Les aveux d’un « islamiste » extorqués par les services secrets algériens

Les autorités espagnoles ont expulsé l’ancien militaire ayant fui l’Algérie après avoir pris part au mouvement populaire, Hirak, en 2019. ll s’agit de l’ex-caporal de 32 ans, Mohamed Benhalim. Sur les premières vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, on voit bien l’homme, menotté, descendre d’un avion de la compagnie aérienne espagnole. Il a été accueilli par des agents de la police algérienne qui l’ont ensuite transporté dans leur véhicule.

Or dimanche dernier, le 27 mars 2022, la Direction générale de la Sureté nationale (DGSN) a publié une vidéo confession du lanceur d’alerte et militaire algérien, Benhalima Mohamed Azzouz (BMA) qui a été diffusée sur la télévision nationale à l’heure du pic d’écoute (20 h) ainsi que sur les comptes Facebook, Twitter et YouTube et de la DGSN.

Le mouvement « Rachad » d’inspiration à la fois islamiste et démocratique, réprimé en Algérie en raison notamment de sa forte popularité au sein de la population, a reconstitué les conditions dans lesquelles les services algériens ont extorqué les aveux du militaire rebelle, sympathisant de leur parti, avec lequel Mondafrique avait eu un entretien passionnant sur l’état de l’armée algérienne (voir ci dessous).

Nous  publions volontiers les résultats de leurs investigations qui paraissent plausibles, dans la mesure où le militaire réfugié en Europe donnait l’impression d’être totalement engagé contre le régime algérien.

L’entretien de Mondafrique avec l’opposant algérien, Mohamed Benhalima, expulsé par l’Espagne

Quelques heures auparavant, ces comptes ainsi que quelques titres de la presse en ligne avaient lancé des alertes annonçant l’imminence de la diffusion de « graves aveux » de BMA.[1] Après la diffusion de la vidéo, l’APS titrait « Aveux du détenu Benhalima: l’organisation « Rachad » impliquée dans des plans ciblant la stabilité de l’Algérie »[2] alors que TSA, par exemple, annonçait que « Extradé d’Espagne, l’ex militaire Mohamed Benhalima passe aux aveux »[3], tandis que les titres principaux de la presse arabophone soulignaient le caractère « choquant » ou « dangereux » des « aveux » de BMA.[4]

S’agit-il vraiment d’aveux, comme le rabâchent les médias inféodés aux moukhabarat  (DGSI[5])? Les déclarations filmées de BMA sont-elles volontaires ou a-t-on visionné la vidéo d’un otage faisant des confessions accommodantes sous la contrainte ?

Le recours à la confession spectacle est une vieille addiction de la justice aux ordres dans notre pays, comme ailleurs dans plusieurs régimes totalitaires ou dictatoriaux (Chine, Russie, Corée du Nord et Syrie par exemple). Que nous apprennent les outils analytiques de ces mises en scène de la repentance sur la dernière vidéo de la DGSN ? Quelles sont les audiences ciblées par la spectacularisation et la médiatisation de ladite confession de BMA, et quels messages politiques leurs sont destinés ? En quoi le simulacre d’aveux de BMA impacte-t-il les procédures judiciaires le concernant ?

C’est à ces questionnements de plusieurs activistes du hirak que se propose de répondre cette note.

1.   Aveux volontaires ou confession accommodante sous la contrainte ?

Supposons que les déclarations de BMA constituent des aveux, ce qui sera contesté plus bas. On sait qu’il y a des vrais aveux volontaires et des vrais aveux arrachés sous la contrainte. Ce que l’on sait moins c’est qu’il y a des i) aveux mensongers volontaires, ii) de faux aveux accommodants obtenus par la contrainte, ainsi que iii) de faux aveux intériorisés, comme les classe Saul Kassin.[6] Il parle de faux aveux volontaires quand ils sont donnés librement, comme le ferait par exemple un parent pour détourner l’attention de son enfant qui aurait commis un crime. Les faux aveux accommodants sont ceux donnés pour échapper à une situation stressante, comme éviter la torture, ou pour recevoir une récompense promise ou implicite. Les faux aveux intériorisés relèvent de situations où la personne croit vraiment qu’elle a commis un crime sous l’effet de techniques d’interrogatoires fortement suggestives (technique de Reid par exemple).

