565-581.

[18] Sur la situation des musées au Congo Brazzaville, voir l’article de Jean-Baptiste Mondze, « Congo-Brazzaville: le patrimoine monte en gamme grâce à de nouveaux musées », Jeune Afrique, 10 septembre 2019.

[19] En 2008, Jacques Rigaud a remis un rapport à la ministre de la culture Christine Albanel sur « l’inaliénabilité des collections publiques en France », dans lequel il réaffirma la nécessité de l’inaliénabilité des œuvres, même s’il émettait la possibilité d’une déclassification d’une partie des collections récentes acquises par les FNAC et les FRAC.

[20] Voir la loi n° 2002-323 du 6 mars 2002 relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud, Journal Officiel, 7 mars 2002 et la loi n° 2010-501 du 18 mai 2010 visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections, Journal Officiel, 19 mai 2010.

[21] Voir la loi n° 2020-1673 du 24 décembre 2020 relative à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal, Journal Officiel, 26 décembre 2020.

[22] Les réflexions et recommandations juridiques du rapport ont été mûries notamment dans le cadre d’un atelier juridique tenu le 26 juin 2018 au Collège de France, coordonné par Isabelle Maréchal et Vincent Négri. Voir dans le rapport Sarr-Savoy, les pages 61 à 69. Voir aussi l’article de Vincent Négri, « Restituer le patrimoine culturel africain aux peuples africains : apories d’un débat juridique », art. cit.

[23] On trouvera l’examen en commission de la proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques, le 15 décembre 2021, à l’adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l21-302/l21-3025.html. Le lundi 10 janvier 2022, le Sénat a adopté la proposition de loi présentée par Catherine Morin-Desailly, Max Brisson, Pierre Ouzoulias et plusieurs de leurs collègues (demande de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication). Voir les étapes de la discussion et les éléments clés, ici : www.senat.fr/espace_presse/actualites/202112/circulation_et_retour_des_biens_culturels_appartenant_aux_collections_publiques.html.

[24] Sur la mise en examen de Jean-Luc Martinez, voir l’article de Roxana Azimi, « Jean-Luc Martinez, ancien patron du Louvre, mis en examen dans une affaire de trafic d’antiquités », Le Monde, 25 mai 2022.

[25] Le président Emmanuel Macron a signalé dans sa conférence de presse avec Patrice Talon au Bénin le 27 juillet 2022 qu’il avait réceptionné le rapport de M. Martinez sur la loi cadre. Celui-ci n’a pas encore été rendu public.

[26] Pour le discours du Président Mobutu Sese Seko à l’ONU en 1973, voir : https://mondafrique.com/la-restitution-des-oeuvres-a-lafrique-volet-2-le-temps-des-conventions/.

[27] Le texte des résolutions de l’UNESCO en faveur du retour et de la restitution de biens culturels est consultable ici : https://fr.unesco.org/fighttrafficking/legaltexts. Pour le commentaire de la résolution 3187 sollicitée par le président Mobutu Sese Seko « qui produit sa propre impasse », voir l’article de Vincent Négri, « Restituer le patrimoine culturel africain aux peuples africains : apories d’un débat juridique », art. cit., principalement le chapitre « S’égarer dans le droit international de la responsabilité ».

[28] Gustav Radbruch, « Gesetzliches Unrecht und übergesetzliches Recht », Süddeutsche Juristenzeitung, 1 (1946), p. 105-108, traduit en français par Michael Walz, « Injustice légale et droit supralégal », Archives de philosophie du droit, t. 39, 1994, p. 309-318.

[29] Plusieurs pays ont publié des directives à l’attention des musées qui conservent des collections issues de contextes coloniaux. L’Association des musées allemands (Deutscher Museums Bund) est déjà à la 3e réédition de son guide en 2021 (première édition en 2018), voir son Guide relatif au traitement des biens de collections issus de contextes coloniaux, consultable, ici : https://www.museumsbund.de/publikationen/guide-consacr-aux-collections-musales-issues-de-contextes-coloniaux/. Un groupe informel d’experts issus des mondes académique, professionnel ou associatif en Belgique a publié en juin 2021 les Principes éthiques pour la gestion et la restitution des collections coloniales en Belgique : https://restitutionbelgium.be/fr/rapport ; l’Association des musées suisses à publier cette année une brochure sur les Recherches de provenance dans les musées II. Collections liées aux contextes coloniaux. Notions de base et introduction à la pratique : https://www.museums.ch/fr/publications/standards/recherche-de-provenance-collection-coloniale.html. En décembre 2021, l’ICOM a publié son Guidance for Restitution and Return of items from university museums and collections: http://umac.icom.museum/wp-content/uploads/2022/03/UMAC-Guidance-Restitution-2022.pdf. Ce document est le résultat du projet UMAC-ER : The Ethics of Restitution and Repatriation (2020-2021) soutenu par l’ICOM et impliquant des partenaires tels que le Committee for Professional Ethics de l’ICOM (ETHCOM). Dernier en date en Angleterre, il y a dix jours le 5 août 2022, l’Arts Council England (un organisme financé par le gouvernement, et rattaché au Department for Digital, Culture, Media and Sport) vient de publier Restitution and Repatriation: A Practical Guide for Museums in England : https://www.artscouncil.org.uk/publication/restitution-and-repatriation-practical-guide-museums-england ; ce guide a été élaboré par l’Institute of Art and Law. Certains musées, au rayonnement national et international, ont adopté une politique sur les retours éthiques. Le Nationaal Museum van Wereldculturen (Musée national des cultures du monde) aux Pays-Bas, a été l’un des premiers musées d’Europe à mettre en place des mécanismes de restitution des objets issus des anciennes colonies. En 2016, la publication Treasures in Trusted Hands (« Des trésors bien gardés »), de la thèse de doctorat du chercheur Jos van Beurden a relancé le débat néerlandais sur les objets datant de l’époque coloniale. Des directives ont été adoptées en 2019 et publiées dans un document intitulé Principles and Process for addressing claims for the Return of Cultural Objects: https://www.tropenmuseum.nl/en/about-tropenmuseum/return-cultural-objects-principles-and-process#. La Smithsonian Institution à Washington , le plus grand complexe de musées, d’éducation et de recherche au monde, qui chapeaute 21 musées et le National Zoo, a adopté en mai 2022 sa Policy on Ethical Returns :https://www.si.edu/newsdesk/releases/smithsonian-adopts-policy-ethical-returns.

[30] Sur les pillages de biens culturels en Ukraine dès le début de la guerre, voir l’article de Pjotr Sauer, « Ukraine accuses Russian forces of seizing 2,000 artworks in Mariupol », The Guardian, 29 avril 2022 : https://www.theguardian.com/world/2022/apr/29/ukraine-accuses-russian-forces-of-seizing-2000-artworks-in-mariupol et le l’article de Brian I. Daniels sur le site Just security : https://www.justsecurity.org/81212/how-can-we-protect-cultural-heritage-in-ukraine-five-key-steps-for-the-intl-community/.

LES AUTRES VOLETS DE NOTRE SERIE

Épisode 1 : Un nouvel or noir (6 juillet 2022)

https://mondafrique.com/la-restitution-des-oeuvres-a-lafrique-volet-i-le-nouvel-or-noir/?fbclid=IwAR3qD8JyOH5S6sqi4iL0ymZjEwA9om8ImpnuZirPutd4bH_-HE2IUVhQy4k

Épisode 2 : Le temps des conventions (8 juillet 2022)

https://mondafrique.com/la-restitution-des-oeuvres-a-lafrique-volet-2-le-temps-des-conventions/

Épisode 3 : Pour qui sont pensés les musées en Occident ? (17 juillet 2022)

https://mondafrique.com/notre-serie-sur-la-necessaire-restitution-du-patrimoine-africain-volet-3/

Épisode 4 : Le Bénin expose les œuvres restituées par la France (27 juillet 2022)

https://mondafrique.com/serie-patrimoine-africain-la-restitution-du-dieu-gou-au-coeur-du-voyage-demmanuel-macron/

Épisode 5 : Vers la coresponsabilité ! (8 août 2022)

https://mondafrique.com/notre-serie-sur-la-restitution-des-biens-culturels-a-lafrique-volet-5/

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Le formidable patrimoine musical en Afrique de 1300 à 1650 https://mondafrique.com/loisirs-culture/un-colloque-sur-la-diffusion-de-la-musique-en-afrique-avant-1650/ Sun, 10 Aug 2025 15:55:00 +0000 https://mondafrique.com/?p=69817 Les études des musicologues ont longtemps considéré la musique africaine comme une forme d’art rudimentaire ou, au pire, inexistante, sans histoire ni sources. Ce qui ne s’écrit pas ne s’entendait pas.  Or des études ont pu démontrer récemment la richesse d’un patrimoine musical multiforme en Afrique, mais aussi le rôle actif des Africains dans le […]

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Les études des musicologues ont longtemps considéré la musique africaine comme une forme d’art rudimentaire ou, au pire, inexistante, sans histoire ni sources. Ce qui ne s’écrit pas ne s’entendait pas.  Or des études ont pu démontrer récemment la richesse d’un patrimoine musical multiforme en Afrique, mais aussi le rôle actif des Africains dans le développement et le façonnement des pratiques et cultures musicales sur d’autres continents.

L’année dernière, un colloque  était organisé à Tours sur « la musique en Afrique et sa  diffusion dans le monde à l’époque moderne (1300-1650) » avec le concours de Camilla Cavicchi qui enseigne à l’Université de Padouede, Janie Cole, Associate Lecturer à l’Université de Cape Town en Afrique du Sud, et Philippe Vendrix, qui dirige le programme de recherche Ricercar au CNRS. 

Un entretien d’Alexandre Vanautgaerden, historien et historien d’art, avec Camilia Cavicchi

Représentation de tambours africains dans l’ouvrage de Filippo Bonanni, Gabinetto Armonico, Rome, Giorgio Placho, 1723, pl. 78. Milan, Bibliothèque Braidense.

Camilla Cavicchi insiste sur les les rites et coutumes cérémonielles que l’on trouve dans les récits, par exemple, ceux du diplomate et juriste arabe, Hasan ben Mohammed al-Zaiyati. Fait prisonnier par des pirates chrétiens et remis au pape Léon X à Rome en 1517, il se convertit au christianisme et prend le nom de Léon l’Africain. Il opère ensuite comme ambassadeur et médiateur entre les mondes chrétien et arabe.

Dans sa Description de l’Afrique (écrite entre 1523 et 1526), il nous relate une cérémonie funéraire dans l’ancienne ville impériale de Fès au Maroc, où il a vécu: « Lorsque les femmes portent le deuil de leur mari, père, mère ou frère, elles se rassemblent et, après s’être dépouillées de leurs vêtements, elles enfilent de grands sacs. Enlèvent leurs vêtements, se frottent le visage avec, puis font venir à eux ces méchants hommes en habits de femme, qui portent certains tambours carrés : lorsqu’ils en jouent, ils chantent soudain des vers tristes et larmoyants à la louange du mort, et à la fin de chaque vers, les femmes pleurent à haute voix, et se frappent la poitrine et les joues, de sorte qu’une grande quantité de sang s’écoule. Et elles se déchirent les cheveux, tout en pleurant et en criant fort. Cette coutume dure sept jours ; puis ils s’interrompent pendant quarante jours, pendant lesquels lesdits pleurs sont répétés pendant trois autres jours continus. Et tel est l’usage courant du peuple. Les plus honnêtes hommes pleurent sans coup férir ; leurs amis Leurs amis viennent les réconforter, et tous leurs proches parents leur envoient des cadeaux de nourriture, car dans la maison des morts, tant qu’il y a un corps, il n’est pas coutume de cuisiner, et les femmes n’ont pas l’habitude d’accompagner les morts, même s’il s’agit de pères ou de frères. »

Si ce récit à Fès n’est pas sans évoquer l’extraordinaire passage homérique de la complainte pour la mort d’Hector dans l’Iliade (XXIV, 710-723), les ethno-musicologues ou historiens y repèrent d’abord la présence de ces musiciens en tenue féminine et l’utilisation du tambourin carré.

L’observation des oeuvres d’art

Pour tenter de raconter cette histoire globale qui intègre la musique du continent africain, une autre source importante pour Camilla Cavicchi  est l’observation des œuvres d’art. Ce tambourin carré se retrouve, notamment, représenté sur les peintures du plafond en bois réalisées par des artisans arabes vers 1150 après J.-C. dans la chapelle palatine de Palerme (ill. 2). Le batteur y  joue avec d’autres musiciens la musique d’al-janna, le paradis décrit par le Coran.

Musicien avec un tabourin carré sur le plafond en bois peint. Palerme, chapelle palatine, entre 1131-1140. Soutenu par les pouces des deux mains et joué avec les doigts des deux mains en tapotant la membrane sur les bords du cadre, l’instrument représenté dans la chapelle palatine présente des similitudes avec les deff nord-africains habituels, comme sa forme et l’utilisation de décorations cordiformes au henné.

Les Africains n’ont d’ailleurs pas manqué de représenter leurs musiciens et leurs instruments, tel ce très beau joueur de cor de la garde royale de l’Oba du Bénin (ill. 3), datant de la fin du XVIe siècle, conservé non au Bénin mais à Londres au British Museum. Nous reviendrons prochainement sur cette problématique du « déplacement » des œuvres d’art, dans une série d’articles traitant du thème de la restitution. Symboliquement, cette œuvre béninoise a été choisie pour illustrer l’affiche du colloque (ill. 4).

