Les mille et unes vies d’un djihadiste mauritanien

Cet article est paru sur le site mauritanien Tahalil le 3 janvier 2016

Tueur, repenti, jeune père de famille, agitateur professionnel et, voici cinq jours, évadé de la prison de Nouakchott. Voilà le parcours acrobatique du djihadiste mauritanien Saleck Ould Cheikh.

Cinq jours se sont écoulés depuis que Saleck Ould Cheikh s’est évadé de la prison civile de Nouakchott dans des circonstances inconnues. A-t-il creusé un tunnel ? Est-il sorti déguisé en garde ou habillé en femme comme les trois salafistes évadés de la même prison en 2006 ? A-t-il bénéficié d’une quelconque complicité ?

L’enquête n’a pour l’instant levé aucune de ces inconnues. Interpelé dans la forêt de Feita (Brakna) le 5 février 2011, Saleck Ould Cheikh faisait partie d’une caravane de trois Land Cruiser, dont deux piégés, envoyés par Al-Qaida au Maghreb Islamique (Aqmi)  pour commettre des attentats à Nouakchott déjoués par l’armée mauritanienne. Le véhicule qui le transportait en compagnie du mauritanien Zoubeir désigné kamikaze de l’opération et du guinéen Galissa, s’est enlisé dans le sable dans la région de Rkiz (Trarza)  dans la nuit du 2 février à l’approche d’une patrouille de l’armée. Galissa sera aussitôt arrêté tandis que Saleck Ould Cheikh et Zoubeir tenteront de regagner la commune de Podor dans le nord du Sénégal. Dans leur cavale qui a duré  3 jours, un gendarme qui a eu la malchance de les croiser fut tué dit-on, par Zoubeir, lequel, aurait par la suite préféré se donner la mort plutôt que de se rendre aux militaires mauritaniens qui avaient débusqué les deux fugitifs.

Saleck Ould Cheikh se rend les mains en l’air. Cette image probablement filmée par les militaires a fait le tour de la toile. Quelques jours après, le 9 février, il se repend sur la Télé publique et dit regretter ces actes de violence qui peuvent affecter des musulmans innocents. Il appelle par ailleurs les jeunes recrues des groupes armés au Nord-Mali à déposer les armes et à regagner le pays sans crainte. Condamné à mort sans pour autant risquer de se retrouver face au peloton d’exécution (la Mauritanie applique en effet un moratoire depuis 1987), Saleck Ould Cheikh s’est marié en prison et a eu un enfant âgé aujourd’hui de 10 mois.  Il est régulièrement cité comme responsable dans les mutineries qui secouent la prison civile de Nouakchott et particulièrement dans la prise en otage d’un garde en janvier 2015. En mars dernier il a envoyé une lettre publiée dans des medias annonçant qu’il entamait une grêve de la faim car il aurait été torturé par des gardes pénitenciers.

Qui est-il ?

De petite taille, trapu, teint basané, niveau secondaire, ce  jeune habitant du quartier de Ksar à Nouakchott originaire d’Atar est né en 1984. Il  s’est radicalisé en 2006 au contact de certains  prédicateurs  dont Abou Aymane, un mauritanien tué en Algérie en 2009. Assidu aux prières à la Mosquée d’El Boukhary et aux prêches d’Al-Majlissi, il avait ouvert en 2007 une échoppe au marché de Ksar où il vendait les sermons salafistes de Ben Laden,  Hafidh Dawsari, Bandar Leteybi et d’autres. La bicoque propagandiste  a été fermée par les autorités la même année. Début 2008, une enquête indique qu’il s’est rendu en mission à Dakar pour le compte d’un élément du trio responsable en décembre 2007 du meurtre de touristes français à Aleg, quelques jours avant  leur interpellation en Guinée Buissau. Il ne figurait cependant pas parmi les nombreux prévenus  arrêtés suite  au meurtre des touristes français et au démantèlement de l’organisation «Ansar Allah», en avril 2008.

C’est de la Mauritanie  qu’il est reparti au Nord-Mali en janvier 2009 dans un bus de la Sonef. Ce bus transportait également deux éléments de la cellule qui s’apprêtaient à assassiner l’américain Christopher Legett en juillet 2009. Ould Cheikh intègre « Seriyat El Fourghane » puis la katiba « El Moulthemoune » . Il mène des missions de repérage en Mauritanie et participe à des accrochages avec l’armée malienne  notamment à El Wasre. Par la suite, il a rompu avec Aqmi et s’est installé une bonne partie de l’année 2009 et presque toute l’année 2010 entre le Sénégal et la Guinée Bissau. C’est en novembre 2010 qu’il a de nouveau regagné les camps d’Aqmi dans la région du Tegharghar au Mali. L’organisation laminée par les raids répétitifs de l’Armée mauritanienne en  territoire malien trois années avant Serval et Barkhane envisageait de mener une action d’éclat à Nouakchott. L’idée de s’attaquer au Président Aziz envisagée en juillet  2010 a cependnant été vite délaissée.

Belmokhtar et Nabil Abou Alghama ont alors opté pour deux cibles : la Direction Générale de la Sureté et l’Ambassade de France. Deux missions de reconnaissance ont été envoyées à cet effet en septembre 2010. Les services mauritaniens étaient au parfum du projet et le suivaient de prés depuis l’achat à Gao de la cargaison de  nitrate d’ammonium qui a servi à piéger les véhicules destinés à la mission. Le 24 janvier 2011  les voitures  entament un vrai «Paris-Dakar» en quittant  la montagne de Tegharghar entre Kidal et Tessalit  en direction de Tabenkort puis Zouiera vers Tombouctou, et  Léré, Nampala,  Djema, Khayes,  Bokodjamé puis  Selibay et Arr. Le convoi emprunte  de pistes longeant Mbout, Lexeiba, Foum Legleita,  Monguel avant de déboucher sur la route Aleg-Boghé et de prendre une piste vers Rkiz. L’une des voitures s’y enlise et son équipage et sa charge explosive  sont  neutralisés. La seconde avance vers Nouakchott  et se fait pulvériser, la troisième rebrousse chemin et se volatilise. Le projet d’ébranler la Mauritanie vole en fumée !

Que va-t-il faire ?

L’évasion de Ould Cheikh après 5 années de détention semble avoir été savamment préparée mais pourrait très mal se terminer. D’abord pour le fugitif, pour sa famille et pour  d’éventuelles cellules dormantes ou en recomposition. Les recherches engagées pour le retrouver le pousseront à adopter deux choix suicidaires : se terrer avec le risque que cela comporte, sinon marcher sur des centaines de kilomètres  en empruntant des pistes  au nord,  à l’est et au sud  censées l’amener au Mali où la situation n’est plus la même qu’en 2011. Et  tout revient en définitive, au programme de l’évasion elle-même, car il est quasi certain qu’il ne s’est pas enfui  pour mener une vie ordinaire et qu’il faudrait donc  bien s’attendre à quelque chose d’extraordinaire.