Les déclarations de BMA dans la vidéo de la DGSN contiennent une partie de propos qui semblent vrais et beaucoup d’affirmations qui sont fausses. Les premiers relèvent de détails connus par les hirakiens avant sa déportation (par exemple les conditions de son installation en Espagne, de sa fuite en France, de son arrestation au Portugal ou de son différend avec Amir Dz). Ses propos factices dans la vidéo sont facilement identifiables du fait qu’ils contredisent totalement ceux qu’il tenait quand il était libre en Europe. L’objet de cette note n’est pas de faire l’inventaire et le tri entre ces deux groupes de propos, ce qui serait trop fastidieux. L’objet ici est de démontrer que les affirmations fausses de BMA constituent des faux aveux accommodants obtenus par la contrainte.

Les journalistes inféodés aux militaires et certains internautes ont contesté que BMA ait parlé sous la contrainte du fait qu’aucune trace visible de torture ou de mauvais traitement n’était visible sur son visage. Déduire que BMA parlait librement à partir de l’absence de traces de tortures physiques sur son visage c’est aller vite en besogne.

Il n’est pas inutile de rappeler d’abord que BMA ne s’est pas rendu librement à la DGSN par soif de se confesser ou de se révéler au public. Il a été déporté de force d’Espagne – où il avait demandé l’asile politique – vers l’Algérie où sévit le régime militaire qu’il avait librement fui. Qu’il ait été manipulé (« mougharar » en « ses » termes dans la vidéo) par l’organisation Rachad quand il était en Europe puis qu’il ait retrouvé son libre arbitre entre les mains de la DGSI est aussi probable que la possibilité de faire passer un chameau par le chas d’une aiguille.

Ensuite les études sur les faux aveux ont recensé un nombre de techniques qui peuvent contraindre un accusé sans pour autant qu’il soit violenté physiquement. La fatigue, le stress et la faim compromettent les capacités cognitives du détenu, et l’absence d’un avocat lui expliquant ses droits, de sournoises fausses insinuations sur les éléments à charge, ainsi qu’un chantage sur la durée de la peine d’emprisonnement peuvent conduire à de faux aveux. La débilitation par l’isolement, par le déficit ou la privation de sommeil, par l’alternation du chaud et du froid, de la lumière et de l’obscurité, et de l’interrogatoire et de l’isolement ont amené bien des accusés à confesser des crimes qu’ils n’ont pas commis. La menace de la torture du détenu est également efficace. Elle se fait par suggestion, par exemple le bruit réel, ou précédemment enregistré, que fait une victime qu’on torture dans une salle adjacente, un abus sexuel (attouchement aux fesses par exemple), ou bien encore par l’exhibition d’objets de torture. Ou pas des menaces verbales explicites. La menace peut aussi cibler la famille du détenu. On sait par exemple que la hirakienne Fatma-Zohra Bouras, interrogée dans le même lieu que BMA au début juin 2021, avait subi des menaces de faire emprisonner sa mère malade et sa sœur, qui avaient par ailleurs été utilisées comme otages pour l’arrêter.[7] Rien d’innovant ici, la DGSI perpétue les « traditions » du DRS dont le chef, le général Médiene, passé à la postérité par la menace de torture qu’il avait lancée à Fouad Boulemia et sa mère.[8] Des organisations de droits de l’homme algérienne et internationales affirment que la torture et les mauvais traitements continuent dans l’« Algérie nouvelle » de Tebboune.[9] Il y a là un nombre de causes possibles qui expliqueraient pourquoi BMA tremble à quatre moments dans la vidéo : aux horodatages 9’16’’, 12’14’’, 20’08’’ et 23’15’’.

