Mali, le président IBK navigue à vue

Le gouvernement malien s’est effondré le 18 avril, lorsque le Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga a remis la démission de son gouvernement au Président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) après l’horrible massacre ethnique de 170 Peuls dans le village d’Ogossagou, le 23 mars

Une chronique de Stéphane Hugues et Alex Lantier


Le régime du Mali, l’un des pays les plus pauvres du monde, est également confronté à des grèves croissantes des travailleurs. La colère monte parmi les ceux-ci contre le pillage des finances étatiques organisé sous les auspices de Paris et de Berlin. Des grèves se poursuivent depuis des mois parmi les enseignants des écoles publiques qui réclament le paiement de primes au logement et d’arriérés de salaires. Les cheminots organisent aussi des grèves, voire des grèves de la faim, pour exiger au moins onze mois de salaires non payés.

Le 5 avril, 50.000 personnes (30.000 selon la police malienne) ont défilé sur l’avenue de l’Indépendance à Bamako, la capitale, pour dénoncer l’occupation franco-allemande du pays depuis 2013 et la corruption du régime fantoche de la France dirigé par Keïta, dit IBK. Ont appelé à la manifestation les représentants de l’ethnie peule visée par le massacre d’Ogossagou. Y participaient des organisations de la société civile et des prédicateurs islamiques, dont l’ancien président du Haut Commissariat islamique du Mali (HCIM), Imam Mahmoud Dicko.

A Bamako, les manifestants tenaient des pancartes faites à la main disant : «La France est un État terroriste avec des mercenaires et des drones», «Non au génocide de la France au Mali» et «Rentrez, ne pillez pas nos ressources naturelles». Ils criaient: «A bas IBK!» Des appels furent lancés en faveur de l’application de la charia musulmane et de l’assistance russe contre les troupes françaises et allemandes occupant le Mali.

«Nous en avons assez de ce régime. Nos enfants, nos maris et nos parents meurent à cause de la mauvaise gestion du pays par IBK et son clan», a déclaré Mariam Fomba à l’AFP. Fomba, dont le mari a été tué dans la guerre du Mali, a dit qu’elle voulait «jeter dehors IBK».

Le 30 mars, des centaines de personnes avaient participé à une manifestation devant la gare Montparnasse à Paris et s’étaient rendu à l’ambassade du Mali pour dénoncer le massacre d’Ogossagou. Mimo Dia, l’organisateur de la manifestation de Paris, avait critiqué la complicité du régime fantoche de la France avec la milice d’origine dogon «Dan Nan Ambassagou», largement soupçonnée d’avoir commis ce massacre.

Dia a dit: «Les Dogons et les Peuls ont toujours existé. Aujourd’hui encore, au milieu du massacre, les villages Peul et Dogon coexistent et ne se soucient pas du conflit. Donc, ce n’est pas un problème avec les Dogons. C’est un problème politique. L’armée malienne a confié la sécurité malienne aux Dogons. Il faut que cela cesse. C’est pourquoi nous voulons une chose très simple: dissoudre toutes les milices au Mali… y compris ‘Dan Nan Ambassagou’, et les autorités maliennes qui en sont complices. Ils devraient tous être arrêtés et jugés décemment, pour que justice soit faite».

Ces protestations avaient alimenté un débat sur le vote éventuel d’une motion de censure contre le gouvernement Maïga par l’Assemblée nationale malienne, finalement présentée le 17 avril par des députés des partis d’opposition et du Rassemblement pour le Mali (RPM) d’IBK.

Dans la matinée du 18 avril, Maïga était engagé dans des pourparlers désespérés avec le RPM et les partis d’opposition pour tenter d’obtenir une majorité contre la motion de censure. Quelques heures avant le début du débat sur la motion de censure, Maïga a jeté l’éponge et remis sa lettre de démission au bureau du président malien.

Mais la démission de Maïga n’offre rien aux travailleurs ni aux masses opprimées du Mali et ne fera qu’intensifier la lutte des classes dans le pays et dans la région. Le choix par le président Keïta de Boubou Cissé en remplacement de Maïga le 22 avril souligne son rôle de laquais de l’impérialisme et du capital financier. Cissé, économiste non élu et politiquement indépendant, vient de superviser, comme ministre des Finances, le non-paiement des salaires aux travailleurs du secteur public. Formé en Allemagne, dans le golfe Persique et en France, Cissé a travaillé à la Banque mondiale avant de retourner au Mali durant l’invasion française, pour y devenir ministre du Portefeuille minier, puis des Finances.

Les protestations anti-guerres et les luttes de classe croissantes au Mali font partie d’une large vague d’opposition politique de masse et de luttes de classe dans le monde entier. Depuis les grèves militantes des enseignants américains et des travailleurs mexicains des maquiladoras, jusqu’aux manifestations des «gilets jaunes» en France, en passant par les grèves des fonctionnaires et des travailleurs des plantations sur le sous-continent indien, l’opposition intransigeante aux élites dirigeantes se fait plus vive. Des manifestations de masse exigeant la chute de dictatures se déroulent en Algérie et au Soudan, sur fond d’une vague de grèves des enseignants dans toute l’Afrique.

Dans l’ex-empire colonial français, Mali compris, cela place les travailleurs dans une confrontation avec l’éruption du militarisme européen depuis les dernières grandes luttes de classe dans la région: les soulèvements révolutionnaires qui ont, en 2011, renversé les dictateurs soutenus par les impérialistes en Tunisie et en Égypte.

Après le soulèvement en Égypte, les puissances de l’OTAN ont fait la guerre en Libye où ils ont détruit le régime du colonel Mouammar Kadhafi, que Paris considérait depuis longtemps comme un obstacle. Le renversement et l’assassinat de Kadhafi ont non seulement plongé la Libye mais toute la région du Sahel dans la guerre civile. Les milices fuyant la Libye sont arrivées au Mali et ont chassé l’armée malienne du nord du pays – prétexte dont Paris s’est emparé pour envahir le pays en janvier 2013. Avec la complicité des régimes de la région, dont Alger qui a ouvert son espace aérien aux bombardiers français, une guerre a commencé qui dure depuis six ans.

Outre la France, les États-Unis, le Canada, et l’Allemagne depuis 2015, ont envoyé des troupes au Mali. La guerre du Mali est, avec plus de 1.000 soldats, le plus grand déploiement outre-mer de Berlin depuis qu’il a mis fin à la démilitarisation de sa politique étrangère qui datait de la chute du régime nazi. Les événements ont mis à mal les prétentions impérialistes que ces déploiements auraient pour but de protéger la population malienne des milices islamistes.

La guerre a déplacé des centaines de milliers de personnes et coûté la vie à des milliers d’autres. Bamako reçoit 1 milliard de dollars d’aide par an mais, concentré à aider les troupes de l’OTAN à lutter contre sa propre population, il a supervisé un effondrement du niveau de vie et des services publics tel que les salaires des enseignants et des cheminots ne sont même plus payés.

Malgré toutes ces dépenses de guerre, les forces d’occupation françaises n’ont pas réussi à écraser l’opposition militaire à leur présence et au régime fantoche de Bamako. Onze soldats maliens ont été tués le 21 avril lors de l’attaque d’une base militaire à Guiré, près de la frontière avec la Mauritanie. Selon le gouvernement malien, la milice responsable de l’attaque a fait 15 morts.

Selon l’AFP, un médecin militaire français est mort au Mali dans un attentat à la bombe contre son véhicule début avril