La disparition d’André Guelfi, seigneur et escroc

Né à Mazagan (Maroc) en 1919, il avait d’abord fait fortune dans la pêche industrielle au large du Maroc et de la Mauritanie, avant de devenir l’un des principaux entremetteurs français. 

André Guelfi a toujours détesté son surnom de « Dédé la sardine », hérité des années 50, lorsqu’il mettait au point les premiers bateaux-usines, qui congelaient vivantes les sardines pêchées sur les côtes de Mauritanie. Il est mort discrètement à Malte le 28 juin dernier, et non à Saint-Barthélemy, comme l’annonce la presse. Il a été enterré à Paris cette semaine. J’avais été le dernier journaliste à recueillir ses confidences en décembre 2013. Très amer, il n’en finissait pas de dénoncer son ancien associé, Bernard Tapie. « Je l’ai aidé, je ne cesse de le regretter. Tapie n’a aucune morale, aucune reconnaissance », lâchait-il.

La presse n’a découvert son existence qu’en 1997, lorsqu’André Guelfi est jeté en prison par la juge Eva Joly dans l’affaire Elf. Elle lui reproche des commissions trop copieuses. A l’époque, personne ne se demande pourquoi un pays comme la France se sert d’une société gérant une… scierie installée dans la principauté du Liechtenstein, appartenant à André Guelfi, pour faire transiter des centaines de millions de francs.

Ce Corse, né au Maroc le 6 mai 1919, a pourtant eu mille vies avant le dossier Elf, et il a déjà rendu de multiples “services“, notamment lorsqu’il travaille en 1943 pour le Bureau central de renseignements et d’action (BCRA) à Alger, un service secret créé par le général de Gaulle.

La paternité des JO de 1980  

Après un passage dans les commandos en Indochine, André Guelfi revient au Maroc et s’illustre dans les courses automobiles, remportant le Grand Prix d’Agadir en 1953. Il participe aussi aux 24 heures du Mans. Marié à une nièce de Georges Pompidou, il se lance, après l’indépendance du Maroc, dans l’immobilier à Paris, achetant des immeubles comme d’autres des boîtes de petits pois.

L’aventurier s’établit ensuite à Lausanne, en Suisse, en 1975 et refait fortune dans le sport-business. Avec son complice, Juan Antonio Samaranch, le président du CIO, il permet à Moscou d’organiser les JO de 1980, malgré l’opposition américaine. Depuis, les Russes lui devaient une reconnaissance éternelle.

L’un de ses avocats m’avait confié un jour : « Le problème avec André, c’est qu’il fait de l’abus de biens sociaux sans le savoir ». A la fois roublard et naïf, il était capable de vous raconter au restaurant sa prochaine opération, qui franchissait allègrement la ligne jaune. Alors que j’ignorai jusqu’à l’existence de Sotchi, sur la mer Noire, il m’avait appris, avant tout le monde, que cette ville organiserait les Jeux d’hiver ! André Guelfi m’avait également révélé que Paris se ferait souffler les jeux par Londres…

La ville de Moscou, éliminée au premier tour, vendrait ses voix à l’Espagne, qui, éliminée au second tour, négocierait ses suffrages avec les Britanniques. Certes, il était plutôt bien placé pour le savoir : André Guelfi était, en particulier, chargé de “convaincre“ les électeurs africains et sud-américains du CIO.

Ne pas couper l’eau

Mais “Dédé“ n’appelait pas cela de la corruption. Pour lui, le meilleur des choix ne méritait-il pas d’être défendu, quel que soient les moyens ? A l’âge où d’autres vont lentement de leur lit au fauteuil, il pilotait lui-même son avion. Furieux que les Suisses aient pu collaborer avec la justice française – et bloquer ses comptes en banque – dans l’affaire Elf, l’ancien pêcheur de sardines s’était installé à Malte à la fin des années 90. C’est effectivement en prison, à la Santé, qu’André Guelfi avait sympathisé avec un autre détenu, Bernard Tapie, compromis dans le match truqué OM-Valenciennes. L’ancien ministre est alors au fond du trou et totalement fauché. “Dédé“ décide de le salarier au hauteur de 50 000 francs par mois (7 600 euros), et autant en note de frais.

A plusieurs reprises, André Guelfi nous confiera que Bernard Tapie était totalement incompétent. Ne parlant aucune langue étrangère, il ne lui avait jamais permis de signer le moindre contrat. Mais une parole étant une parole, il lui versera au total 14 millions d’euros. De son côté, l’ancien président de l’OM promet de partager avec André Guelfi « les bénéfices escomptés d’un procès intenté au Crédit lyonnais » sur l’affaire de la vente d’Adidas. Bien évidemment, quand “Nanard“ perçoit 403 millions d’euros en juillet 2008, il se garde bien de tenir parole. « Tu n’es qu’un vieux fou, je ne te donnerai jamais un centime », lui lance-t-il.

 

André Guelfi est mort le 28 juin 2016.Il venait de fêter ses 97 ans. En 1999, il avait signé une autobiographie intitulée L’Original : d’un village marocain aux secrets de l’affaire Elf. Le parcours d’un aventurier de la vie, chez Robert Laffont.