 

Joueur de cor de la garde royale de l’Oba du Bénin, fin XVIe siècle environ. Londres, British Museum, n. Af1949,46.156. Photo © The British Museum, Londres, Dist. RMN-Grand Palais / The Trustees of the British Museum.
Affiche du colloque La musique en Afrique et sa  diffusion dans le monde à l’époque moderne (1300-1650) Centre d’études supérieures de la Renaissance, Tours (France) 27 juin-1er juillet 2022.

Les récits de voyage

Camilla Cavicchi attire ensuite notre attention sur une autre source très étudiée actuellement : la lecture des chroniques et journaux de voyage. Un groupe de recherche à l’Université de Padoue se concentre d’ailleurs sur l’étude de ces récits riches en notation pour cette nouvelle histoire de la musique, depuis Christophe Colomb jusqu’à Darwin.

Ce colloque de Tours va alterner des sessions consacrées à des zones géographiques en Afrique  et à la thématique des influences de l’Afrique en Europe, avec des tables rondes dont l’une sur la décolonisation, ainsi qu’un atelier d’interprétation musicale historique.

On terminera par un regret. S’il est remarquable que les organisateur et organisatrices se soient démenés pour trouver les financements permettant à tous les intervenants de se rencontrer en France, il est regrettable que les problèmes récurrents de visas, ou de vaccin et pour finir l’augmentation des prix des vols en raison de la guerre en Ukraine empêchent la majorité des chercheurs africains d’être présents en France, les obligeant d’intervenir via Zoom, les privant ainsi du fruit des discussions informelles qui, on le sait, font le plus avancer la recherche.

 

RENSEIGNEMENTS PRATIQUES

Ce colloque international réunit 45 intervenants d’Europe, d’Afrique et d’Amérique. L’inscription est gratuite, mais obligatoire.

Le colloque se tiendra en format hybride en présentiel au Centre d’études supérieures de la Renaissance et en distanciel via Zoom. La séance inaugurale sera retransmise en direct sur Youtube.

Tous les renseignements, le programme et le lien de connexion peuvent être consultés à l’adresse suivante : https://cesr-cieh2022.sciencesconf.org/

LE LIEU

 Le Centre d’études supérieures de la Renaissance

59, rue Néricault-Destouches BP 12050 37020 TOURS Cedex 1

LES ORGANISATEURS

Camilla Cavicchi, Università degli Studi di Padova

Janie Cole, University of Cape Town, South African College of Music

Philippe Vendrix, CNRS-CESR, Tours

 

CONTACT

Marie Laure Masquilier : masquilier[at]univ-tours.fr

POUR ALLER PLUS LOIN

 

Roberto Leydi, L’altra musica, Giunti-Ricordi, 1991.

Nathalie Zemon Davies, Léon l’Africain : un voyageur entre deux mondes, 2014.

Camilla Cavicci, « Lamentazioni d’effimenti nella Fez del Cinquecento », 2007 (https://www.academia.edu/2325679/Lamentazioni_deffeminati_nella_Fez_del_Cinquecento).

David RM Irving, “Rethinking Early Modern ‘Western Art Music’: A Global History Manifesto”, IMS Musicological Brainfood, 2009, 3 (1): 6-10. (https://www.icrea.cat/en/Web/ScientificStaff/davidrmirving/selected-publications#researcher-nav).

Janie Cole, project “Re-Centring AfroAsia: Musical and Human Migrations in the Pre-Colonial Period 700-1500 AD” (www.afroasia.uct.ac.za).

Philippe Vendrix, projet Ricercar (https://ricercar.cesr.univ-tours.fr/).

Projet de recherche Traveling Diaries from Cristoforo Colombo to Charles Darwin: Identità musicali di popoli senza note nei racconti di viaggio (https://www.research.unipd.it/handle/11577/3350466?mode=full.973).

 

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Batailles coloniales (4/5), la chute du Royaume Kongo en 1665  https://mondafrique.com/societe/grandes-batailles-3-la-chute-du-royaume-kongo/ Mon, 21 Jul 2025 05:34:00 +0000 https://mondafrique.com/?p=52901 Le 29 octobre 1665 lors de la bataille d’Ambuila, les charges furieuses des guerriers africains viennent se briser contre le carré formé par les Portugais. C’est la disparition du Royaume Kongo, cinq lettres magiques qui claquent, résonnent, comme un immense coup de tambour venu des profondeurs de l’Afrique.   Un récit d’Eric Laffite    En 1482, […]

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Le 29 octobre 1665 lors de la bataille d’Ambuila, les charges furieuses des guerriers africains viennent se briser contre le carré formé par les Portugais. C’est la disparition du Royaume Kongo, cinq lettres magiques qui claquent, résonnent, comme un immense coup de tambour venu des profondeurs de l’Afrique.  
Un récit d’Eric Laffite 
 
La carte du Royaume du Kongo. La capitale figure sur un affluent du Congo, la Lunda.

En 1482, dix ans avant que Christophe Colomb ne découvre l’Amérique, le navigateur portugais Diego Cao au service du roi Jean II est aussi à la recherche d’une route maritime pour rallier les Indes, mais en descendant les côtes de l’Afrique.Passées celles du Gabon, il est pris dans les forts courants d’une « soupe jaunâtre, ocre et rouille »*, charriant une masse de déchets végétaux et de troncs d’arbres. A l’évidence un estuaire, avec cette particularité, qu’immense, il s’étale sur 17 kilomètres de large. L’explorateur fait jeter l’ancre sur la rive sud de ce qui s’avérera être l’un des plus grands fleuves du continent africain : brièvement baptisé « Rio Podoroso « fleuve puissant », il est finalement appelé Zaïre, déformation du nom que lui donnent les autochtones « Nzadi », soit « grande rivière ». 

C’est le fleuve Congo d’aujourd’hui. 

Diego Cao fait poser un « Padreo », bloc de pierre de 500 kilos surmonté d’une croix et amené de Lisbonne  afin d’attester que le lieu est désormais sous l’autorité de Jean II du Portugal.

Des hommes blancs « sortis de l’eau »

Jamais un Européen n’était descendu aussi bas en Afrique vers le sud et Diego Cao et ses marins sont incontestablement les premiers à entrer en contact avec les représentants du Royaume du Congo. Un hale de mystère enveloppe ce royaume dont la capitale « Mbanza Kongo », se trouve loin de l’océan et  difficilement accessible. Très vite pourtant, le contact est noué entre les Kongos et ces hommes blancs « sortis de l’eau », parlant une langue qu’on ne comprenait pas ». Des ambassadeurs (qui sont aussi des otages…) sont échangés. 

Il faut s’imaginer l’aventure humaine : des membres de l’aristocratie Kongo embarquent alors à bord d’un galion pour rallier Lisbonne, tandis que les « volontaires » portugais désignés par Diego Cao s’enfoncent pour de longs mois, sinon au cœur des ténèbres, dans les profondeurs d’une Afrique centrale alors totalement inconnue, et avec pour destination la capitale du Kongo. On restera longtemps sans nouvelles d’eux… 

Les sources écrites manquent pour dater précisément la naissance d’un Royaume parfois qualifié d’Empire au regard de son étendue.Une certitude, en cette fin du XVe, il est à son apogée et c’est alors la structure politique sociale la plus puissante d’Afrique centrale. Elle couvre un immense territoire qui, du Nord au Sud, s’étend du sud du Gabon au nord de l’Angola et d’Ouest en Est, de l’Atlantique à Kinshasa. Cet Etat, car s’en est un, dispose d’une administration, il collecte l’impôt, de sa monnaie, le nzimbu(sous forme de coquillage), de son aristocratie, d’une capitale.

Diego Cao et ses marins sont incontestablement les premiers à entrer en contact avec les représentants du Royaume du Congo

Erasmus universitaire kongo-portugais 

L’Etat Kongo est formé d’une demi-douzaine de provinces, et on estime que la monarchie règne sur 500 000 à 1 million de sujets.  Un Etat suffisamment solide en tout cas pour ne pas être emporté ou balayé par l’arrivée des Portugais et du premier coup d’arquebuse. Longtemps, les Portugais vont se contenter de disposer d’un comptoir à Luanda (actuelle capitale de l’Angola) sur l’Atlantique, mais sans pénétrer à l’intérieur du pays où ils n’exercent aucune autorité, et dont l’accès reste soumis au bon vouloir des Kongos. De fait, les relations sont plus que cordiales et mutuellement intéressées entre Portugais et Kongos. On commerce de l’ivoire, des métaux, des vivres. Et bientôt des esclaves. 

Très vite, l’aristocratie Kongo se convertit au catholicisme. Conversion sincère ? Opportunisme ? Il est clair que la classe dominante Kongo trouve bien des avantages à commercer, à s’instruire, s’armer auprès des Portugais : « On se fait baptiser en masse , non pas parce qu’on a renoncé à la sorcellerie, mais au contraire parce qu’on y croit dur comme fer. Le crucifix, considéré comme le plus puissant fétiche pour chasser les mauvais esprits, devient très apprécié », remarque David Van Reybrouck.*Côté portugais, on se félicite de commercer avec cet allié solide dont la souveraineté permet d’écarter d’éventuels concurrents européens. 

Dès 1491, le Mani (roi) Nzinga Nkuwuse se convertit, prend le nom de « Don Juan » 1eret signe un traité d’alliance avec Lisbonne. Il est imité par la famille royale, les proches du pouvoir. Le christianisme devient religion d’Etat, la capitale Mbanza Kongo est rebaptisée São Salvador. Se met aussi en place une sorte d’Erasmus universitaire entre le Kongo et le Portugal tout à fait extraordinaire.

Don Juan 1er, premier souverain du Kongo à se convertir en 1491 au catholicisme. Son fils Henrique sera nommé Évêque.

Des relations avec le Vatican 

Le fils du Roi, dont « Henrique » (11 ans), ainsi qu’une partie de l’élite Kongo part ainsi étudier à Lisbonne. On y apprend le latin (!) les sciences, la théologie, etc. A tel enseigne qu’Henrique rentre au pays en qualité d’évêque, le premier homme noir à occuper cette charge. Des relations diplomatiques d’Etat à Etat s’établissent entre le Vatican et le Royaume, et une correspondance écrite s’installe entre le pape et le Mani Kongo. Celle-ci permet parfois d’arbitrer certains conflits inévitables avec « l’allié » portugais. 

En 1606, au terme d’un périple mouvementé de quatre années vers Rome, Nsaku, « marquis de Vunda » , devenu prêtre sous le nom de Dom Antonio Manuel, présente ses lettres de créance au pape Paul V. Il est le premier ambassadeur africain de l’histoire accrédité auprès du Saint-Siège.Une chose ne passe pas. La monogamie imposée par l’Eglise. 

Celle-ci remet en cause le système d’alliance sur lequel repose l’autorité du Mani Kongo vis-à-vis de ses vassaux, lesquels sont désormais « prince » « duc » ou « baron ». Malgré cela, entre 1491 et 1620, le Kongo et le Portugal entretiennent des relations relativement cordiales. A l’occasion, les Kongos profitent de cette alliance pour étriller sévèrement leurs voisins. En 1568, le Kongo est envahi par les Yaka, une peuplade guerrière venue du sud. La capitale est prise, mise à sac, finalement reprise en 1571 mais avec le renfort d’un fort contingent de conquistadors… 

Cette « entraide » est alors réciproque. Les guerriers Kongos permettent aux Portugais d’étendre leur comptoir de Luanda, port qui devient la capitale d’une colonie qui, au fil des ans, monte en puissance. 

Avec la découverte du Brésil, sa colonisation, Lisbonne a besoin de main d’œuvre. La traite négrière qui se met en place, source de profit et de luttes continuelles déstabilise profondément la région. 4 millions d’esclaves (!) auraient été ainsi « exportés » de la région de 1500 à 1850. Les « razzias » se multiplient. Au détriment des ennemis des Kongos, dans un premier temps… 

Mais l’emprise portugaise s’affirme au fil des ans, des décades. 

 L’appel aux armes d’Antonio 1er,  

Les Kongos trouvent une respiration avec l’arrivée en 1602 des Hollandais (protestants et donc des hérétiques) venus commercer sur les rives du Congo. Puissance maritime et commerciale, la Hollande constitue un précieux contrepoids aux ambitions et à l’appétit grandissants des Portugais. Les monarques Kongo jouent de cette rivalité pour maintenir leur souveraineté. En 1641, les Hollandais occupent Luanda après en avoir chassé les Portugais. 

Un sursis de courte durée. La fin de la guerre de Trente ans (1649) signe le retour en force des Portugais à Luanda. Ils imposent alors toute une série d’exigences nouvelles : aucun européen ne doit désormais entrer au Kongo sans passer par Luanda. La « liberté » totale du commerce est imposée, soit l’interdiction pour le Kongo de prélever des taxes sur le commerce portugais. Les conquistadors s’emparent de l’île de Luanda d’où l’Etat Kongo tire sa monnaie, le Zimbu. 

