Saïd, le régent de Zéralda (III épisode)

Dans le troisième épisode de son vrai faux journal que Mondafrique se procure, Said Bouteflika, frère du président algérien et régent du palais de Zéralda, constate qu’il est bien le seul maitre à bord

SaidZéralda, le 29 juin

« Certes, je n’occupe aucune fonction officielle. Je suis tout simplement conseiller de mon frère-président, nommé par décret non publiable. Mais mes pouvoirs sont immenses. D’abord décideur de l’ombre, je me suis ensuite accordé un rôle qui ne peut en aucun cas être le mien. Celui de Président de la République.

En détournant le mandat présidentiel de mon frère malade, j’ai fait autour de moi beaucoup d’envieux et de jaloux. A commencer par ces galonnés qui jouaient aux faiseurs de rois. Ceux-là, j’ai réussi à les dompter d’abord en les remontant les uns contre les autres, puis, à isoler celui que beaucoup qualifient de « Rab Dzayer » (le Dieu d’Algerie). Il s’agit du général Toufik, l’inamovible patron des services secrets, le DRS.

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En maintenant le Président algérien en France durant 88 jours loin des regards et isolé des principaux acteurs de la vie politique algérienne, j’ai commencé ma marche vers la conquête d’un pouvoir qui me tendait les bras depuis que mon frère a réussi à s’assurer un 3ème mandat présidentiel. En tenant à l’écart « Rab Dzayer » et sa compagnie tout au long du séjour de mon frère à l’hôpital du Val-De-Grâce puis aux Invalides, j’ai pris tout mon temps pour tester leur puissance supposée. Aucun d’eux n’a osé élever la voix pour contester ma mainmise sur la présidence de la république.

Il faut reconnaître que mon frère a déjà fait une bonne partie du ménage avant de tomber malade. Ceux qui ont fait de lui le roi incontesté d’Alger sont tous passés à la trappe. Les généraux qui constituaient le cabinet noir ont été éliminés les uns après les autres. Les Larbi Belkhier (éloigné des centres de décision en allant occuper le poste d’ambassadeur au maroc en août 2005 avant de quitter ce monde  le 28 janvier 2010), Mohamed Lamari (mis à la retraite en août 2004 bien avant son décès le 13 février 2012), Mohamed Touati, Smaïl Lamari (décédé le 27 août 2007), Khaled Nezzar, Aït-Abdessalem et Mohamed Touati ne font plus partie du monde des décideurs de l’ombre.

Seul rescapé de cette purge, « Rab Dzayer », le général Toufik.  Il est toujours là. Contre vents et marées. Il a bénéficié de la confiance du président qui lui reste reconnaissant pour sa loyauté en 2004, alors que Bouteflika briguait un deuxième mandat. Il était la force de frappe contre le général Lamari et sa clique. Mais, à mon avis, il est temps de se débarrasser de lui. Le « dernier des mohicans » doit s’effacer quoiqu’il en soit.

Il sait se maintenir en faisant le dos rond face à mes multiples provocations. Je reconnais qu’il est difficile à déboulonner. Mais, je dois tout faire pour le faire disparaître de la circulation. A défaut, il faut le déplumer de toutes ses prérogatives pour faire de lui un roi sans royaume.

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Avant de donner l’assaut à cette citadelle appelée DRS que personne n’osait défier, profitant de l’hospitalisation de mon frère au Val-de-Grâce,  je commençais par couper les ponts entre le président et le « dernier des mohicans ».

La seconde étape consistait à le mettre en position de faiblesse devant les services secrets français qui disposaient du dossier médical de mon frère. De quoi donner des complexes au DRS et à son chef.

A l’issue de son séjour au Val-de-Grâce, je place le président algérien sous protection militaire française à l’Institut des Invalides, un établissement relevant du ministère français de la défense. Il se retrouve ainsi sous protection militaire française. Aucun des galonnés algériens et surtout pas « Rab Dzayer » n’oserait opérer un forcing pour voir le président. A la première tentative, l’esclandre est vite arrivé.  Je crierai au putsch si jamais quelqu’un s’aventure à forcer le barrage.

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Les mauvaises langues n’ont pas manqué de dire que par ces agissements, j’ai mis à terre toute la fierté de l’Algérie et bafoué la dignité des Algériens en laissant le soin à l’Elysée, au Quai d’Orsay et au ministère français de la Défense de communiquer sur l’état de santé du président algérien. Pas une bribe d’information communiquée officiellement au peuple algérien sans passer par ces canaux. Aux larbins qui m’entouraient je faisais jouer le rôle de clown dans lequel excellait le pauvre premier ministre. Ce dernier trouvait un malin plaisir à mentir aux Algériens en distillant des informations sans avoir vu le chef de l’Etat. Ne parlons pas de ces opportunistes qui se sont improvisés porte-parole de circonstance, juste pour me plaire et préserver leurs privilèges.