Certains journalistes et des citoyens sur les réseaux sociaux ont vu dans la vidéo de la DGSN une seule séance de « témoignages » plutôt décontractés entre BMA et son invisible interrogateur.[10] Rien n’est moins sûr. Les analyses des aveux-spectacles médiatisés par les régimes dictatoriaux indiquent que ce ne sont pas des performances « live » mais bien des confessions méticuleusement scriptées et mises en scène. Les aspects visuels de la pièce où se font les aveux, la lumière, les vêtements personnels du détenu sont tous calculés pour suggérer qu’il est à l’aise et traité avec bienveillance.[11] Les aveux sont ensuite filmés et édités. Le tournage se fait souvent en plusieurs prises sur plusieurs jours mais le métrage est édité pour donner l’impression que les « aveux spontanés » se sont fait en une seule séance. Des professionnels employés par la télévision d’Etat s’occupent du montage du film sous la direction de responsables de la propagande. C’est ce simulacre de confession qu’on va maintenant déconstruire dans la vidéo de BMA produite par la DGSI et distribuée par la DGSN.

2.   Analyse forensique de la vidéo confession de Benhalima

Une analyse forensique rudimentaire de la mise en scène et du montage de la vidéo révèle qu’on visionne bien une farce politico-judiciaire.

Deux éléments saillants se détachent de la mise en scène : la présence d’un interrogateur invisible et le biais de perspective de la caméra. Durant toute la vidéo la caméra ne focalise que sur BMA filmé de biais à partir de la taille. BMA est filmé à son insu, autre indicateur de la nature forgée de la vidéo, car à aucun moment il ne regarde de face la lentille de la caméra, positionnée sur son côté. C’est une mise en scène calculée pour tromper.

Les études psychologiques sur l’évaluation des aveux filmés lors d’interrogatoires policiers prouvent que la perception du caractère contraint et du degré de coercition dépend de la perspective de la caméra utilisée lors de l’enregistrement.[12] Que la caméra focalise exclusivement sur le suspect, ou exclusivement sur le policier, ou qu’elle les filme simultanément (tous les deux visibles) influence fortement l’appréciation que fait le spectateur sur le caractère libre ou non de l’aveu, sur le degré de pression auquel est soumis le suspect, et même s’il est coupable ou innocent.[13] L’attention visuelle agit comme médiateur du biais de perspective de la caméra. Quand la caméra focalise exclusivement sur le suspect, l’observateur tend à croire qu’il fait des aveux librement, alors que le filmage simultané du suspect et de l’interrogateur, ou bien l’enregistrement audio ou une transcription du déroulé du même interrogatoire conduisent à une conclusion différente.[14] Il n’est donc pas surprenant que quelques-uns aient vu dans la vidéo de BMA le filmage d’une « confession » volontaire.

Voyons maintenant quelques aspects du montage. Une analyse de la vidéo avec le logiciel Visual Inspection ou Adobe Premiere indique qu’il y a 111 coupures sur les 27 minutes et 57 secondes de métrage qu’elle contient, soit en moyenne 1 coupure toutes les 15 secondes. Ceci est publiquement vérifiable par tout logiciel de montage vidéo. Contrairement à l’apparence d’un déballage spontané d’aveux, on a bien affaire à du métrage fortement charcuté mais adroitement monté.

A droite de la figure on observe quelques prises de plus de 50 s. Le non-charcutage de ces prises relativement longues par rapport au reste relève probablement du fait que BMA y est loquace et que ses propos ne gênent pas trop les réalisateurs de la DGSI. Il est intéressant de noter que ces prises concernent essentiellement ses propos sur Amir Dz.

Figure 1

Portons maintenant l’analyse sur la structure des images et sur leurs agencements.

Pour vérifier si l’enregistrement était continu ou non, la variation des conditions d’éclairage de fond sur toutes les images vidéo doit être examinée. Ceci se fait par l’extraction de chaque image à l’aide du logiciel ffmpeg, suite à quoi celle-ci est convertie de l’espace colorimétrique RVB à l’espace colorimétrique HSV puis décomposée en trois couches :  Teinte, saturation et valeur (légèreté), comme illustré dans les tableaux 1 et 2.

Tableau 2 : Décomposition en couches HSV

Les couches HSV résultantes pour chaque image ont été utilisées pour analyser la continuité de la composante Saturation et Valeur de l’éclairage d’arrière-plan de chaque image de la vidéo. Une vidéo enregistrée en une seule session sans changement soudain des conditions d’éclairage n’affichera pas de sauts dans les amplitudes de Saturation ou Valeur entre des images consécutives.