Lisbonne soutient enfin toutes les velléités d’indépendance des vassaux ou des rivaux du royaume Kongo.   C’est désormais une véritable guerre froide qui régit les relations entre les deux Etats. C’est sous le règne de Mvita ya Nkanga alias « Antonio 1er »(1661-1665) que se joue l’acte ultime de ce long travail de sape. 

En 1665, les Portugais réactivent une vieille exigence, celle de l’accès aux mines de cuivre de MBembe, et alors perçues comme un possible eldorado. Réponse sèche d’Antonio 1er : « ces mines n’existent pas et que même si elles existaient, il ne les devrait à personne». 

Tandis que les Portugais mobilisent leur armée, Antonio 1er lance, le 13 juin 1665, un vibrant appel aux armes à : « Toute personne, qu’elle soit noble ou artisan, riche ou pauvre, toute personne capable de porter une arme, venant de tous les villages et bourgs…[sera] obligée de se présenter dans les dix jours qui suivent auprès de[ses] commandants, gouverneurs, princes, comtes, marquis,etc. […] et de partir défendre nos terres, biens, enfants et femmes, vie et liberté que les Portugais veulent s’accaparer et assujettir ».

Les guerriers d’Antonio 1er sont majoritairement armés d’arcs, de javelots et d’épées

 Le dernier combat

La confrontation a lieu le 29 octobre 1665 à Ambuila, à mi-chemin de São Salvador et de Luanda. Des deux côtés, on a fortement mobilisé : 500 soldats portugais et 7000 supplétifs autochtones du côté de Luanda. « 100 000 hommes » côté Kongo. Chiffre peu réaliste mais qui vient  tend à illustrer l’exceptionnelle mobilisation des Kongos. 

Antonio 1er jouit d’une incontestable supériorité numérique, mais son armée est bien moins dotée en armes à feu. Ses guerriers sont majoritairement armés d’arcs, de javelots et d’épées. En face, les conquistadores ont des mousquets et surtout deux canons. Ils bénéficient d’une organisation militaire éprouvée. De fait, les charges furieuses des guerriers Kongo viennent se briser contre le carré formé par les Portugais. 

La lutte est acharnée. Le combat va durer entre six et huit heures au cours desquelles, par vagues successives, les Kongos se jettent inlassablement à l’assaut du carré portugais. Lequel ne cède pas. 

Au soir de cette bataille, c’est une catastrophe absolue pour les Kongos qui laissent 5000 cadavres sur le terrain. Le roi Antonio 1eren fait partie, il est décapité. Avec lui, deux de ses fils et plus de 500 nobles de la Cour passent de vie à trépas. C’est tout l’Etat congolais qui est décapité de sa caste dirigeante. Il ne s’en remettra pas. Après être parvenu à maintenir sa souveraineté deux siècles durant face aux colonisateurs, le royaume du Kongo s’enfonce alors dans l’anarchie et la guerre civile. On s’y dispute un pouvoir qui n’existe plus.

Demeure le nom « Kongo », qui aura été, depuis, adopté depuis par deux Etats. 

* Les citations sont extraites du remarquable livre de David Van Reybrouck, « Congo. Une Histoire », Flammarion 2014 et disponible en poche.
 
https://mondafrique.com/grandes-batailles-2-lemir-abd-el-kader-vainqueur-des-francais-en-1845/

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La Guerre froide en Afrique (4/5), l’OPA soviétique sur la formation des élites https://mondafrique.com/international/guerre-froide-en-afrique-4-6-lopa-sovietique-sur-la-formation-des-elites/ Sun, 20 Jul 2025 22:22:00 +0000 https://mondafrique.com/?p=54030 Au-delà des conflits armés qui ont ensanglantés le continent pendant trente ans, les Deux Grands ont tout fait pour gagner la bataille des cœurs et des esprits en investissant dans la formations des élites africaines. Une histoire méconnue qui résonne encore aujourd’hui Olivier Toscer  Février 1960 à Moscou. Nikita Khrouchtchev annonce l’ouverture prochaine de l’Université […]

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Au-delà des conflits armés qui ont ensanglantés le continent pendant trente ans, les Deux Grands ont tout fait pour gagner la bataille des cœurs et des esprits en investissant dans la formations des élites africaines. Une histoire méconnue qui résonne encore aujourd’hui

Olivier Toscer

Des étudiants africains à Moscou. » Nous ne serons pas affligés, si vous ne devenez pas communistes », assurait Nikita Khrouchtchev

 Février 1960 à Moscou. Nikita Khrouchtchev annonce l’ouverture prochaine de l’Université de l’Amitié des Peuples. L’établissement est destiné à procurer à des étudiants venus de ce que l’on appelle alors le Tiers-Monde, un enseignement supérieur de haut niveau.L’initiative passe alors plutôt inaperçue, même au sein des services de renseignements occidentaux, en regard d’autres affaires majeures de la guerre froide cette année-là comme le sommet avorté de Paris entre Khrouchtchev et Eisenhower (mai), la crise congolaise (juillet à décembre) ou le départ des conseillers soviétiques de Chine (août).

L’Université de l’Amitié lance pourtant un nouveau mode de lutte d’influence idéologique, une autre guerre froide, non-dite celle-là. Une bataille sans armes nucléaires, ni affrontements militaires mais visant pourtant le même objectif : assurer la suprématie de bloc de l’Est dans ces pays que l’on appelle alors « sous-développés » et particulièrement en Afrique

Le pragmatisme avant l’idéologie

L’URSS étudie avec appétit, depuis plusieurs années, le processus de décolonisation en vue d’étendre son influence.La patrie de Lénine a certes déjà envoyé une poignée de conseillers militaires au Ghana, en Guinée et au Congo notamment. Mais elle prend soin de ne pas déclencher un conflit armé. Elle vient ainsi de décliner les appels du pied du Premier ministre congolais Patrice Lumumba pour s’engager militairement dans la guerre civile en cours dans l’ex-colonie belge.

Dans le Tiers-Monde, Moscou préfère le pragmatisme et l’opportunisme à la rigueur idéologique. « Nous ne serons pas affligés, si vous ne devenez pas communistes, assure même Nikita Khrouchtchev dans une adresse aux étudiants, lors de l’inauguration de l’Université de l’Amitié des Peuples. Mais vous resterez toujours des gens honnêtes, si, en acquérant le savoir, vous consacrez votre vie au service fidèle de votre peuple, et non au sac d’argent, à la pièce d’or ».

L’offensive de charme soviétique est instantanément couronnée de succès : avant même son ouverture, l’établissement reçoit près de 2 000 candidatures pour 500 places disponibles. Il faut dire que l’aide concrète apportée à chaque étudiant sélectionné est appréciable: une allocation mensuelle, un logement en foyer universitaire, et surtout un encadrement pédagogique impressionnant – environ 800 enseignants pour 4 000 étudiants. Les étudiants africains sont traités comme des princes : ils reçoivent de 80 à 150 roubles par mois (contre 50 à 70 pour les boursiers soviétiques, et 100 pour le salaire moyen en Russie).

Dès mars 1961, l’Université prendra le nom de Patrice Lumumba, ex-Premier ministre du Congo assassiné dans la guerre civile qui ravage encore l’ancienne colonie belge. Une récupération qui vise à montrer la solidarité de l’URSS avec les peuples libérés du système colonial, à séduire.

« Combien d’entre vous êtes prêts à passer dix ans de vos vies en Afrique? », lance John Kennedy à un auditoire étudiant peu avant son élection

Naissance du « Peace Corps »

Le 14 octobre 1960, à 2 heures du matin, juste après son premier débat télévisé avec Nixon dans le cadre de l’élection présidentielle, à l’Université de Ann Arbor, John F. Kennedy met au défi les 10 000 étudiants restés pour l’accueillir : « Combien d’entre vous êtes prêts à passer dix ans de vos vies en Afrique, en Amérique latine ou en Asie pour les États-Unis et pour la liberté ? ».

Quelque jours plus tard, le futur président des Etats-Unis théorise la notion de Peace Corps lors d’un discours où il s’en prend à l’administration Eisenhower, incapable, selon lui, de mener la guerre froide avec suffisamment de vigueur. Il faut faire mieux en envoyant des Américains à l’étranger, motivés pour défendre la liberté et « triompher des efforts des missionnaires de M. Khrouchtchev ».

le Peace Corps voit le jour le 1er mars 1961

Enfanté par la guerre froide, le Peace Corps voit le jour le 1er mars 1961. Dès la fin de l’année quelque 400 jeunes coopérants sont déjà en poste notamment au Ghana et au Nigeria où ils donnent des cours d’anglais, de mécanique ou de médecine, triment dans les champs ou aident dans les ministères.

Le nombre de ses volontaires atteindra 15 000 en 1966 dont 40 % en Afrique noire. Les corpsmen  se vivent comme les vigies avancées de la société américaine dans les pays du Sud. Ils sont censés aider les jeunes nations bien sûr mais également combattre l’image de « l’Ugly American », la réputation de yankee prétentieux qui colle à la peau des Américains à ce moment-là dans le monde. « Ils sont exactement le calibre d’hommes et de femmes qui devraient être encouragés à poursuivre leur carrière au sein de l’administration fédérale », écrit, avec enthousiasme le président Lyndon Johnson en mai 1964[1].

Si l’objectif solennel confié par le Congrès américain au Peace Corps est bien de «promouvoir la paix et l’amitié dans le monde », la mention par une brochure de l’Académie des sciences de l’URSS de cette « organisation anticommuniste au service du capital monopolistique » montre que les Soviétiques y voient un concurrent sérieux.

Un étudiant sur quatre pro soviétique

Au début de son offensive de charme, l’URSS semble bien placé pour emporter la bataille des cœurs et des esprits. En 1962, selon une étude du sociologue sénégalais Jean-Pierre N’Diaye, réalisée auprès de la jeunesse estudiantine africaine en France, 25 % d’entre eux admirent l’URSS contre seulement 8 % la France et 3 % les Etats-Unis. Mais la susceptibilité des jeunes Etats africains, jaloux de leur souveraineté dans leur propre pays, ralenti la pénétration du bloc communiste sur le territoire africain.

Exemple à l’Institut Polytechnique de Conakry où dès la première année scolaire, deux professeurs soviétiques sont destitués après le premier semestre sur ordrede l’inspecteur général de l’enseignement Louis Béhanzin, à causede leur mauvaise connaissance du français. « Quand les professeurs américains arrivent, explique-t-il aux autorités soviétiques, ils n’ont pas de difficultés avec la langue française. La différence dans la connaissance du français entre les enseignants soviétiques et américains a une importance politique non seulement pour la Guinée mais aussi pour tous les pays africains »[2]

 Les boursiers africains accueillis à l’université Patrice-Lumumba ne sont pas non plus tous très contents de leur vie à Moscou. En décembre 1963, entre 500 et 700 d’entre eux manifestent même sur la Place Rouge contre le racisme qu’ils subissent en URSS, après qu’un de leur camarades ait été retrouvé mort au bord d’une bretelle d’autoroute. Et certains se plaignent, dès leur retour chez eux, de la qualité des diplômes soviétiques toujours sous-évalués par les autorités locales par rapport à ceux de camarades ayant fait leurs études à Paris ou à Londres.

Inquiétudes de Jacques Foccart

Le directeur de la CIA se plaint de l’interdiction de placer ses hommes dans le Peace Corps

Côté Etats-Unis, l’influence des Peace Corps américains reste également limitée par la légende urbaine qu’ils seraient des agents de la CIA sous couverture. Même leurs alliés se méfient de « ces volontaires auxquels les Américains donnent une formation très idéologique », comme l’écrit dans ses carnets Jacques Foccart, le « Monsieur Afrique » du Général De Gaulle. « Ils ne font pas autre chose que du renseignement ou de la propagande »[3]. Une chimère en réalité : des notes récemment déclassifiés aux Etats-Unis montrent qu’une règle en vigueur dès le départ disqualifiait automatiquement les candidats qui voulaient s’enrôler dans les Peace Corps, s’ils avaient eu auparavant une carrière dans un service de renseignement. Et même la CIA se plaignait d’une telle interdiction ! « Je pense que cette interdiction porte un terrible désaveu envers les hommes et les femmes honorables qui servent leur nation en travaillant à la CIA »[4], fulminera William Casey, le maitre-espion américain au début des années 80.

De toute façon, au tournant des années 60-70, les Américains embourbés au Vietnam, se désintéressent de plus en plus de la coopération avec l’Afrique, se contentant de livrer des armes et de soutenir politiquement les régimes qui leur sont déjà acquis (Zaïre et Afrique du Sud notamment). Ils ne réagissent même pas quand l’Ethiopie de Hailé Selassié bascule dans la dictature militaire communiste en 1974 et que le Peace Corps doit plier bagage.

A partir du début des années 70, l’URSS va également concentrer ses efforts sur le continent noir dans le seul domaine militaire et déléguer la coopération éducative aux autres pays de l’Est. L’Allemagne de l’Est par exemple devient à partir de 1973, le principal « coopérant » civil du bloc de l’Est en Afrique. Les « chemises bleues », les jeunesses communistes est-allemandes sont envoyés dans les champs et dans les usines notamment au Congo, Angola, Mozambique. Surtout, les Allemands de l’Est excellent dans la formation à la propagande, notamment avec ADN, l’agence de presse nationale chargée de former les journalistes africains issus des pays frères en Afrique.