Les mensonges racontés par mes sbires détournaient l’opinion publique de ce que je préparais au « dernier des mohicans ». Car, le moment de l’attaque approchait à grands pas. Il devait coïncider avec la date de retour du président. Alors que l’avion présidentiel ne s’était pas encore posé sur l’aérodrome d’Alger, j’envoyais la première salve. Agissant au nom du chef de l’Etat, je donnais ordre à « Rab Dzayer » de limoger son chef du service de presse pour le remplacer par quelqu’un d’autre qui n’a rien à voir avec le secteur des médias. Ordre exécuté sans discussion. A peine arrivé à Zéralda, je donne la deuxième estocade. Je dissous le service judiciaire du DRS et je le prive de la Direction de la Sécurité de l’Armée, l’une des trois directions placées sous sa coupe. Je rattache, ainsi, la sécurité de l’armée à l’Etat-major de l’armée. Je le passe ensuite à la tondeuse pour lui faire la boule à zéro. Je lui intime l’ordre de changer les patrons de deux directions qui lui restent, à savoir la direction du contre-espionnage et celle de la sécurité extérieure. Ainsi, je place le général Ali Bendaoud à la tête du contre-espionnage. Un fidèle parmi les fidèles. Originaire de Tlemcen, le vivier du pouvoir algérien, j’ai recueilli cet officier dans mon giron depuis qu’il était en poste à l’ambassade d’Algérie à Paris en qualité de chef du bureau de sécurité. Lui à la tête de la direction du contre-espionnage qui n’est autre que la sécurité intérieure, je viens de verrouiller le jeu sur le plan sécuritaire puisque le patron de la police, le général Hamel est de Tlemcen et de même pour le ministre de l’intérieur. Ne dit-on pas qu’on n’est jamais servi que par soi-même ? C’est pour cette raison que toute la sécurité intérieure est entre les mains du clan de Tlemcen.

Certains ont observé que mon poulain, a toujours évolué en dehors du pays en étant cadre de la sécurité extérieure. Ils n’ont pas compris que c’est fait sciemment pour deux raisons. La première, montrer que c’est moi le patron et je fais ce que bon me semble. « Rab Dzayer » n’avait qu’à obtempérer. La deuxième raison est que le général Bendaoud est le seul haut gradé de Tlemcen au DRS. Je n’avais pas d’autre choix.

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A la Direction de la sécurité extérieure, je laisse le soin à mon nouvel allié le général Gaïd Salah de choisir un homme à lui. Son choix se porte sur le général Youcef, un homme de sa région. Eh oui, le régionalisme reste une arme redoutable dans la constitution des clans. Et là aussi, on me fait remarquer que ce général obéissant et discipliné n’a rien à voir avec la sécurité extérieure. Peu importe. La sécurité extérieure je la gère autrement, en veillant en personne sur le dossier franco-algérien et en faisant confiance à mes amis français.

Dans cette « opération tondeuse », j’ai réalisé un grand coup que peu de gens ont remarqué. En poussant « le dernier des mohicans » à limoger l’ancien patron de sécurité extérieure, le général Bachir Tartag, j’ai récupéré ce dernier dans mon clan. Une récupération précieuse dans la mesure où le nouveau rallié m’ouvre tous les dossiers qu’il gere et m’apporte toutes les informations dont j’ai besoin sur les affaires gérées par le DRS, notamment les dossiers de la corruption. Avec lui, j’arrive à savoir qui fait quoi au DRS et qui est avec qui. Une véritable mine d’Or ce brave Bachir. S’estimant lâché par son ancien patron, il se jette corps et âme dans mes bras. J’avoue que c’est la plus belle réalisation de ma vie.

En nommant le général Bachir Tartag au poste de conseiller du chef d’Etat- major de l’armée, je gère indirectement les affaires de sécurité. Il ne fait rien sans mon aval et sans instructions de ma part. Il me doit de l’avoir arraché au sort que lui réservait son ancien chef. Il était sur la liste des futurs retraités en compagnie de son ami, l’ex-boss de la sécurité de l’armée, le général Djebbar.

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Mon autre superbe réalisation dans cette guerre que j’ai livrée à « Rab Dzayer », c’est la nomination du général Gaïd Salah vice-ministre de la défense et son maintien à son poste de chef d’Etat-major de l’armée. Là aussi, des ignares en matière de coups fourrés s’interrogent sur cette manœuvre puisque nulle part ailleurs on n’a vu un chef militaire cumuler deux postes incompatibles : un poste politique, celui de ministre, et un poste opérationnel, celui de chef d’Etat- major. Comme je suis diplômé en intelligence artificielle d’une université française, j’ai du mettre en pratique mes compétences universitaires en octroyant un deux en un au plus vieux militaire de la planète. Une façon de verrouiller définitivement le jeu devant « Rab Dzayer » à qui je ne manque pas de rappeler qu’il doit s’adresser à sa tutelle chaque fois qu’il émet le souhait de voir le président. Une belle manière de couper les ponts entre lui et mon frère dans le but de lui éviter de connaître l’état de santé réel du président. S’il venait à le savoir il n’hésiterait pas à tout foutre en l’air et moi avec.

Voilà. Cette armée qu’on disait puissante et ses chefs faiseurs de roi, ne sont plus qu’un jouet entre mes mains. Aucun de ses chefs n’oserait jouer des épaules devant moi, le seul maître à bord.