Un carré de 400×400 pixels est utilisé pour calculer les conditions d’arrière-plan. Il est situé dans le coin inférieur gauche afin de maximiser la taille de l’échantillon d’arrière-plan comme indiqué sur la figure 2 avec une bordure rouge.

Figure 2

La figure 3a représente la variation de la saturation moyenne du fond avec le numéro d’image (25 images = 1 seconde). On distingue clairement des sauts entre deux niveaux de saturation de fond. L’histogramme des amplitudes de la saturation de fond, sur la figure 3b, révèle deux groupes: le groupe A avec une valeur de saturation comprise entre 4 et 6, et un groupe B avec une valeur de saturation comprise entre 13 et  18. Le calcul et la représentation des mêmes grandeurs avec la couche Valeur HSV[15] (figures 4a et 4b) confirme que la vidéo de BMA comprend deux enregistrements avec deux conditions d’éclairage différentes, les deux enregistrements pouvant être différenciés en comparant la valeur de saturation de fond à une valeur de saturation de 10.

L’existence de deux enregistrements n’implique pas nécessairement que deux séances d’enregistrement ont eu lieu à deux moments différents, puisque l’enregistrement de la même scène à l’aide de deux caméras ayant des étalonnages différents (vitesse d’obturation, vitesse iso ou ouverture) peut produire deux enregistrements qui ne partagent pas les mêmes conditions d’éclairage de fond.

Pour se prononcer sur le nombre de séances d’enregistrement, on peut comparer plusieurs images de chaque enregistrement par inspection visuelle. Comme illustré sur la figure 5, six échantillons ont été prélevés. Les images 1, 3 et 5 ont une valeur de saturation de fond supérieure à 10, alors que cette valeur est inférieure à 10 pour les images 2, 4 et 6. Ces deux ensembles d’échantillons sont illustrés dans les tableaux 3 et 4 respectivement.

Figure 5

Une comparaison étroite entre les images des deux enregistrements identifiés révèle de nouveaux différenciateurs uniques à évaluer: 1) la position de la chaise n’est pas la même, le bras de la chaise facilitant la comparaison, et 2) l’ouverture de la veste et la présence ou l’absence d’un t-shirt blanc sous le pull noir. Ces facteurs de différentiation sont illustrés dans le tableau 5. La position de la chaise ne peut pas prouver l’existence d’une deuxième séance d’enregistrement car elle pourrait être le résultat d’un repositionnement de caméra, mais l’ouverture de la veste et le t-shirt blanc ainsi que la corrélation avec la valeur de saturation de fond sur l’ensemble des 111 coupes prouvent sans aucun doute que deux sessions d’enregistrement ont été utilisées pour produire la vidéo. Ce constat est aussi corroboré par les données audio. A l’horodatage 17’40’’, BMA dit qu’il a bien dormi, alors qu’à l’horodatage 24’19’’, il dit : « aujourd’hui, Miloud [frère de Mohamed Larbi Zitout] m’a rendu visite », soit le jour de sa déportation.

L’analyse par image ci-dessus permet aussi d’inférer des conclusions sur la post-production de la vidéo. Les figures 3a et 4a montrent clairement qu’un montage alterné a été utilisé. Des images filmées dans la première séance ont été juxtaposées à des images filmées dans la seconde séance, et vice-versa, pour suggérer des continuités thématiques et temporelles factices. Auditivement on le constate aussi par le fait qu’à l’horodatage 17’40’’ BMA dit qu’il a bien dormi, alors qu’à l’horodatage 24’19’’ il parle le jour de sa déportation, ce qui inverse l’ordre chronologiquement réel. Enfin, l’ajout des photos (des personnes citées dans les « aveux ») en haut à gauche du cadre pour faire de la propagande didactique de bas étage compromet encore plus l’authenticité de la vidéo et la valeur juridique qu’on pourrait lui accorder.

L’analyse forensique de la vidéo montre que la semblance volontaire des propos de BMA est un trucage, que l’apparence d’un déballage spontané de BMA est le résultat d’un spectacle scénarisé, fabriqué avec une audiovisualité fortement hachée et manipulée. Cette vidéo de propagande n’a aucune authenticité, et elle n’est pas un élément à charge contre BMA. Au contraire, elle est une preuve matérielle indélébile d’un crime commis contre BMA.