Au final, le bloc de l’Est a-t-il réellement été capable de produire des élites «rouges», guidées par l’idéologie communiste et soucieuses de mettre en place une administration et une bureaucratie de type socialiste en Afrique ?

Certains anciens élèves du bloc soviétiques ont effectivement accédé au plus haut niveau dans leurs pays alors d’orientation marxiste : José Eduardo dos Santos, président de l’Angola à partir de 1979, a étudié en URSS de 1963 à 1969 ; il était le principal dirigeant des étudiants angolais en URSS et a obtenu à Bakou un diplôme d’ingénieur du pétrole et des télécommunications. Fikre-Selassié Wogderess, Premier ministre éthiopien de 1985 à 1987, a étudié à l’Institut de sciences sociales à Moscou en 1975. Alemu Abebe, ministre de l’Agriculture en Éthiopie a fait des études de médecine vétérinaire à Moscou. Au Mali, plusieurs présidents ont été formés derrière le rideau de fer, parmi lesquels Alpha Oumar Konaré (1971-1975 : Institut d’Histoire, Université de Varsovie, Amadou Toumani Touré (1974-1975 : École supérieure des troupes aéroportées à Riazan en URSS), Dioncounda Traoré (1962-1965 : Faculté de langue russe à Moscou et Faculté de mécanique et mathématiques de l’Université d’État de Moscou).

Dans le domaine culturel, la formation aux différents métiers du ciném(opérateurs, scénaristes, réalisateurs, critiques de cinéma, éclairagistes, etc.), retient également l’attention puisque le cinéma joue un rôle essentiel dans la conquête des coeurs et des esprits. Parmi les cinéastes, le Sénégalais Sembene Ousmane, le Malien Souleymane Cissé, ou encore le Mauritanien Abderrahmane Sissako (Timbuktu), pour n’en citer que quelques-uns, ont fait leurs classes en Union soviétique, pour la plupart à l’Institut du cinéma de Moscou (VGIK). La célèbre «école soviétique du cinéma » a joué et joue encore un rôle majeur dans leur manière de représenter leur société.

Des milliers de cadres 

Mais l’essentiel de l’héritage soviétique en Afrique ce sont surtout des milliers d’ingénieurs, agronomes, médecins, pharmaciens, cadres de l’administration et du secteur privé, techniciens, enseignants d’université ou du secondaire. Ils ont contribués et contribuent encore à la construction des Etats africains.

Dans quelques rares pays, ils ont même été dominants dans l’élite administrative. A la fin des années 80 par exemple, les Ethiopiens formés en URSS représentait 30 % des postes de cadres du ministère des Affaires Etrangères et près de la moitié des cadres des ministères économiques et des entreprises publiques.

Indirectement, l’engagement soviétique dans l’éducation a incité les Etats-Unis et leurs alliés à suivre le mouvement et renforcer leur coopération avec les pays africains. La moitié des coopérants français, les volontaires du service national, ces « soldats sans uniformes » déployés à partir de 1962 en Afrique étaient par exemple des instituteurs.Pour l’historien français Constantin Kaztsakioris, « l’aide soviétique dans l’éducation a été d’une grande importance aussi bien pour le développement des pays africains que pour plusieurs générations de jeunes africains. Ses effets ont été majeurs ».

Aujourd’hui, les Africains retournés dans leur pays travaillent de plus en plus dans des compagnies russes ou comme intermédiaires entre les hommes d’affaires russophones de l’ancienne URSS et les milieux commerciaux et sociaux et l’appareil d’État de leur pays, par exemple dans les grandes compagnies d’extraction de ressources en énergie telles que RusAl en Guinée.

Ils sont un atout dans le grand retour de la Russie en Afrique qui s’est fait jour ces dernières années.

[1] Memorandum à tous les chefs de départements exécutifs et des agences fédérales du 16 mai 1964

[2] Compte rendu d’une conversation avec l’expert principal de l’Unesco en Guinée, le 10 décembre 1962, Archives d’Etat de la Fédération de Russie.

[3] Extrait des mémoires de Jacques Foccart, Journal de l’Elysée, tome IV, Fayard, 2000.

[4] Lettre du directeur de la CIA au directeur du Peace Corps, le 2 novembre 1983

Guerre froide en Afrique (4/5), la CIA en Angola en 1975

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Le décès de Loïk le Floch-Prigent, l’amoureux de l’Afrique https://mondafrique.com/confidentiels/floch-prigent-france-a-favorise-dictatures-afrique/ Wed, 16 Jul 2025 10:03:23 +0000 https://mondafrique.com/?p=12725 Loïk Le Floch-Prigent, ex-PDG de grandes sociétés publiques françaises comme Rhône-Poulenc (1982-1986), Elf Aquitaine (1989-1993), GDF (1993-1995) et la SNCF (1995-1996), est décédé mercredi à 81 ans, a annoncé sa femme à l’AFP Cet ancien grand patron, nommé par des gouvernements de gauche comme de droite à la tête des plus grandes entreprises, a passé […]

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Loïk Le Floch-Prigent, ex-PDG de grandes sociétés publiques françaises comme Rhône-Poulenc (1982-1986), Elf Aquitaine (1989-1993), GDF (1993-1995) et la SNCF (1995-1996), est décédé mercredi à 81 ans, a annoncé sa femme à l’AFP

Cet ancien grand patron, nommé par des gouvernements de gauche comme de droite à la tête des plus grandes entreprises, a passé plusieurs années en prison, notamment après sa condamnation en 2003 pour abus de biens sociaux dans le volet principal du dossier Elf.

Chemise bleue et barbe blanchie, Loïk Le Floch le pétrolier, devenu Le Floch l’Africain, qui est passé lors de ses démêlés judiciaires pour un pilier de la Françafrique, ressemblait au soir de sa vie  à un vieux baroudeur. Voici le portrait qu’n dressait voici huit ans Mondafrique

Volubile, cet ancien explorateur des bas-fonds africains devenu écrivain voyageur plaide pour une solide révision de la politique du continent. Entre deux gorgées de Perrier sans glace, il lâche : « J’aime l’Afrique noire, moi-même je me sens africain.» Né à Brest, ce natif de Guingamp au verbe acéré aime les paradoxes: « L’Afrique est une histoire pas crédible, mais à laquelle on croit».

Le projet du livre est né dans une geôle togolaise, alors que l’ex PDG d’Elf était impliqué dans une obscure histoire de commissions. «J’ai été kidnappé à Abidjan, en Côte d’Ivoire, raconte-t-il, alors que je réglais un dossier sur le partage du pétrole avec le Ghana.»

«Le Plouc Fringant »

Cinq mois et onze jours dans « une pièce sombre éclairée par des néons » de la gendarmerie de Lomé et alors qu’une tumeur à la jambe le lance, et voici ce hâbleur qui découvre l’introspection. « La douleur me donne le vertige, mais les hôpitaux togolais sont des mouroirs. J’ai essayé de lire deux livres par jour, c’est d’ailleurs ce qui m’a donné envie d’écrire. »

Un besoin de se raconter, certes, mais aussi un désir de reconnaissance qui n’a cessé de tarauder celui qui fut surnommé « Le Plouch Fringant »: le diplômé d’un modeste institut polytechnique de Grenoble paye cher son intrusion dans le monde fermé des grands patrons. Avant ses déboires judiciaires, ce Rastignac a dirigé certains fleurons industriels français: Rhone Poulenc (1982-1986), Gaz de France ( 1993-1996) ou encore la SNCF (1995-1996).

C’est sa présidence chez Elf qui le révèle au grand public. « La pire des manières de découvrir un pays c’est d’y arriver en tant que président d’une grande compagnie pétrolière », ironise-il dans son livre. Le Floch s’arrête par la case prison entre 2003 et 2010. Condamné trois fois, il passera cinq ans à l’ombre à la maison d’arrêt de Fresnes pour détournement de fonds lors de la célèbre affaire Elf. « On m’a fait porter un chapeau trop large », se défend-il.

Ce mordu d’Afrique noire assène quelques coups de bâton. Le président congolais, Denis Sassou Nguesso et son homologue togolais, Faure Gnassingbé en tête. Quand le premier s’accroche au pouvoir depuis 33 ans, le second, élu en 2005, suit les traces de son père, Gnassingbé Eyadema, chef du Togo pendant 37 ans. Pourtant, ces « despotes africains » ne sont rien d’autre, selon lui, que le résultat d’une diplomatie française qui a trop bien fonctionné. A l’époque d’Elf, Loïk avoue avoir anesthésié par quelques gâteries et autres caisses noires des oppositions aux pouvoirs en place sur ordre du pouvoir français. « L’objectif était d’éviter les putschs ». Et d’ajouter, lucide: « Sans doute avons nous trop bien réussi quand on voit des chefs d’Etat se survivre à eux mêmes des dizaines d’années. » Et en effet la majorité des chefs d’Etat avec lesquels le pétrolier de la République négociait, sont encore au pouvoir.

Des Etats faillis

Là où ce vieux routier de Le Floch surprend son monde, c’est dans une capacité à déconstruire la vision  occidentalisée de l’Afrique qui est celle de la plupart des dirigeants français. La démocratie parlementaire, l’Etat ne seraient pas selon lui les bonnes grilles de lecture pour comprendre le continent africain.« Il n’ y a pas de chefs d’Etat en Afrique, l’Etat n’existe pas en tant que tel, les dirigeants ne gèrent qu’un bout du pays. Regardez les mines de diamants en Centrafrique, elles n’ont jamais été sous le contrôle de l’Etat.  Au Congo, Denis Sassou Nguesso contrôle les compagnies nationales, mais c’est presque tout. » Ultime recours pour ces régimes fragiles, leurs armées. A condition de les nourrir grassement. « Si l’armée est payée, elle agit, sinon elle entre dans le camp des opposants », tranche le pétrolier. Plus le pays est vaste, selon Le Floch, plus le régime en place peine à contrôler les militaires comme en témoignent le Congo ou la Côte d’Ivoire, quatre mutinerie ces trois dernières années.

La classe politique française ne trouve pas plus grâce à ses yeux que les régimes africains. Cet inconditionnel de Mitterrand n’a pas la même admiration pour les gouvernements qui l’ont succédé. « Pink Floch », surnommé ainsi à l’époque pour ses sympathies PS, cogne fort. « Le bilan de Laurent Fabius et celui de Jean-Yves Le Drian sont lamentables, ils ont tout simplement confié les clés à l’armée. La situation en Centrafrique et au Mali, deux pays où la France est intervenue militairement, est catastrophique. »

Le Mali, l’un des théâtres de l’opération Barkhane, peine à résister à l’arrivée d’un islam rigoriste venu de la péninsule arabique. « C’est la première fois que cela se produit ; jamais le continent n’a connu le remplacement d’une religion par une autre. Il a l’habitude de cumuler, c’est le mille-feuille africain. » Mais comment résister face au « paquet de fric » qui abreuve le continent en provenance du royaume ? « Ce n’est pas en interdisant les gisements de gaz de schiste en France que l’on va arrêter l’Arabie Saoudite », peste le pétrolier.

« Un bordel hollandais », voilà comment le mouton noir – surnom donné par François Mitterrand – résume la politique africaine du Parti socialiste. « Ni Sarkozy ni Hollande n’avaient un discours africain. » Il s’énerve, s’offusque et pointe du doigt l’incompétence des politiques et des experts. « Regardez au Kenya : les observateurs étrangers se sont félicités de l’élection alors que la Cour suprême déclare son invalidité quelques jours plus tard. »

Et Loïk Le Floch-Prigent de conclure: « Il n’y a plus de connaisseurs étrangers de l’Afrique ».  Sauf lui, forcément….

 

 

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La guerre froide en Afrique (3/5), la CIA en Angola en 1975 https://mondafrique.com/international/guerre-froide-en-afrique-6-6-nos-revelations-sur-la-cia-en-angola/ https://mondafrique.com/international/guerre-froide-en-afrique-6-6-nos-revelations-sur-la-cia-en-angola/#comments Mon, 14 Jul 2025 04:44:00 +0000 https://mondafrique.com/?p=54056 Sans jamais intervenir directement militairement en Angola, les Etats-Unis, sous l’impulsion du « faucon » Henry Kissinger, ont mené à partir de 1975 une guerre souterraine aux Soviétiques et aux Cubains en nombre sur les champs de bataille angolais. Livraisons d’armes, financement de mercenaires, opérations de déstabilisation : l’engagement de la CIA explique la durée […]

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Sans jamais intervenir directement militairement en Angola, les Etats-Unis, sous l’impulsion du « faucon » Henry Kissinger, ont mené à partir de 1975 une guerre souterraine aux Soviétiques et aux Cubains en nombre sur les champs de bataille angolais. Livraisons d’armes, financement de mercenaires, opérations de déstabilisation : l’engagement de la CIA explique la durée d’un conflit qui aura duré plus de quinze ans

Une enquête d’Olivier Toscer

Jonas Savimbi, leader de l’UNITA, un des trois mouvements qui se disputent le pouvoir en Angola lors de l’indépendance du pays

Le 27 juin 1975, la Maison-Blanche réunit un conseil national de sécurité. Autour du président Gérald Ford et du Secrétaire d’Etat Henry Kissinger, siègent notamment le Secrétaire à la Défense James Schlesinger et le patron de la CIA, Bill Colby. Un seul sujet à l’ordre du jour : la situation en Angola. Elle est désastreuse du point de vue américain.

