Moussa Mara plaide pour un Mali multi ethnique

L’ancien Premier ministre, Moussa Mara commente dans un entretien avec Nathalie Prevost et Nicolas Beau la situation sécuritaire de son pays, en revendiquant la lutte contre le terrorisme, mais en plaidant pour un nécessaire dialogue avec les groupes armés.

Né en 1975 à Bamako, dans la bonne société malienne, d’un père chrétien et d’une mère musulmane – double filiation qui lui donne une particulière sensibilité aux graves conflits communautaires que traverse son pays -, Moussa Mara incarne une nouvelle génération politique au Mali.

Après avoir été l’un des plus jeunes Premiers ministres du Mali, le fondateur du parti Yelema (le changement en bambara) a traversé dans une réelle forme d’indépendance les fortes turbulences de l’année 2020, tout en parcourant le pays de long en large. Cet esprit libre sait tenir un langage de vérité à Paris notamment sur la nécessité pour l’armée française de venir en soutien des Maliens, sans jamais se substituer à eux.

Lui qui n’a pas plus rallié le régime d’Ibrahim Boubacar Keita que la junte militaire aujourd’hui aux commandes occupe une place particulière au sein de la classe politique malienne. Moussa Mara ne peut que jouer un role central lors des élections promises par l’actuel gouvernement dans un an environ.

La rédaction de Mondafrique

« Les groupe armés font partie du Mali »

Mondafrique. Quelle est la situation sécuritaire du Mali actuellement ? Les coups portés par l’armée malienen et Barkhane ont-ils fait reculer les groupes djihadistes au centre et au nord du Mali ou assiste-t-on, au contraire, à l’extension du conflit, notamment vers le sud ?

Moussa Mara. La situation sécuritaire du pays est stationnaire même si de légères améliorations sont constatées, notamment par rapport à l’année 2019 qui a été la plus catastrophique. On ne peut parler de recul des groupes terroristes, tout au plus peut-on évoquer leur contenue. Ils ne progressent pas vers le sud mais procèdent à quelques incursions notamment à l’Ouest et au sud. Tout cela pour dire que le statut quo n’est plus tenable. Il nous faut agir avec force, vigueur et surtout intelligence.

Mondafrique La situation des droits humains continue de se dégrader, selon le secrétaire général des Nations unies dans son rapport du 28 décembre. De graves violations de ces droits sont commises par l’armée régulière, les groupes armés et les groupes d’autodéfense. Le recrutement forcé des enfants est également en augmentation. Que faut-il faire, selon vous, pour mettre un terme à ce déchaînement de violence ?

Moussa Mara. Le recrutement d’enfants est le fait de groupes terroristes et d’autres groupes armés. En ce qui concerne nos forces armées, il doit être mis un terme aux exactions par la sanction de tous les cas documentés. Je partage entièrement l’avis du Président de la Transition, on doit maintenant poser des actes en la matière et le faire savoir. C’est cela qui permettra de mettre la pression sur les groupes armés, notamment ceux qui sont dans le processus de paix pour stopper les actes similaires ainsi que le recrutement d’enfants.

Mondafrique Qu’en est-il de la justice, dans ce contexte, aussi bien en termes de présence physique des magistrats sur le terrain que des efforts de réconciliation, locaux et nationaux ?

Moussa Mara. La présence physique des magistrats est absolument souhaitable, partout sur le territoire, sinon la justice ne pourrait être valablement distribuée. Nous devons innover en la matière, déployer et protéger nos magistrats, s’il le faut orienter dans les zones des magistrats qui y sont originaires ce qui améliorera leur efficacité et leur protection. Quant à la justice transitionnelle, elle nécessite la stabilité et la paix, on peut donc l’envisager en certains endroits au Nord.

Mondafrique Comment vivent les Maliens aujourd’hui, entre les braquages des véhicules de transport, les vols de bétail, la zakat prélevée par les djihadistes, le blocus de certains villages et l’impossibilité de cultiver dans d’autres ?

