Le formidable patrimoine musical en Afrique de 1300 à 1650

Les études des musicologues ont longtemps considéré la musique africaine comme une forme d’art rudimentaire ou, au pire, inexistante, sans histoire ni sources. Ce qui ne s’écrit pas ne s’entendait pas.  Or des études ont pu démontrer récemment la richesse d’un patrimoine musical multiforme en Afrique, mais aussi le rôle actif des Africains dans le développement et le façonnement des pratiques et cultures musicales sur d’autres continents.

L’année dernière, un colloque  était organisé à Tours sur « la musique en Afrique et sa  diffusion dans le monde à l’époque moderne (1300-1650) » avec le concours de Camilla Cavicchi qui enseigne à l’Université de Padouede, Janie Cole, Associate Lecturer à l’Université de Cape Town en Afrique du Sud, et Philippe Vendrix, qui dirige le programme de recherche Ricercar au CNRS. 

Un entretien d’Alexandre Vanautgaerden, historien et historien d’art, avec Camilia Cavicchi

Représentation de tambours africains dans l’ouvrage de Filippo Bonanni, Gabinetto Armonico, Rome, Giorgio Placho, 1723, pl. 78. Milan, Bibliothèque Braidense.

Camilla Cavicchi insiste sur les les rites et coutumes cérémonielles que l’on trouve dans les récits, par exemple, ceux du diplomate et juriste arabe, Hasan ben Mohammed al-Zaiyati. Fait prisonnier par des pirates chrétiens et remis au pape Léon X à Rome en 1517, il se convertit au christianisme et prend le nom de Léon l’Africain. Il opère ensuite comme ambassadeur et médiateur entre les mondes chrétien et arabe.

Dans sa Description de l’Afrique (écrite entre 1523 et 1526), il nous relate une cérémonie funéraire dans l’ancienne ville impériale de Fès au Maroc, où il a vécu: « Lorsque les femmes portent le deuil de leur mari, père, mère ou frère, elles se rassemblent et, après s’être dépouillées de leurs vêtements, elles enfilent de grands sacs. Enlèvent leurs vêtements, se frottent le visage avec, puis font venir à eux ces méchants hommes en habits de femme, qui portent certains tambours carrés : lorsqu’ils en jouent, ils chantent soudain des vers tristes et larmoyants à la louange du mort, et à la fin de chaque vers, les femmes pleurent à haute voix, et se frappent la poitrine et les joues, de sorte qu’une grande quantité de sang s’écoule. Et elles se déchirent les cheveux, tout en pleurant et en criant fort. Cette coutume dure sept jours ; puis ils s’interrompent pendant quarante jours, pendant lesquels lesdits pleurs sont répétés pendant trois autres jours continus. Et tel est l’usage courant du peuple. Les plus honnêtes hommes pleurent sans coup férir ; leurs amis Leurs amis viennent les réconforter, et tous leurs proches parents leur envoient des cadeaux de nourriture, car dans la maison des morts, tant qu’il y a un corps, il n’est pas coutume de cuisiner, et les femmes n’ont pas l’habitude d’accompagner les morts, même s’il s’agit de pères ou de frères. »

Si ce récit à Fès n’est pas sans évoquer l’extraordinaire passage homérique de la complainte pour la mort d’Hector dans l’Iliade (XXIV, 710-723), les ethno-musicologues ou historiens y repèrent d’abord la présence de ces musiciens en tenue féminine et l’utilisation du tambourin carré.

L’observation des oeuvres d’art

Pour tenter de raconter cette histoire globale qui intègre la musique du continent africain, une autre source importante pour Camilla Cavicchi  est l’observation des œuvres d’art. Ce tambourin carré se retrouve, notamment, représenté sur les peintures du plafond en bois réalisées par des artisans arabes vers 1150 après J.-C. dans la chapelle palatine de Palerme (ill. 2). Le batteur y  joue avec d’autres musiciens la musique d’al-janna, le paradis décrit par le Coran.

Musicien avec un tabourin carré sur le plafond en bois peint. Palerme, chapelle palatine, entre 1131-1140. Soutenu par les pouces des deux mains et joué avec les doigts des deux mains en tapotant la membrane sur les bords du cadre, l’instrument représenté dans la chapelle palatine présente des similitudes avec les deff nord-africains habituels, comme sa forme et l’utilisation de décorations cordiformes au henné.