Depuis plus d’un an, après l’annonce de son retrait par le Portugal, la puissance coloniale, le pays est à feu et à sang. Trois mouvements rivaux se disputent le futur pouvoir, les armes à la main : d’un côté, les communistes du MPLA d’Agostinho Neto ; de l’autre, deux mouvements pro-occidentaux, le FNLA de Roberto Holden et l’UNITA de Jonas Savimbi.

Massivement soutenu par l’Union soviétique et le bloc de l’Est, ainsi que par des forces cubaines, encore peu nombreuses[1], le MPLA est aux portes de Luanda la capitale. Un situation qui inquiète Henry Kissinger au plus haut point : « L’histoire de l’Afrique a montré que le point essentiel est le contrôle de la capitale, professe-t-il ce jour-là. Par exemple dans la guerre civile au Congo, la raison pour laquelle nous avons pu sortir par le haut a été que nous n’avons jamais perdu le contrôle de la capitale Léopoldville. En Angola, si Neto (le leader de la rébellion pro-communiste, ndlr) gagne Luanda, il aura une base de pouvoir et petit à petit gagnera les faveurs des Africains »[2].

Et le Secrétaire d’Etat, faucon anticommuniste par excellence, de peindre devant le Président Ford, le tableau angolais en noir : « Les cargaisons d’armes soviétiques ont renversé la situation. (…) Le Portugal vacille face à Neto et les Soviétiques ont confiés des équipements importants, comme des transports de troupe, entre les mains de Neto », s’alarme-t-il.

Le président américains, Ronald reagan, en compagnie du leader de l’UNITA, Jonas Savimbi

Plusieurs options  sur la table.

La première est la neutralité, « laisser la nature suivre son cours », comme il dit. Et de lister les avantages d’une telle position attentiste : « Echapper à une implication militaire coûteuse, nous protéger contre les critiques de la communauté internationale et nous éviter d’être dans une confrontation plus dure avec le MPLA ». Mais Kissinger tient aussi à mettre le président Ford devant les inconvénients d’un tel détachement américain. « Le résultat probable sera que Neto sera en position de force, l’Angola prendra une direction progressiste. Et le cerveau de la politique étrangère américaine de pointer également le risque de s’aliéner son allié, voisin de l’Angola, Le Zaïre. Mobutu aura la tentation de s’allier avec Savimbi (le leader de l’UNITA, groupe de rebelles pro-occidentaux, ndlr) et le Zaïre pourrait également conclure que nous nous désintéressons du sort de cette partie du monde et devenir devienne anti-américain ». Une hypothèse, en réalité peu réaliste, vu le soutien financier sans faille de la CIA dont Mobutu a bénéficié depuis le début de son règne il y a quinze ans…

Lors de cette réunion cruciale du Conseil de Sécurité, Kissinger écarte également d’un revers de main, la voie diplomatique. « Mon ministère y est favorable mais je ne le suis personnellement pas. Si nous appelons les Soviétiques à la modération, cela sera vu comme un signe de faiblesse et on arrivera à rien », explique-t-il.

En réalité, deux mois seulement après la chute de Saigon et le retrait des troupes américaines du Vietnam, Henry Kissinger est chaud partisan de repartir sur le sentier de la guerre, du côté de Luanda. Il penche clairement pour la livraison d’armes

« Le comité ad-hoc pour l’Angola a d’abord envisagé d’envoyer des fonds puis a étudié l’envoi d’armement. Je recommande qu’un groupe de travail étudie cette dernière option en détail », annonce-t-il au président. « En tous les cas, ne rien faire est inacceptable », répond ce dernier.

Dans ce document partiellement déclassifié, la CIA liste ses opérations secrètes menées en Angola pendant l’année 1975l

Engagement américain en Afrique Australe.

Les archives de la CIA récemment déclassifiées montrent en effet que le conflit angolais ne se résume pas à l’engagement historique de près de 20 000 soldats cubains sur le terrain et de l’implication massive des conseillers militaires soviétiques. L’action secrète des Américains, une gigantesque offensive basée sur les opérations clandestines, permet d’expliquer, la durée record du conflit angolais qui va durer vingt-sept longues années.

Au départ, les Etats-Unis avaient étudié la faisabilité d’un opérations aéronavale sur Luanda pour anéantir les forces pro-communistes. Mais ils y avaient finalement renoncé pour éviter un conflit armé direct et incertain avec le bloc de l’Est. « Le rapport de force est favorable au mouvement pro-soviétique du MPLA grâce à un afflux massif d’armes soviétiques »[3] avaient rapidement constaté les experts

La croisade angolaise est donc confiée à la CIA. Il s’agit de fournir les deux autres mouvements de libération non-communistes en armes et en moyens financiers, mais sans que cela ne s’ébruite.

Dès le 29 juillet 1975 un avion de transport C141 arrive de Kinshasa avec un premier chargement d’armes pour la rébellion anti-communiste. D’autres suivront. Mais selon les règles de l’action clandestine, ces armes ne doivent pas pouvoir être attribuées aux Etats-Unis. Ce sont donc essentiellement des armes de la Seconde guerre mondiale qui sont acheminés, ainsi que des missiles anti-aériens SA7 fourni par Israël. La CIA a convaincu l’Etat hébreu d’effectuer cette livraison en échange d’équipements américains modernes livrés à Tel Aviv.

Le 13 septembre 1975, les Américains accentuent encore leur aide « pour distribuer plus d’armes américaines modernes en Angola, entraîner des miliciens angolais hors du territoire angolais et recruter des conseillers militaires non-américains »[4]. Mais tout est fait pour garder cet engagement militaire américains le plus secret possible. Même son principal allié dans la région, le Zaïre, ne doit pas intervenir directement pour éviter d’alerter les Soviétiques. « Il faut éviter d’encourager Mobutu a envoyer ses propres troupes au Cabinda mais coopérer avec lui pour armer et entraîner des forces cabindaises », préconisent les experts de la CIA. Même si Bill Colby, le patron de l’Agence reconnaît que « si le renseignement montre que la situation en Angola se détériore, on ne pourra pas calmer Mobutu »[5]

Les combattants de l’UNITA, soutenus par les Américains

Détour par l’Afrique du Sud

La CIA préfère jouer la carte de l’Afrique du Sud, un partenaire réputé plus fiable et moins soupçonnable d’agir sur ordre américain. Les troupes sud-africaines entrent ainsi en Angola le 14 octobre 1975 mais sans parvenir à empêcher la chute de la capitale Luanda aux mains des procommunistes. A partir de cette date, ce qui était une guerre civile africaine devient un conflit mondialisé, même en l’absence visible de l’US Army sur le terrain.

Pendant les 27 années que va durer le conflit angolais, l’armée américaine n’interviendra qu’une seule fois sous son pavillon, entre aout et octobre 1992, et de manière plutôt pacifique puisqu’il s’agissait de ramener par avion Hercules C-130 des rebelles pro-occidentaux chez eux, à la fin de la guerre. Mais pendant toutes la durée du conflit, des avions F27 affrétés par la CIA se chargeront de plusieurs opérations de transport. L’un d’eux sera même abattu par des MIG de l’armée de l’air cubaine en 1976.

La CIA n’est pas en reste non plus pour financer le recrutement de mercenaires à 300 dollars la semaine pour épauler les forces du FNLA de Roberto Holden. Budget total : 1,5 million de dollars. Plusieurs d’entre eux, tous arrivés via le Zaïre voisins, seront ainsi capturés par les hommes du MPLA et jugés publiquement. Certains seront condamnés à mort et exécutés.

Reagan élu, la CIA triomphe

En 1980, avec l’arrivée de Ronald Reagan à la Maison Blanche, les offensives clandestines de la CIA repartent de plus belle.

La CIA est chargé d’approvisionner la guérilla de Jonas Savimbi en armes et d’impliquer l’armée zaïroise, jusque là plutôt tenue à l’écart, dans le conflit. L’engagement américain devient de plus en plus massif. En 1987, Reagan donne même le feu vert pour livrer des missiles anti-aérien Stinger, le nec plus ultra de l’époque, à la guérilla anticommuniste. Il y en a pour 15 millions de dollars. Mais l’effort reste néanmoins dérisoire face aux milliards de dollars d’équipement fournis à ses alliés par l’Union Soviétique. L’équilibre des forces qui reste à l’avantage du bloc de l’Est, même si Washington ne cesse de mettre à contribution ses alliés dans le soutien à Savimbi. L’Arabie Saoudite par exemple paie la formation des rebelles de l’UNITA au Maroc pour cinquante millions de dollars. Même le Brésil est sommé d’envoyer des conseillers militaires sur le terrain.

La CIA attendra 1991 et le début du processus de paix pour mettre un point final à son opération secrète en Angola. Le bilan est maigre. Le MPLA, même si son vernis marxiste a disparu, est toujours au pouvoir à Luanda.

Le bilan humain du conflit est, lui, évalué à 500 000 morts.

[1] Selon un mémorandum titré « L’implication des Cubains en Angola », rédigé par la CIA le 22 juin 1977, ils ne sont que quelques centaines sur le terrain avant un engagement militaire beaucoup plus massif à partir de septembre 1975

[2] Minutes du Conseil de Sécurité Nationale du 27 juin 1975

[3] Extrait du récapitulatif des plans d’actions secrètes en Angola de janvier à octobre 1975, rédigé par la CIA, le 22 octobre 1975

[4] Ibid

[5] Ibid

Guerre froide (2/4), le Mali au mieux avec Moscou et Washington

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 Repéré par l’agence de renseignement américaine  pour ses opinions anti-communistes, le lieutenant–général Joseph Mobutu n’aurait jamais pu prendre le pouvoir à Kinshasa au Congo sans les millions de dollars des fonds secrets américains. 

Une enquête d’Olivier Toscer

Le dictateur restera dans l’histoire comme la marionnette préférée de Washington. Le voici en compagnie de Richard Nixon

Septembre 1960. Le Congo belge, indépendant depuis seulement trois mois, est plongé dans le chaos. Codirigé par un président Kasavubu faible et un Premier ministre Lumumba, tenté par l’alliance avec le bloc de l’Est, miné par des ambitions sécessionnistes des provinces du Katanga et du Sud-Kasaï, le pays est en proie à une confusion totale.

Mais Larry Devlin, le chef de station de la CIA à Léopoldville (aujourd’hui Kinshasa) va faire une rencontre qui va tout changer : celle d’un ancien journaliste devenu haut gradé dans l’armée nationale congolais, un certain Joseph Mobutu.

Le premier contact entre les deux hommes a lieu, un peu par hasard, au palais présidentiel. Devlin tombe immédiatement sous le charme de ce chef d’Etat-major adjoint de l’armée qui exprime tant de désaccords avec la tentation pro-communiste de Lumumba. « Le colonel Mobutu s’est plaint amèrement du fait que Lumumba essayait d’impliquer l’armée dans la politique »[1], rapporte l’espion à ses supérieurs. Une version édulcorée de la conversation qui a eu lieu entre les deux hommes.

Dans une interview à la radio américaine, quelque 37 ans plus tard, Devlin révèlera que Mobutu avait évoqué – déjà – la possibilité de réaliser un coup d’Etat contre Lumumba et s’inquiétait de l’éventuel soutien des Etats-Unis dans cette entreprise. Devlin lui avait répondu : « Je pense que nous le soutiendront ».

Et c’est ce qui se passe quelque jours plus tard, quand le Colonel Mobutu, tout juste nommé à la tête de l’armée décide de placer Patrice Lumumba en résidence surveillée et ordonne le départ sous 48 heures de tous les diplomates soviétiques et tchèques de la capitale congolaise. Les Américains se frottent les mains.

Larry Devlin, chef de mission de la CIA au Congo

Une addition salée

Mais le putschiste ne va pas tarder à leur présenter l’addition.« Mobutu a besoin d’aide financière pour payer ses troupes et leurs officiers ainsi que l’essence pour les mouvements de troupes », câble le responsable de la CIA à ses supérieurs[2]. C’est le début de l’engrenage entre un futur dictateur foncièrement vénal et une agence de renseignement prête à toutes les dépenses pour s’offrir littéralement le gouvernement d’un pays et le soustraire aux convoitises soviétiques.

Côté américain, le projet corruptif est assumé : « Il est dans notre intérêt de soutenir le Colonel Mobutu comme contre-pouvoir à Lumumba et l’encourager à travailler à la constitution éventuelle d’un gouvernement civil modéré au Congo, écrit Larry Devlin. Il est ainsi proposé d’offrir des fonds à Mobutu pour son usage personnel pour s’assurer de sa coopération.