Moussa Mara. Malgré les difficultés, les Maliens vivent, cultivent, créent de la richesse, s’occupent de leurs familles et espèrent en de lendemains meilleurs sous l’égide leadership exemplaire de gouvernance vertueuse. Les espaces qui n’ont pu être cultivées du fait de l’insécurité ne dépassent pas 5% des espaces totales cultivées dans le pays. Tout n’est pas rose, loin de là mais la situation n’est pas apocalyptique non plus

Mondafrique L’approche sécuritaire actuelle, qui conjugue la force G5, la MINUSMA, Barkhane et les FAMA est-elle fructueuse, selon vous, et durable ?

Moussa Mara.La partie militaire est robuste même si elle doit être plus collaborative et mieux articulée. Cependant, nous ne réussirons pas sans une approche contre insurrectionnelle de la lutte contre les terrorismes. Celle-ci comporte des aspects de déploiement de l’administration, de prestation de services aux populations, de communication et d’autres actions destinées à gagner la plus importance des batailles, celle de la confiance des populations.

Mondafrique Où en est la mise en œuvre des accords d’Alger ?

Moussa Mara. La mise en œuvre de l’accord stagne. Il nous faut avancer concomitamment dans trois directions: celle de la relecture de l’accord demandée par les Maliens lors du dialogue national inclusif, celle des reformes institutionnelles et celle du désarmement des groupes armés.

La présence au gouvernement de Transition de quatre ministres issus des groupes signataires est-elle de bon augure ?

Moussa Mara. C’est une bonne chose. Les groupes armés font partie de l’ensemble national. Nous devons les associer aux processus publics pendant et après la transition.

Pensez-vous que la Transition pourra faire significativement avancer ce dossier, prioritaire aux yeux de la plupart des partenaires du pays ?

Moussa Mara. Elle en a l’intention, faisons confiance aux responsables de la transition.

 Ces derniers jours, le gouvernement a envoyé une délégation en visite à Kidal. A la lumière de votre propre expérience, vous souvenant de votre propre visite à Kidal en mai 2014, qui vous a coûté votre poste de Premier ministre, pensez-vous que des progrès ont été accomplis sur le chemin du retour de Kidal dans le giron malien ?

Moussa Mara. D’abord mon départ de la Primature (janvier 2015) n’est pas lié à ma visite de Kidal (mai 2014) neuf mois plus tôt. Je pense que les visites à Kidal ne doivent plus être symboliques. Nous devons plutôt baliser le chemin clairement vers la reprise de contrôle de l’Etat sur cette partie de son territoire, cela passe par la mise en œuvre de l’accord. D’ici là il peut être distribué les services publics aux populations car elles sont aussi des Maliens comme les autres.

Mondafrique Pensez-vous que l’armée reconstituée, prévue par ces accords pour intégrer les membres des groupes armés signataires au sein des FAMA est l’une des solutions du rétablissement durable de la paix au Mali, notamment dans le nord du pays ?

Moussa Mara. L’armée reconstituée est un engagement de l’Etat. Il faut le faire mais il faut éviter des unités militaires ethniquement homogènes et surtout les déployer sur des espaces qui donneraient l’impression qu’on met une partie du territoire sous le contrôle d’un groupe. Ce serait l’arrêt de mort du Mali divers et multi ethnique.

Mondafrique Que faut-il faire pour venir à bout des groupes djihadistes affiliés à AQMI et à l’Etat islamique ? Faut-il négocier et si oui, la négociation avec les djihadistes maliens du nord et du centre ? Et ce, même si Paris n’a pas caché son hostilité ?

Moussa Mara. J’ai déjà écrit plusieurs fois sur cette question. Je ne crois pas à une discussion directe entre l’Etat d’un côté et Iyad ag ghali de l’autre. Je pense que cela est même impossible et pour lui et pour nos autorités.

En revanche je pense que nous avons la possibilité d’engager des dialogues inter communautaires sur l’ensemble des zones de conflit, à l’échelle de régions, de cercle et même de communes. Ces dialogues multiformes doivent associer des acteurs engagés dans les mouvements terroristes avec l’implication des notabilités traditionnelles et religieuses pour essayer de déterminer des consensus locaux que l’Etat devrait garantir et accompagner à la mise en œuvre. Je reste persuadé que nos traditions, nos cultures et notre société nous permet de nous engager dans cette direction.