3. Une confession judiciaire ou une intox guerrière ?

Rappelons que Mohamed Benhalima est un ancien caporal de l’armée, actif dans le hirak dès son début en 2019 et devenu lanceur d’alerte dénonçant la corruption parmi les hauts responsables militaires algériens. Il a fui le pays la même année après avoir appris qu’il était sur une liste de militaires à arrêter pour leur participation active au hirak.

Un aveu judiciaire étant l’action de reconnaître des délits ou des crimes, si la vidéo distribuée par la DGSN constituait vraiment des aveux, les propos de BMA assemblés devraient expliciter ou au moins porter sur les délits ou les crimes qu’il aurait commis. Or le seul métrage où il y a un semblant d’aveu se situe dans le passage où il demande pardon au chef de l’Etat, Tebboune. Ce passage, qui dure 1 min 50 s sur les 27 minutes et 57 secondes de la vidéo, se trouve à la fin de la vidéo (25’30’’), pour constituer un dénouement qui clôt la saga. Il est connu que les aveux publics médiatisés dans les dictatures se concluent par une démonstration affective de honte pour rendre le rituel de confession crédible, ainsi que pour valider le pouvoir des dictateurs à travers le tremblement et les larmes de ceux qui les ont défiés.[16] Foucault pense que le rôle principal de la confession publique est de discipliner les sujets.[17]

Mais même au sein de ce passage de repentance, les seuls faits précis que BMA s’auto-incrimine durent 7 secondes, de 26’09’’ à 26’16’’, quand il affirme : « j’ai fait des fautes, j’ai insulté, et j’espère que ceux que j’ai insultés ou dont j’ai parlés me pardonneront ». Aucune investigation, ou exploration, ou demande de clarification autour de ces « fautes » ou « insultes », vraisemblablement sur les délits ou crimes relatifs à ses activités de lanceur d’alerte, n’est présentée dans le métrage de la vidéo diffusée par la DGSN.

La vidéo n’est donc pas une confession judiciaire car le reste de la vidéo (26 sur 28 minutes) n’a rien à voir avec la situation judiciaire de BMA. Elle est consacrée à la propagande politique, à l’infoguerre.

Les messages que véhicule cette vidéo-infoguerre ne sont pas les mêmes pour les multiples audiences qu’elle cible. Pour le hirak, la vidéo livre le message qu’un segment du hirak à l’étranger serait manipulé et gangréné par des activistes au sein et hors de Rachad, et au sein du comité de soutien de Mohamed Abdellah et BMA, qui agiraient comme des escrocs sans cause politique, détournant les cagnottes PayPal par-ci, falsifiant des documents par-là. Mohamed Larbi Zitout serait un YouTubeur narcissique motivé seulement par l’argent et le buzz. Le but de cette infoguerre est évident : radicaliser l’ennemi politique (entre autres Rachad) pour diviser le hirak, projeter une aura d’invincibilité pour démoraliser le hirak, le faire taire, le discipliner, et étouffer et dissuader toute contestation. Les hirakiens n’auraient de salut que dans la repentance et l’obéissance à Tebboune et aux généraux tapis derrière lui.

L’autre audience non moins importante est celle qui s’identifie directement à BMA : les soldats, sous-officiers et officiers de l’armée ainsi que des autres corps de sécurité. Le message que leur transmet la vidéo est que les chefs de l’armée ont les bras longs, et qu’ils atteindront tout lanceur d’alerte qui briserait l’omerta sur la corruption en son sein, où qu’il se cache dans le monde. Et qu’il finira par se confesser en public et par se jeter en repentance à leurs pieds.

4. La vidéo de Benhalima au regard du droit international ratifié par l’Algérie

Etant donné que le contenu de la vidéo est essentiellement politique, on est en droit de conclure que les interrogateurs de BMA et les scénaristes de la vidéo n’étaient pas des officiers de police judiciaire, procédant à une enquête préliminaire régulière, mais des barbouzes de la DGSI. Le logo de la DGSN apposé sur la vidéo ne trompe personne. Les « aveux » filmés qui y sont soutirés et leur diffusion l’ont été hors d’un cadre légal.