La CIA n’a aucun complexe à prendre en sous-mains les destinées du Congo : « Une liste de ministre pourrait être présenté à Mobutu en lui demandant ses suggestions. Notre représentant à Léopoldville est en train de préparer cette liste »[3]

L’agence de renseignement dispose évidemment d’un budget de plusieurs millions de dollars pour cela. Mais il ne mesure pas encore bien, le degré de cupidité de leur supplétif et son sens du chantage : « Joseph Mobutu nous presse constamment d’avoir plus d’argent pour son armée, observe Larry Devlin. Sinon, il dit que le régime pourrait s’effondrer »[4]

Le futur dictateur semble passer l’essentiel de son temps à inventer de nouveaux stratagèmes pour soutirer de l’argent à Washington. Un jour par exemple, il prétend que « Moïse Tchombé (le leader de la province du Katanga allié aux Belges et aux Américains, ndlr) lui avait donné une somme indéterminée pour l’armée nationale congolaise, argent qu’il avait remis au gouvernement provisoire, lequel l’avait dépensé pour diverses dépenses sans l’accord du ministre des finances. Mais maintenant, racontent les hommes de la CIA au Congo, Mobutu craint qu’on lui demande de rembourser cette somme qu’il n’a plus, qu’il soit soupçonné de l’avoir détourné et que ce soupçon nourrisse l’opposition »[5]. Une fable sans doute mais que la CIA décidera de croire. L’agence de renseignement paie Mobutu tant la loyauté du haut gradé congolais semble aux Américains, totale.

Les Américains sont au petit soin avec Mobutu. En mai 63, il l’invite même aux Etats-Unis et lui permette de visiter le siège de la CIA. Preuve qu’ils sont au petit soin avec le leader congolais, Mobutu obtient même une entrevue avec le Président Kennedy.

« Sans trace comptable », forcément

Quand Mobutu visitait le siège de la CIA

Washington n’est pourtant pas dupe sur la pâle envergure du personnage. « Même si le Général Mobutu a beaucoup de qualités et a effectivement réussi des choses dans le passé, sa vanité et son irresponsabilité pourrait apparaître comme ayant significativement contribué à l’inefficience et au désordre au sein de l’armée »[6], note Dean Rusk, le responsable du Département d’Etat. D’ailleurs, les Américains se gardent bien de s’impliquer militairement dans la poudrière congolaise. En 1964, seuls deux pilotes de chasseurs bombardiers, contractuels de la CIA sont envoyés auprès de Mobutu qui en demandait beaucoup plus. Et les deux barbouzes ne disposent d’aucune accréditation officielle, seulement d’un contrat avec Mobutu.

Mais tant que l’homme fort de l’armée congolaise tient le péril rouge à bonne distance, il peut continuer à bénéficier d’à peu près tous les dollars qu’il souhaite. Même si parfois l’ambassadeur tique sur la générosité de la CIA. « Devlin (chef de poste de la CIA au Congo, ndlr) vient juste de m’informer du feu vert donné par Washington pour confier dix millions de francs belges à Mobutu sans traces comptables, ni indication sur l’emploi de cette somme »[7], s’inquiète-t-il par exemple cette année-là.

« En reconnaissance de ses efforts »

Pour Mobutu, tout est bon pour rafler des fortunes. C’est bien simple : il touche sur tout. Exemple le 12 octobre 1965. Le président de la république congolais Kasavubu congédie brutalement son Premier ministre Moïse Tschombé, faisant exploser l’attelage à la tête de l’Etat qui avait pourtant l’aval des Américains.

A Langley, au siège de la CIA, certains s’étonnent qu’un : « le paiement a été effectué au général Mobutu le 26 octobre en reconnaissance de ses efforts pour soutenir les objectifs des Etats-Unis qui étaient de maintenir le duo Kasavubu-Tschombé alors même que ces efforts n’ont pas été couronnés de succès, notent les responsables. Avant de constater que le versement avait été approuvé par les représentants au Congo. La station de CIA sur place et l’ambassadeur des Etats-Unis ont en effet considéré ce versement souhaitable car Mobutu avait puisé dans ses fonds personnels pour essayer d’apaiser les tension entre Kasavubu et Tchombé »[8].

Toucher une commission sur un deal qui a échoué : du grand art à la Mobutu !

Les poches pleines 

Le 25 novembre 1965, le général Mobutu prend le pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat militaire, sans même en avoir demandé l’autorisation à ses maîtres américains. Ceux-ci ne lui en tiennent toutefois nullement rigueur. « Il s’est sincèrement excusé de ne pas nous avoir prévenu de ses plans »[9], assure le chef de poste de la CIA après une rencontre avec Mobutu qui avait prétexté de pas avoir de ligne téléphonique à sa disposition la veille du coup d’Etat pour avertir la CIA. Et pour se faire pardonner, le putschiste se montre en bon petit soldat : « Il attend des Etats-Unis des conseils et des instructions maintenant et dans le futur », note l’espion américain qui estime – logiquement – qu’il faut récompenser cet acte d’allégeance comme il se doit : « Des fonds supplémentaires pour Mobutu sont plus indispensable que jamais »[10].

Les Etats-Unis reconnaîtront officiellement le régime de Mobutu dix jours plus tard. « Le gouvernement Mobutu est la dernière chance du camp occidental au Congo (et possiblement en Afrique Noire), écrit Larry Devlin de la CIA. S’il tombait, il y a peu de chance qu’il soit remplacé par un régime acceptable pour l’Ouest. Nous pensons probable que le Congo se diviserait alors en une multitude de petits Etats et certains d’entre eux tomberaient sous l’influence du bloc communiste »[11].

En conséquence, le futur maréchal Mobutu Sese Seko va pouvoir continuer à soutirer tous les fonds qu’il souhaite aux Etats-Unis pour n’importe quel motif, même les plus amoraux.

Sous couvert de lutte anti-communiste, la CIA va financer sans sourciller un régime basé sur la corruption à tous les niveaux. Et en toute connaissance de cause, comme le montre par exemple ce rapport officiel de 1966, aujourd’hui déclassifié, faisant état de l’emploi d’une énième montagne de dollars versée sur les fonds secrets : « Cet argent a été dépensé pour s’assurer du soutien des principaux officiers de l’Armée nationale congolaise, pour financer d’importants leaders politiques et pour fournir une aide aux chefs de province et aux chefs tribaux qui sont venus visiter Léopoldville »[12].

Combien la CIA a-t-elle dépensée pour asseoir un dictateur militaire sur le trône de l’ancien Congo belge ? Les montants figurant dans les archives du service restent, aujourd’hui encore, couvert par le secret-défense.

Selon Jack Stockwell, un ancien des services secrets américains en Afrique, devenu un lanceur d’alerte à la fin des années 70, la CIA a versé personnellement plus de 20 millions de dollars à Mobutu les premières années de son règne.

Le dictateur zaïrois restera jusqu’à sa chute en 1997, un fidèle supplétif de toutes les aventures américaines en Afrique.

[1] Télégramme de la station de CIA au Congo, le 13 septembre 1960

[2] Télégramme de la CIA, le 18 septembre 1960

[3] Rapport pour le groupe spécial pour l’action secrète de la CIA au Congo, Washington, non daté

[4] Télégramme de la station de la CIA du 20 janvier 1961

[5] Télégramme de la station de la CIA au Congo du 29 novembre 1961

[6] Télégramme à l’ambassadeur des Etats-Unis à Léopoldville, daté du 26 mai 1964

[7] Télégramme du 19 août 1964 au Département d’Etat

[8] Mémorandum de la CIA du 23 novembre 1965

[9] Télégramme du 25 novembre 1965

[10] Télégramme de la CIA au Congo du 26 novembre 1965

[11] Message de la station de Léopoldville à la CIA le 13 décembre.

[12] Rapport du comité spécial de la CIA pour le Congo, le 5 février 1966.

Série « guerre froide » (2/6), quand la CIA voulait éliminer Lumumba au Congo

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La semaine culturelle africaine (30 mai-6 juin) en sept arrêts https://mondafrique.com/loisirs-culture/la-semaine-culturelle-africaine-30-mai-6-juin-en-sept-arrets/ Sun, 01 Jun 2025 07:26:00 +0000 https://mondafrique.com/?p=134813 De Paris à Angoulême, de Dakar à Abidjan, la création africaine pulse cette semaine aux quatre coins de la scène culturelle. Concerts, expos, projections, festivals… une vitalité artistique plurielle se déploie, entre dialogues intimes et envolées politiques. Paris Ivoire Cinéma : la Côte d’Ivoire à l’écran, les 30 et 31 mai à Ivry-sur-Seine Première édition […]

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De Paris à Angoulême, de Dakar à Abidjan, la création africaine pulse cette semaine aux quatre coins de la scène culturelle. Concerts, expos, projections, festivals… une vitalité artistique plurielle se déploie, entre dialogues intimes et envolées politiques.

Paris Ivoire Cinéma : la Côte d’Ivoire à l’écran, les 30 et 31 mai à Ivry-sur-Seine

Première édition du Festival Paris Ivoire Cinéma à l’EICAR les 30 et 31 mai 2025. Deux soirées de projection pour découvrir un cinéma ivoirien en pleine renaissance, entre thrillers, drames sociaux et comédies audacieuses. Un pont culturel à ne pas manquer.

Le 7e art ivoirien pose ses valises à Ivry-sur-Seine. Pour la première fois, le festival Paris Ivoire Cinéma investit les locaux de l’EICAR, prestigieuse école de cinéma, pour deux soirées de projection les 30 et 31 mai 2025, placées sous le signe du dialogue culturel, de l’audace narrative et de la diversité des regards. Organisé par le Bureau des étudiants de l’établissement, cet événement promet une immersion dans le cinéma ivoirien contemporain, avec une sélection éclectique de films et des échanges privilégiés avec les artistes.

Au programme : thrillers, drames sociaux, comédies grinçantes, récits mystiques… De quoi battre en brèche l’idée d’un cinéma africain réduit à un seul style ou à une seule esthétique.

Le projet est né d’un désir clair : rendre visibles les œuvres d’un cinéma trop souvent ignoré dans les circuits européens, malgré sa richesse et sa vitalité. À travers ce festival, les étudiants de l’EICAR veulent non seulement mettre en lumière des films issus de la Côte d’Ivoire, mais aussi tendre un pont entre deux cultures cinématographiques : celle, industrielle et formatée de l’Occident, et celle, vivante, souvent artisanale, des cinéastes africains.

Avec six films projetés sur deux jours, le festival offre un panorama dense et varié, qui donne à voir la pluralité des imaginaires ivoiriens, entre tension sociale, humour populaire et plongée mystique.

Parmi les œuvres présentées, certaines sont déjà saluées dans les circuits de festivals :

Nina Torres de Khady Touré : un thriller psychologique sur les revers de la célébrité, porté par une mise en scène nerveuse et un jeu d’acteur habité.

Gazoua doit mourir de Fidèle Koffi : une comédie dramatique mêlant humour grinçant et critique sociale, dans un village où l’héritage devient une bombe à retardement.

Love, Sexe & Money de Owell Brown : drame urbain sur les désillusions sentimentales d’une jeunesse abidjanaise prise entre modernité et tradition.

Indlu Yesono de Djoblé E. Ahouné : une œuvre inclassable entre fantastique et horreur, qui convoque les esprits dans une atmosphère angoissante, aux frontières du mythe.

Chaque projection sera suivie d’un échange avec les réalisateurs ou les acteurs, pour offrir au public une expérience complète : voir, écouter, questionner.

Ce qui fait la force de Paris Ivoire Cinéma, c’est sa volonté de créer des rencontres entre les cultures. L’idée n’est pas simplement de “montrer des films africains”, mais de les inscrire dans une démarche pédagogique, sensible et politique, où le spectateur est partie prenante du processus.

Des pass à la carte permettent au public de composer son propre parcours :

Pass Comédie (15 €)
Pass Drame (25 €)
Pass Thriller (35 €)
Pass Science-Fiction (50 €)
Et pour les plus curieux : Pass STAR (100 €), offrant un accès complet avec soirées privées, cocktail et séances spéciales.

L’objectif affiché est clair : rendre ces œuvres accessibles, dans un cadre accueillant et engagé, sans élitisme mais avec exigence.

L’EICAR, l’École internationale de création audiovisuelle et de réalisation, forme chaque année des dizaines de futurs professionnels du cinéma et de l’audiovisuel. En accueillant ce festival, elle ouvre ses portes à un autre pan de la création mondiale, tout en offrant à ses étudiants une expérience concrète d’organisation, de médiation culturelle et de programmation cinématographique.
Le festival se positionne ainsi comme un laboratoire d’échange, où étudiants, artistes et public extérieur peuvent repenser ensemble ce que signifie “faire du cinéma”, au-delà des frontières industrielles.

Infos pratiques :
Dates : vendredi 30 et samedi 31 mai 2025
Lieu : EICAR, 1 Allée Allain Leprest, 94200 Ivry-sur-Seine
Horaires : de 18h30 à 23h
Billetterie : via HelloAsso
Pass disponibles : de 15 à 100 €, selon le parcours choisi
Plus d’infos sur Instagram : @parisivoirecinema

Omar Pene, voix du Sénégal, en concert au Pan Piper, le 31 mai

Figure majeure de la scène musicale africaine, Omar Pene sera en concert exceptionnel le samedi 31 mai à 20h30 au Pan Piper (Paris 11ᵉ). Une voix, une conscience, une énergie : le Sénégal dans toute sa puissance vivante.

Il n’a pas besoin d’être présenté au public africain : Omar Pene, c’est quarante ans de musique engagée, de refrains populaires et de scènes enflammées. Ancien leader du mythique Super Diamono de Dakar, il a marqué des générations de mélomanes avec son style inimitable, entre mbalax, soul, jazz et poésie politique. Le 31 mai, il posera sa voix profonde et chaleureuse sur la scène du Pan Piper, pour un concert très attendu par la diaspora comme par tous les amoureux des musiques d’Afrique.

