Le président Tebboune sur les pas du maréchal Sissi

Réprimer comme jamais tout en soignant son image d’interlocuteur indispensable à l’étranger : la politique du nouveau gouvernement algérien n’a rien de nouveau par rapport aux années passées. A un détail près, une répression accrue façon Sissi en Egypte

Le régime algérien profite du chaos mondial pour imposer un autoritarisme inédit. Si le président Tebboune applique à la lettre les recettes de son homologue égyptien le maréchal Sissi, c’est que la conjoncture internationale le lui permet. Les vagues de protestations contre les violences policières aux Etats-Unis, en France et dans le reste du monde occidental permettent aux autorités algériennes de rappeler qu’ils n’ont de leçons à recevoir de personne.

La montée des populismes dans le monde joue en faveur du régime algérien et des autres dictatures nationalistes de la région. Enfin, la crise sanitaire causée par le Covid19 permet à la police politique et aux tribunaux militaires d’écraser sans ménagement toute forme de protestation. 

Le redressement anti révolutionnaire


Un peu d’histoire. Le 19 juin 1965, profitant du tournage du film La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo, le colonel Houari Boumédiène alors ministre de la défense sortait ses blindés pour renverser le premier président de la « République Algérienne Démocratique et Populaire », son ami Ahmed Ben Bella. Depuis, le 19 juin a été décrété en Algérie jour férié et célébré tous les ans en tant que jour du Redressement révolutionnaire. Le président Chadli qui avait succédé à Boumédiène aurait bien aimé supprimer ce jour férié mais les caciques du FLN veillaient au grain. Il a fallu attendre les années 90 pour que ce jour de coup d’Etat ne soit plus un jour férié, mais très peu de temps.

En revenant au pouvoir par la grande porte, Abdelaziz Bouteflika, ancien ministre des affaires étrangères de Boumédiène, intronisé président par le régime militaire d’Alger, réhabilitera la journée du 19 juin.  

Une reprise difficile du Hirak

Ce vendredi 19 juin 2020 des militants du Hirak, le mouvement citoyen contestataire, voulaient reprendre les marches de protestation du vendredi. Sur les réseaux sociaux, les débats houleux entre partisans et  opposants de la reprise des marches populaires ont alerté les autorités d’Alger. La riposte a été immédiate : 500 arrestations ont été enregistrées selon le CNLD (le Comité National pour la Libération des Détenus). La série d’interpellations qui ont touché des figures connues du Hirak à l’instar du journaliste Khaled Drareni, des activistes  Fodil Boumala, Hakim Addad, Abdelkrim Zeghileche,Zoheïr Keddad et Amira Bouraoui ne semble pas connaître de fin. Aujourd’hui des simples citoyens s’exprimant sur les réseaux sociaux sont convoqués par les tribunaux. Cette fièvre des arrestations politiques ne semble pas connaître de pic. Avec la condamnation de la militante Amira Bouraoui à un an de prison ferme, le régime algérien passe à un niveau supérieur de la répression. Cette gynécologue de 44 ans, mère de deux enfants a été reconnue coupable de six chefs d’accusation, dont « offense à l’islam »« offense » au président de la République Abdelmadjid Tebboune et « incitation à violer le confinement » en « exposant directement la vie d’autrui ou son intégrité physique à un danger » pendant la crise sanitaire. 
CONSTRUIRE DES PRISONS OU UN PAYS ? 
Amira Bouraoui une des premières à dénoncer la politique mafieuse du clan de Bouteflika et de son frère semblait jusqu’ici protégée du fait qu’elle est la fille d’un militaire gradé. Il semblerait que les nouveaux parrains du régime algérien ne s’embrassent plus de ce genre de détail. Ce qui est nouveau. « Maintenant que tout le monde est en prison, quel est le programme pour la suite ? » se moque sur un ton aigre-amère le chroniqueur Chawki Amari dans El-Watan avant de conclure : « On sait juste que Abdelmadjid Tebboune est président et il n’y a pas 40 millions de places de prison. Il a donc le choix, soit il construit de nouvelles prisons, soit un pays ». La seule politique à peu près lisible du régime actuel est de s’assurer qu’il n’aura plus à subir les pressions internationales. Et les militaires au pouvoir à Alger savent que la géopolitique joue en leur faveur. Les relations avec Pékin sont au beau fixe malgré le changement d’équipe gouvernementale. La récente nomination d’Abdelmadjid Attar, au poste stratégique de ministre de l’énergie est un gage aux Etats-Unis. Mr Attar qui a été le P-DG de la compagnie national d’hydrocarbures Sonatrach est connu pour être très proche des Américains. Il aura pour tâche de mettre en pratique les voeux du président Tebboune -et des Américains- en ce qui concerne la délicate question de l’exploitation des hydrocarbures de schiste. « La providence nous a donné cette richesse, pourquoi s’en priver? », avait déclaré en janvier le Président algérien, provoquant un tollé dans l’opinion algérienne encore majoritairement hostile au gaz de shiste. Le régime d’Alger qui entretient aussi des bons rapports avec la Russie de Poutine et la Turquie d’Erdogan devient incontournable dans la gestion de la crise en Libye et dans la lutte contre les fractions intégristes armés qui sévissent au Sahel. La France qui a plus que jamais besoin des militaires algériens dans ces deux dossiers explosifs, accepte de fermer les yeux sur les exactions commises par ces mêmes militaires algériens pour étouffer les aspirations des militants du Hirak. Cette politique du court terme semble périlleuse. Pas moins de 2875 demandes d’asile politique ont été déposées en 2019 par les algériens en France,  selon les statistiques publiées par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). L’OFPRA note une recrudescence des demandeurs faisant part « persécutions liées à leur appartenance au Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK) ou leur appartenance à une famille de harki ». La question de l’orientation sexuelle occupe une bonne partie des motifs invoqués par les demandeurs note par ailleurs l’Office français. La France peut-elle accueillir toute la misère du monde provoquée par les potentats d’Alger ? Une fois de plus le drame algérien rattrape l’histoire française. 

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