Les Africains n’ont d’ailleurs pas manqué de représenter leurs musiciens et leurs instruments, tel ce très beau joueur de cor de la garde royale de l’Oba du Bénin (ill. 3), datant de la fin du XVIe siècle, conservé non au Bénin mais à Londres au British Museum. Nous reviendrons prochainement sur cette problématique du « déplacement » des œuvres d’art, dans une série d’articles traitant du thème de la restitution. Symboliquement, cette œuvre béninoise a été choisie pour illustrer l’affiche du colloque (ill. 4).

 

Joueur de cor de la garde royale de l’Oba du Bénin, fin XVIe siècle environ. Londres, British Museum, n. Af1949,46.156. Photo © The British Museum, Londres, Dist. RMN-Grand Palais / The Trustees of the British Museum.
Affiche du colloque La musique en Afrique et sa  diffusion dans le monde à l’époque moderne (1300-1650) Centre d’études supérieures de la Renaissance, Tours (France) 27 juin-1er juillet 2022.

Les récits de voyage

Camilla Cavicchi attire ensuite notre attention sur une autre source très étudiée actuellement : la lecture des chroniques et journaux de voyage. Un groupe de recherche à l’Université de Padoue se concentre d’ailleurs sur l’étude de ces récits riches en notation pour cette nouvelle histoire de la musique, depuis Christophe Colomb jusqu’à Darwin.

Ce colloque de Tours va alterner des sessions consacrées à des zones géographiques en Afrique  et à la thématique des influences de l’Afrique en Europe, avec des tables rondes dont l’une sur la décolonisation, ainsi qu’un atelier d’interprétation musicale historique.

On terminera par un regret. S’il est remarquable que les organisateur et organisatrices se soient démenés pour trouver les financements permettant à tous les intervenants de se rencontrer en France, il est regrettable que les problèmes récurrents de visas, ou de vaccin et pour finir l’augmentation des prix des vols en raison de la guerre en Ukraine empêchent la majorité des chercheurs africains d’être présents en France, les obligeant d’intervenir via Zoom, les privant ainsi du fruit des discussions informelles qui, on le sait, font le plus avancer la recherche.

 

RENSEIGNEMENTS PRATIQUES

Ce colloque international réunit 45 intervenants d’Europe, d’Afrique et d’Amérique. L’inscription est gratuite, mais obligatoire.

Le colloque se tiendra en format hybride en présentiel au Centre d’études supérieures de la Renaissance et en distanciel via Zoom. La séance inaugurale sera retransmise en direct sur Youtube.

Tous les renseignements, le programme et le lien de connexion peuvent être consultés à l’adresse suivante : https://cesr-cieh2022.sciencesconf.org/

LE LIEU

 Le Centre d’études supérieures de la Renaissance

59, rue Néricault-Destouches BP 12050 37020 TOURS Cedex 1

LES ORGANISATEURS

Camilla Cavicchi, Università degli Studi di Padova

Janie Cole, University of Cape Town, South African College of Music

Philippe Vendrix, CNRS-CESR, Tours

 

CONTACT

Marie Laure Masquilier : masquilier[at]univ-tours.fr

POUR ALLER PLUS LOIN

 

Roberto Leydi, L’altra musica, Giunti-Ricordi, 1991.

Nathalie Zemon Davies, Léon l’Africain : un voyageur entre deux mondes, 2014.

Camilla Cavicci, « Lamentazioni d’effimenti nella Fez del Cinquecento », 2007 (https://www.academia.edu/2325679/Lamentazioni_deffeminati_nella_Fez_del_Cinquecento).

David RM Irving, “Rethinking Early Modern ‘Western Art Music’: A Global History Manifesto”, IMS Musicological Brainfood, 2009, 3 (1): 6-10. (https://www.icrea.cat/en/Web/ScientificStaff/davidrmirving/selected-publications#researcher-nav).

Janie Cole, project “Re-Centring AfroAsia: Musical and Human Migrations in the Pre-Colonial Period 700-1500 AD” (www.afroasia.uct.ac.za).

Philippe Vendrix, projet Ricercar (https://ricercar.cesr.univ-tours.fr/).

Projet de recherche Traveling Diaries from Cristoforo Colombo to Charles Darwin: Identità musicali di popoli senza note nei racconti di viaggio (https://www.research.unipd.it/handle/11577/3350466?mode=full.973).