Omar Pene, c’est d’abord une voix identifiable entre mille : grave, souple, puissante, capable de passer de la mélancolie à la colère avec une même intensité. Mais c’est surtout une voix qui dit quelque chose, une voix qui parle du quotidien, des luttes, des espoirs et des douleurs du peuple sénégalais. Très tôt, avec le groupe Super Diamono, il se positionne comme un artiste engagé, proche des jeunes, des travailleurs, des laissés-pour-compte.

À la différence d’autres stars de la musique africaine plus festives, Omar Pene a toujours cultivé une posture de chanteur-citoyen, à la fois poète et témoin. Ses titres comme « Cayor », « Yoonu Yokkuté » ou « Ndanane » résonnent toujours, bien au-delà du Sénégal, comme des cris de dignité.

Ce qui fait la force d’Omar Pene, c’est aussi sa capacité à faire évoluer le mbalax, cette musique née de la fusion entre les rythmes traditionnels wolofs (sabar) et les influences occidentales (funk, rock, reggae). Avec le Super Diamono, puis en solo, il a su enrichir le genre, l’ouvrir au jazz, à la pop, à l’électro, sans jamais trahir son essence.

Sur scène, cela donne un mélange explosif : percussions nerveuses, guitares incisives, claviers jazzy, et bien sûr cette voix habitée qui guide tout le groupe comme un chef d’orchestre instinctif. À 68 ans, l’artiste n’a rien perdu de sa fougue. Au contraire, il semble encore plus libre, plus ancré, plus urgent.

Situé dans le 11ᵉ arrondissement, le Pan Piper est une salle connue pour sa programmation exigeante, entre musiques du monde, jazz, soul et concerts acoustiques. Un écrin parfait pour un artiste comme Omar Pene, dont le concert s’annonce à la fois festif et méditatif.

Le public y sera proche de la scène, dans une ambiance chaleureuse, propice à la communion. Car les concerts de l’artiste ne sont jamais froids ni formatés, ils sont traversés par une énergie populaire, une force collective qui fait danser autant qu’elle fait réfléchir.

Le 31 mai, le chanteur reviendra sans doute sur ses grands classiques, mais aussi sur les titres de son dernier album, « Climat », sorti en 2022, où il évoque les bouleversements environnementaux, les migrations, et la mémoire des anciens. On y retrouve son style sobre et élégant, ses arrangements soignés, et toujours cette envie de raconter le monde autrement, en wolof comme en français.

Omar Pene incarne une musique de la conscience, qui refuse la résignation et célèbre l’humain. Son concert sera un moment fort, chargé d’émotion et de lucidité, enraciné dans l’histoire du Sénégal.

Infos pratiques :

Date : samedi 31 mai 2025
Heure : 20h30
Lieu : Pan Piper, 2-4 impasse Lamier, Paris 11ᵉ
Tarif : à partir de 25 € (selon la billetterie)

Réservations en ligne fortement recommandées (concert quasi complet).

« Ces vibrations intérieures » : cinq artistes camerounais, cinq voix qui résonnent fort à Paris

Jusqu’au 7 juin 2025, la galerie La La Lande (Paris 4ᵉ) accueille l’exposition collective “Ces vibrations intérieures”. Cinq artistes venus du Cameroun proposent une traversée intime et politique de l’identité postcoloniale, entre mémoire, résistance et énergie picturale.

 

Dans le calme de la rue Quincampoix, au cœur du Marais, la galerie La La Lande vibre d’une intensité singulière. L’exposition “Ces vibrations intérieures”, visible jusqu’au 7 juin 2025, réunit cinq artistes camerounais aux univers puissants : Jean David Nkot, Bekolo Bekolo, Geordan Bouhom, Ernest Dizoumbe Oumarou et Dieudonné Djiela Kamgang. Chacun, avec sa propre grammaire plastique, interroge ce que signifie “vivre dans le sillage du colonial”, dans un monde où les histoires dominantes continuent de faire écran.

Loin d’une exposition homogène ou illustrative, « Ces vibrations intérieures » est une polyphonie visuelle où chaque œuvre agit comme une onde. Les médiums varient, peinture, dessin, installation, techniques mixtes, mais une chose lie ces cinq artistes : l’art comme lieu de secousse, où la couleur, la matière, le corps deviennent outils de questionnement et d’ancrage.

Jean David Nkot : cartographier les corps invisibles

Figure montante de la scène artistique camerounaise, Jean David Nkot travaille sur des portraits de travailleurs, de migrants, de figures marginalisées, qu’il superpose à des cartes géographiques ou à des données socio-économiques. Dans ses toiles exposées ici, le visage est à la fois fragmenté et monumental, pris dans les filets d’une cartographie coloniale et contemporaine.

Ses œuvres sont d’une violence douce, silencieuse mais implacable : elles nous confrontent à la manière dont les corps africains sont localisés, assignés, exploités, tout en les réhumanisant par la précision du trait et la chaleur des textures. Chez Nkot, la peinture devient un espace de justice et de mémoire.

Bekolo Bekolo : entre satire et tragédie

Avec une approche plus figurative et symbolique, Bekolo Bekolo construit un théâtre visuel où les personnages sont à la fois grotesques et tragiques. Inspiré par les contes, les rites et les violences politiques, il développe un univers proche de l’absurde, où les masques tombent et les silhouettes prennent feu.

Ses tableaux, chargés de motifs et de signes, évoquent une Afrique qui regarde l’histoire droit dans les yeux, sans jamais perdre sa capacité de subversion et d’ironie. Un humour noir, incisif, qui sert à démasquer l’ordre établi.

Geordan Bouhom : les flux, les peaux, les frontières

Chez Geordan Bouhom, les corps semblent se dissoudre, s’étirer, se heurter à des lignes abstraites. À travers une série d’œuvres sur papier et de toiles de grand format, l’artiste explore les zones de friction entre le dedans et le dehors, entre l’individu et les forces globales — économiques, migratoires, écologiques.

Ses couleurs sourdes, ses gestes fluides et ses formes semi-abstraites évoquent le déplacement, l’exil, mais aussi l’adaptation et la transformation. Il y a du déracinement et du renouveau dans chaque geste.

Ernest Dizoumbe Oumarou : le feu, le charbon, la vie

Artiste de la matière, Ernest Dizoumbe Oumarou peint, gratte, brûle, sculpte ses toiles comme un artisan politique. Inspiré par les récits ouvriers, par la terre, le feu, le charbon, il propose une œuvre brute, presque tellurique, où l’énergie vitale affleure à chaque couche.

Ses œuvres parlent d’économie, d’extraction, de labeur — mais aussi de spiritualité et de résilience. Un art physique, vibrant, charnel, qui donne une présence presque tangible à des vies trop souvent invisibles.

Dieudonné Djiela Kamgang : visions intérieures

Enfin, Dieudonné Djiela Kamgang plonge dans l’imaginaire personnel, les souvenirs d’enfance, les hallucinations visuelles du quotidien. Son travail est moins frontal, plus onirique, mais non moins politique. Il nous invite à écouter nos propres “vibrations intérieures” : les peurs, les désirs, les vertiges.

Son art est fait de couleurs mouvantes, de visages flous, de fragments narratifs. Un travail de réconciliation entre soi et son héritage, entre mémoire familiale et chaos global.

“Ces vibrations intérieures” n’est pas une exposition sur l’Afrique. C’est une exposition avec l’Afrique, depuis l’Afrique, mais aussi dans Paris, dans nos regards, nos héritages communs. Elle parle à tous ceux qui cherchent à comprendre comment l’histoire se loge dans les gestes artistiques, comment elle se transmet à travers les corps et les matières.

Infos pratiques :

Exposition « Ces vibrations intérieures »
Dates : jusqu’au 7 juin 2025
Lieu : Galerie La La Lande, 56 rue Quincampoix, 75004 Paris
Entrée libre
Dans le cadre du parcours Traversées Africaines 2025

KuKu & Mamady Diabaté : la kora rencontre le blues, le 30 mai à La Bellevilloise

Un duo inclassable, une rencontre entre les racines africaines et l’héritage afro-américain : KuKu et Mamady Diabaté seront en concert le vendredi 30 mai à 20h à La Bellevilloise. Un voyage musical intense, entre douleur, lumière et espoir.

Il y a des soirées où l’on ne va pas écouter un concert. On va écouter une histoire. Vendredi 30 mai, à La Bellevilloise, ce sera l’histoire de deux continents, de deux âmes, de deux formes de résistance. KuKu, chanteur nigérian élevé aux États-Unis, et Mamady Diabaté, koraïste malien issu d’une lignée de griots, proposeront un dialogue rare entre le blues américain et la tradition mandingue, entre voix écorchée et cordes célestes. Une soirée pour qui cherche dans la musique autre chose qu’un simple divertissement : une résonance.

KuKu, c’est la voix d’un déraciné. Né au Nigeria, grandi dans le New Jersey, il porte dans ses chansons les cicatrices de l’exil, de la mémoire coloniale et de l’identité noire fragmentée. Son timbre rauque, habité, évoque parfois Richie Havens ou Ben Harper. Il chante en anglais, en yoruba, parfois en français, et chaque mot semble trempé dans l’urgence.

Mamady Diabaté, lui, est un griot contemporain. Frère du célèbre Toumani Diabaté, il manie la kora, cette harpe-luth emblématique de l’Afrique de l’Ouest, avec une finesse hypnotique. Son jeu est fluide, élégant, presque méditatif.

Les deux artistes se sont rencontrés à Paris, presque par hasard. Mais entre eux, l’évidence musicale a été immédiate. Depuis, ils enchaînent les scènes intimistes, loin des projecteurs du mainstream, mais proches de ceux qui écoutent vraiment.

La Bellevilloise (Paris 20ᵉ), ce lieu culturel emblématique, ancré dans une histoire ouvrière et populaire, est devenu au fil des ans un refuge pour les musiques qui ne rentrent dans aucune case. Blues malien, folk yoruba, gospel soufi ? Les genres s’effacent, et c’est tant mieux. Ce 30 mai, à 20h, la salle vibrera d’une musique sans frontière, sans compromis.

Le concert s’annonce intimiste, mais puissant. KuKu, souvent assis, guitare sur les genoux, murmure ses plaintes avec une intensité déconcertante. Mamady, debout, concentré, laisse filer les notes de kora comme un chuchotement divin. Ensemble, ils construisent un espace sonore suspendu entre ciel et terre.

La force du duo réside dans sa capacité à faire coexister la douleur et la lumière. Les chansons de KuKu parlent de larmes, d’injustice, de solitude. Mais elles ne sombrent jamais dans le désespoir. La kora de Mamady semble tisser une toile d’apaisement, presque de réconciliation. À eux deux, ils évoquent la colère douce, celle qui ne crie pas mais insiste.

On entendra sans doute des titres issus de leur répertoire commun : « So Far, So Near », « Juju Prayer », « Aye ». Des morceaux dépouillés, dépaysants, profondément habités. La parole y circule librement, souvent improvisée. L’émotion prime sur la virtuosité. La sincérité sur le style.

Infos pratiques : Date : vendredi 30 mai 2025
Heure : 20h
Lieu : La Bellevilloise, 19-21 rue Boyer, Paris 20ᵉ
Tarifs : autour de 15 € (à vérifier sur le site officiel)

Billetterie en ligne ou sur place dans la limite des places disponibles.

Musiques Métisses 2025 : Angoulême célèbre la diversité sonore du 5 au 7 juin

Le Festival Musiques Métisses revient du 5 au 7 juin à Angoulême pour une 49e édition éclectique et festive. Point d’orgue de cette année, le concert tant attendu du Cesária Évora Orchestra, le 6 juin au soir. 

C’est l’un des plus anciens festivals français dédiés aux musiques du monde, et l’un des plus respectés pour son engagement en faveur de la diversité culturelle. Du 5 au 7 juin, Angoulême vibrera au rythme de Musiques Métisses, événement pionnier dans la défense des sonorités métissées, des voix engagées et des rythmes en mouvement. À une époque où l’uniformisation musicale menace l’inspiration, ce festival reste un lieu de rencontre, d’écoute et de réinvention.

Né en 1976, le Festival Musiques Métisses a vu passer les plus grandes figures des musiques africaines, créoles, caribéennes et sud-américaines : Manu Dibango, Rokia Traoré, Amadou & Mariam, Cesária Évora elle-même… C’est dire si la présence cette année du Cesária Évora Orchestra, hommage vibrant à la diva cap-verdienne disparue en 2011, prend une dimension particulière. Ce concert événement aura lieu le vendredi 6 juin à 21h, sur la grande scène.

Mais Musiques Métisses, ce n’est pas seulement des têtes d’affiche : c’est une philosophie. Celle de célébrer le croisement des cultures, d’ouvrir les oreilles et les imaginaires, de mêler les traditions aux innovations. On y vient autant pour danser que pour réfléchir, pour découvrir que pour retrouver.

Le point culminant de cette édition 2025 sera donc sans aucun doute la venue du Cesária Évora Orchestra, un collectif international composé d’anciens musiciens de la diva cap-verdienne, mais aussi de jeunes artistes influencés par son héritage. Ensemble, ils redonnent vie aux mornas, coladeiras et autres rythmes chaloupés de l’archipel, dans des arrangements à la fois respectueux et modernes.