BMA a été contraint à tenir les propos qui y sont enregistrés. Or le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par l’Algérie, stipule dans son article 14, 3g, que toute personne ne doit pas « être forcée de témoigner contre elle-même ou de s’avouer coupable ».

Par ailleurs, la diffusion publique d’aveux avant un procès réduit ce dernier à une simple formalité. Après qu’un suspect ait fait des aveux à la télévision publique, quel procureur aura la témérité de ne pas l’accuser, quel juge s’aventurera à ne pas le condamner, même s’il rétracte ses aveux ensuite ?[18] Ceci compromet gravement le droit à un procès équitable inscrit dans le même pacte, article 14, 1, qui déclare que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera[…] du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

D’autre part, les barbouzes de la DGSI ont violé les principes du droit international qui protège les lanceurs d’alerte.[19] L’article 19, 2, du même pacte énonce que « toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix. » En outre, l’Algérie a ratifié en 2004 la Convention des Nations Unies contre la corruption, qui inclut dans son article 33 des dispositions relatives à la protection des personnes signalant la corruption.

5. De la nécroculture en clôture

Contrairement donc à ce qu’ont rapporté les médias affidés du régime militaire, la vidéo du lanceur d’alerte BMA publiée par la DGSN n’est pas une vidéo d’aveux. C’est la vidéo d’un otage. C’est une « dahdouh-ation » comme l’a raillée l’humour populaire.

Il a été démontré que BMA ne s’y exprime pas librement et que ses propos sont fortement hachés en morceaux qui ont été permutés, rabotés, recollés, et fignolés, pour produire un spectacle dont le scénario a été écrit par la DGSI. L’essentiel de ce faux spectacle d’aveux vise à intimider, diviser et mater le hirak, à inviter les hirakiens à la repentance et la soumission à Tebboune et aux généraux embusqués derrière lui, ainsi qu’à dissuader tout nouveau lanceur d’alerte sur la corruption au sein des corps de sécurité.

En ventriloque politique, le général Djebbar Mhenna a piraté les images et les paroles de BMA pour nous communiquer ses menaces, et ses idées mortes et mortelles. Et par là, à nous faire entrevoir la nécroculture qui règne encore au sein de ce corps de sécurité.

Face à l’extraordinaire opportunité de transition démocratique qu’a ouverte le hirak, les généraux vieillissants de notre armée, coincés dans un passé révolu, refusent les nouvelles idées, l’évolution et le changement. Ils sont aveuglément braqués sur des idées mortes, en pleine addiction à répéter compulsivement des recettes qu’ils savent contre-productives et éculées. C’est ce que Moises Naim appelle l’idéologie nécrophile.[20]

Au lieu de faire un pas vers l’avenir, ils en ont fait deux vers le passé, vers le verrouillage politique et médiatique, le discours du terrorisme, les brutalités policières, les emprisonnements politiques en masse, et les spectacles d’aveux télévisés au JT de 20 heures des années 90.

6. Notes


[1] Par exemple, « Diffusion imminente de graves aveux par le membre de l’organisation terroriste Rachad, Benhalima », L’Expression, 27 mars 2022.

[2] APS, 27 mars 2022.

[3] TSA, 27 Mars 2022.

[4] Par exemple, Ennahar et Echorouk ont titré sur le caractère « choquant » des « aveux », alors que les titres d’al-Bilad et Sawt al-akhar ont relevé leur caractère « dangereux » (27 mars 2022).

[5] Direction Générale de la Sécurité Intérieure.

[6] Saul M. Kassin, ‘The Social Psychology of False Confessions’, Social Issues and Policy Review 9 (2015) pp. 25-51; Saul M. Kassin and Gisli H. Gudjonsson, ‘The Psychology of Confessions: A Review of the Literature and Issues’, Psychological Science in the Public Interest 5 (2004) pp. 33-67; Saul M. Kassin, ‘False Confessions: How Can Psychology So Basic Be So Counterintuitive?’, American Psychologist 72 (2017) pp. 951-964.

[7] Communication privée.

[8] C’était le 12 avril 2001, au procès-mascarade sur l’assassinat d’Abdelkader Hachani. L’accusé, Fouad Boulemia, avait dit au juge – devant une salle d’audience plongée dans la stupeur : « Ils m’ont torturé au maximum vous comprenez ? Puis le général Toufik est venu, il m’a dit : Ana Rabha [c’est moi le Maître] tu vas voir ce que je vais faire de toi. Accepte de dire que tu as tué Hachani et tu auras quinze ans de prison, tes parents pourront te voir en prison. Sinon je vais t’emmener chez ta mère que je vais éventrer devant toi. C’est moi le général Toufik, Rab Edzayer [le Dieu de l’Algérie]. » « Sinon je te ferai cracher le lait que tu as tété. C’est moi le général Toufik, Rab Edzayer », suivant un récit légèrement différent rapporté par le journal Le Jeune indépendant. Témoignage de Fouad Boulemia rapporté par Daikha Dridi, ‘Procès de l’assassinat de Hachani: Fouad Boulemia condamné à mort’, Algeria-Watch, 16 Avril 2001; I. D., ‘Reconnu coupable de l’assassinat de Hachani Boulemia condamné à mort’, Le Jeune Indépendant, 14 Avril 2001; La Tribune, 14 Avril 2001.

[9] Par exemple, Amnesty International, ‘Algeria: End prosecution of activists who exposed torture of a child in police custody’, 22 March 2022; Amnesty International, Algeria 2021 Report; Al-Karama, ‘Algeria: the Special Rapporteur against Torture to Examine the case of Yasser Rouibah’, 31 aout2021; Al-Karama, ‘Algeria-Spain: the UN Special Rapporteur on Torture Seized of the case of the Military Whistleblower Mohammed Abdellah’, 28 janvier 2022.

[10] Voir par exemple le commentaire youtube du journaliste Abdou Semmar du 27 mars 2022.

[11] Magnus Fiskesjö, ‘The Return of the Show Trial: China’s Televised “Confessions”’, The Asia-Pacific Journal  15 (2018) 1-31; Janny H.C. Leung, ‘Publicity stunts, power play, and information warfare in mediatized public confessions’, Law and Humanities 11 (2017) pp. 82–101; Ergin Bulut et Basak Can, ‘Media, Affect, and Authoritarian Futures in “New Turkey:” Spectacular Confessions on Television in the Post-Coup Era’, Communication, Culture and Critique 00 (2020) 1–21; Bärbel Harju, ‘Too Much Information: Self-Monitoring and Confessional Culture’, in Florian Zappe et Andrew S. Gross (eds.), Surveillance, Society, and Culture, Peterlang, Berlin 2020, pp 59-81. Voir aussi les articles dans la note 6.

[12] G. Daniel Lassiter et al, ‘Videotaped interrogations and confessions: A simple change in camera perspective alters verdicts in simulated trials, Journal of Applied Psychology 87 (2002) pp 867–874; G. Daniel Lassiter et al, ‘Evaluating Videotaped Confessions: Expertise Provides No Defense Against the Camera-Perspective Effect, Psychological Science 18 (2007) pp. 224–226; G. Daniel Lassiter et al, ‘The Potential for Bias in Videotaped Confessions’, Journal of Applied Social Psychology 22 (1992) 1838–1851; G. Daniel Lassiter et al, ‘Evidence of the camera perspective bias in authentic videotaped interrogations: Implications for emerging reform in the criminal justice system’, Legal and Criminological Psychology 14 (2009) pp. 157–170.

[13] Ibid.

[14] Ibid.

[15] Par définition, la saturation HSV prend des valeurs entre 0 et 1, mais le logiciel que nous avons utilisé applique un mapping (correspondance) sur une échelle de 0 à 255.

[16] Voir note 11.

[17] Chloe Taylor, The Culture of Confession from Augustine to Foucault : A Genealogy of the ‘Confessing Animal’, Routledge, New York, 2008.

[18] Voir note 11.

[19] D Kafteranis, ‘The International Legal Framework on Whistle-Blowers: What More Should Be Done?’, Seattle Journal for Social Justice 19 (2021) pp. 729-758.

[20] Moises Naim, ‘What is Ideological Necrophilia’, The Atlantic 24 février 2016; Yovani Chavez, ‘Ideological Necrophilia’, DKI APCSS Security Nexus, 2016.