La chanteuse mozambicaine Elida Almeida, souvent comparée à Cesária pour la profondeur de sa voix et sa grâce scénique, prêtera sa voix à ce projet. C’est donc à la fois un hommage vivant, et une transmission, une manière de montrer que la saudade cap-verdienne continue de vibrer bien au-delà des frontières insulaires.

Mais le festival ne se limite pas à ce concert phare. La programmation 2025 se veut comme toujours ouverte et défricheuse, avec des artistes venus du Brésil, du Mali, d’Algérie, d’Haïti, ou encore de la diaspora urbaine européenne. Parmi les autres noms annoncés :

Bab L’Bluz (Maroc/France) et leur rock gnawa psychédélique.
Lass (Sénégal) pour un afro-pop électrisant.
Luciane Dom (Brésil), nouvelle voix de la samba-jazz.
Moonlight Benjamin (Haïti/France), puissante prêtresse du blues vaudou.

En parallèle, le festival propose lectures musicales, rencontres littéraires, projections documentaires, ainsi qu’un espace jeune public et un village associatif. Musiques Métisses, fidèle à son nom, défend depuis toujours une approche transversale des cultures, mêlant art, mémoire, engagement et plaisir collectif.

Situé dans le centre historique d’Angoulême, entre remparts, places arborées et vieux pavés, le site du festival est aussi ce qui fait sa singularité. L’ambiance y est familiale, festive, chaleureuse, loin des festivals gigantesques où l’on s’épuise à courir d’une scène à l’autre.

Tout est pensé pour l’accessibilité : pass à prix doux, concerts en plein air, restauration du monde, ateliers participatifs. Que vous soyez en solo, en famille, entre amis ou même de passage, le festival vous tend les bras.

Infos pratiques :

Dates : du jeudi 5 au samedi 7 juin 2025
Lieu : Angoulême, différents sites autour du centre-ville
Concert phare : Cesária Évora Orchestra – vendredi 6 juin à 21h
Tarifs : pass journée ou 3 jours à prix accessible (réductions pour jeunes et familles)
Billetterie en ligne : musiques-metisses.com
Accès facile depuis Paris (2h10 en train direct)

Jakkar à La Bellevilloise : l’afro-fusion en pleine ascension le jeudi 5 juin

Le groupe Jakkar, étoile montante de l’afro-fusion, investira La Bellevilloise le jeudi 5 juin à 20h. Porté par des musiciens cosmopolites, leur son mêle énergie live, racines africaines et rythmes globaux. Un concert à ne pas manquer.

Un nom à retenir, un son à vivre. Jakkar, qui signifie « se rencontrer » en wolof, est une confluence musicale, une passerelle entre les cultures africaines et les influences contemporaines du monde entier. Le 5 juin, à La Bellevilloise, le public parisien pourra découvrir en live ce projet incandescent qui mêle afrobeat, jazz, hip-hop, musique mandingue et électro, dans une fusion inventive et organique.

Depuis quelques années, la scène parisienne vit une véritable effervescence afro. De nombreux jeunes artistes, souvent issus de la diaspora ou en lien direct avec les musiques traditionnelles du continent, explorent de nouvelles formes, décloisonnent les genres, s’emparent de la scène avec une fraîcheur irrésistible. Jakkar fait clairement partie de cette génération nouvelle qui veut jouer sans frontières et parler à tous.

Le groupe, né à Paris mais composé de musiciens d’origines diverses (Sénégal, Bénin, Côte d’Ivoire, France), incarne cette hybridation féconde. Leur credo : faire danser, penser et faire vibrer.

Ce qui frappe dès les premières notes, c’est la cohérence sonore de Jakkar. Là où d’autres projets afro-fusion tombent parfois dans le patchwork ou le pastiche, Jakkar tisse une esthétique claire, dense, ancrée dans une rythmique africaine solide, portée par des percussions vivantes, des lignes de basse puissantes, des cuivres précis et une voix lead qui passe sans forcer du wolof à l’anglais, du chant au spoken word.

Leur musique ne cherche pas à « représenter » un continent : elle parle d’un monde connecté. Leurs textes abordent des thématiques très actuelles : migration, écologie, mémoire, identité, mais toujours avec une énergie positive, un souffle de fête qui transforme chaque concert en rituel joyeux.

C’est en concert que Jakkar prend toute sa dimension. Sur scène, les musiciens font preuve d’un engagement total. Les arrangements s’étirent, s’enflamment, la section rythmique entre en transe, les solos se libèrent. Le public est constamment sollicité, invité à participer, à répondre et à bouger.

Ce concert du 5 juin à La Bellevilloise, l’une des scènes les plus vivantes de l’Est parisien, s’annonce comme un moment de communion musicale. Dans cette salle qui a vu défiler les plus belles voix alternatives du monde, Jakkar viendra affirmer sa place dans la nouvelle cartographie des musiques afro-urbaines.

Jakkar n’a pas encore sorti d’album complet, mais leurs EPs, singles et live sessions circulent déjà avec succès sur les plateformes. Ils ont été repérés dans plusieurs festivals (Afropunk, Paris Jazz Roots), et leur nom circule de plus en plus chez les programmateurs curieux.

Cette soirée du 5 juin est donc aussi un moment charnière dans leur trajectoire : un passage de témoin entre la scène émergente et le grand public. Il y aura de nouveaux titres, des invités surprises, des hommages à Fela, à Cheikh Lô, mais aussi des improvisations nourries de trap, de funk, de dub.

Infos pratiques :

  • Date : jeudi 5 juin 2025
  • Heure : 20h
  • Lieu : La Bellevilloise, 19-21 rue Boyer, Paris 20ᵉ (Halle aux Oliviers)
  • Tarif : gratuit (consommation ou dîner sur place possibles)
  • Réservation conseillée sur com

Jakkar, c’est l’Afrique urbaine, ouverte, métissée, dansante. C’est une musique qui fait le lien entre les racines et le futur, entre le tambour et la machine. Ce 5 juin, venez les découvrir avant qu’ils ne remplissent les grandes scènes.

 

 Ada Omo Daddy, une comédie dramatique nigériane à voir sur Netflix

Avec Ada Omo Daddy, le cinéma nigérian livre une fresque familiale sensible et rythmée, entre humour, émotions et révélations. Porté par un casting prestigieux, ce film est un joli succès de Nollywood récemment disponible sur Netflix.

La scène s’ouvre sur un mariage en préparation, entre tradition, pression sociale et tensions silencieuses. Mais très vite, l’intrigue bascule, les sourires forcés, les regards évités et les gestes retenus dessinent un tableau plus complexe qu’il n’y paraît. Bienvenue dans Ada Omo Daddy, une comédie dramatique nigériane qui explore les coulisses d’une famille en apparence unie, mais minée par les secrets, les blessures anciennes et les amours contrariés.

Sorti en salle au Nigeria fin 2023 et désormais disponible sur Netflix, le film a conquis un large public, aussi bien au Nigeria que dans la diaspora. À la croisée du drame social, de la comédie romantique et du portrait de famille, Ada Omo Daddy brille par la justesse de ses dialogues, la force de ses interprètes et la finesse de son observation des rapports humains.

Réalisé par Biodun Stephen, l’un des noms les plus respectés du cinéma nigérian contemporain, Ada Omo Daddy s’inscrit dans la tradition des films de Nollywood qui mêlent divertissement populaire et regard critique sur la société. Le récit suit Ada, une jeune femme brillante et déterminée, sur le point de se marier. Mais le jour de la célébration, une vérité longtemps enfouie remonte à la surface et fait voler en éclats les certitudes de chacun.

L’intrigue, construite autour d’un secret de paternité et des non-dits intergénérationnels, s’articule en plusieurs strates. La tension dramatique monte progressivement, mais toujours contrebalancée par des scènes cocasses, des dialogues savoureux et une galerie de personnages hauts en couleur. Les questions abordées : l’identité, la loyauté, le pardon, la pression familiale, les rôles genrés dans les sociétés africaines contemporaines.

Le film repose aussi sur une distribution exceptionnelle, réunissant des figures emblématiques de Nollywood et des jeunes talents prometteurs. Omowunmi Dada incarne Ada avec intensité et subtilité. Son jeu oscille entre colère rentrée, fragilité, humour et force intérieure.

À ses côtés, on retrouve notamment :

Tayo Faniran, dans le rôle du fiancé tiraillé entre deux mondes.

Norbert Young et Carol King, dans des rôles parentaux complexes et touchants.
Seyi Awolowo, Deyemi Okanlawon, Bimbo Akintola : chacun apporte relief et nuance à cette fresque chorale.

L’alchimie entre les acteurs fonctionne parfaitement, et certaines scènes de confrontation ou de confession sont d’une rare intensité, portées par une direction d’acteurs précise et des dialogues bien écrits.

Visuellement, Ada Omo Daddy se distingue par une mise en scène sobre mais soignée. La photographie capte les couleurs chaudes des intérieurs nigérians, les tissus chatoyants des cérémonies, les silences lourds des repas en famille. Le montage fluide donne du rythme à l’ensemble, alternant flashbacks, scènes dialoguées et séquences musicales.

La musique, essentielle dans le cinéma nigérian, accompagne les émotions sans les surligner. On y entend des morceaux de soul afro, de highlife contemporain, mais aussi quelques touches d’électro-pop urbaine, qui ancrent le film dans une modernité culturelle vivante.

Ada Omo Daddy s’inscrit dans une dynamique plus large : celle d’un renouveau de Nollywood, qui affirme de plus en plus son ambition artistique tout en conservant une accessibilité grand public. Le succès du film sur Netflix témoigne d’un intérêt croissant pour les récits africains authentiques, portés par des voix locales et racontés avec nuance.

Avec ce film, Biodun Stephen confirme son talent pour raconter l’intime, l’indicible, le familial, toujours avec une touche d’humour et une grande humanité.

 

 

 

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La dramatique fermeture record des écoles en Afrique https://mondafrique.com/societe/la-fermeture-record-des-ecoles-en-afrique-de-louest-et-du-centre/ Tue, 10 Sep 2024 00:49:10 +0000 https://mondafrique.com/?p=117850 Plus de 14 000 écoles sont actuellement fermées à cause de l’insécurité en Afrique de l’Ouest et centrale, déplore lundi le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC). Des centaines de milliers d’enfants dans la région se voient ainsi privés de leur droit à l’éducation. « L’éducation est en état de siège en Afrique de l’Ouest […]

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Plus de 14 000 écoles sont actuellement fermées à cause de l’insécurité en Afrique de l’Ouest et centrale, déplore lundi le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC). Des centaines de milliers d’enfants dans la région se voient ainsi privés de leur droit à l’éducation.

« L’éducation est en état de siège en Afrique de l’Ouest et centrale. Le ciblage délibéré des écoles et le déni systémique de l’éducation en raison des conflits ne sont rien de moins qu’une catastrophe. Chaque jour où un enfant n’est pas scolarisé est un jour volé à son avenir et à celui de sa communauté », a déclaré Hassane Hamadou, directeur régional du NRC pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre. « Nous appelons d’urgence toutes les parties au conflit à cesser les attaques et l’occupation des écoles et à veiller à ce que l’éducation soit protégée et considérée comme une priorité. »

Le Sahel est particulièrement concerné, notamment le Burkina Faso et au Mali, où les écoles sont ciblées par des groupes armés djihadistes, ainsi que le Cameroun et la République démocratique du Congo (RDC), en proie à des rébellions.

Au Cameroun, les effets cumulés de trois crises humanitaires simultanées ont entraîné 1,4 million d’enfants en âge d’être scolarisés dans un besoin urgent d’aide à l’éducation en 2023. En RDC, la violence et les tensions intercommunautaires ont conduit à la fermeture de 1 457 écoles depuis le début de l’année 2024, affectant plus de 500 000 élèves et 12 700 enseignants. Des groupes armés continuent d’occuper des bâtiments scolaires, les utilisant à des fins militaires et perturbant davantage l’éducation. 

Des progrès au Mali, au Burkina Faso et en République centrafricaine

Toutefois, au Mali et en République centrafricaine (RCA), le nombre d’attaques contre l’éducation a diminué entre 2022 et 2023, en raison de la baisse de la violence dans certaines régions de ces pays. Au Burkina Faso, environ 1 300 écoles ont rouvert cette année dans plusieurs zones contrôlées par le gouvernement, permettant à des milliers d’enfants de retourner en classe.

« La réouverture des écoles au Burkina Faso et la diminution des attaques contre l’éducation au Mali et en République centrafricaine montrent que des progrès sont possibles », a déclaré M. Hamadou. « Nous devons poursuivre sur cette lancée pour que tous les enfants aient accès à une éducation de qualité, sûre et inclusive. »

Les attaques incessantes contre l’éducation et les fermetures d’écoles qui en résultent ont des conséquences considérables, en termes de droits pour les enfants mais aussi en termes de développement socio-économique pour les pays. Les filles sont exposées à des risques accrus de mariage forcé et d’exploitation et les garçons au recrutement par des groupes armés. 

Dans 24 pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre, plus de 14 364 écoles ont fermé en raison de la violence armée, en hausse par rapport à 2023, rapporte le Groupe de travail sur l’éducation en situation d’urgence pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre. 

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