La méfiance profonde entre le pouvoir nigérien et son armée annonçait le coup d’État

Le scénario d’une irruption de l’armée sur la scène politique était d’autant plus plausible que ni l’ex-président Issoufou, ni son successeur ne disposaient ps de vraie popularité chez les militaires.

Les premiers surpris par le coup d’Etat militaire qui a eu lieu hier mercredi à Niamey sont les tenants du pouvoir nigérien. Et avec eux la France qui n’a rien vu venir.

À peine terminé le diner qu’Emmanuel Macron avait offert à Mohamed Bazoum le 16 février 2023 que les messageries privées crépitaient en annonçant un coup d’Etat à Niamey. Plus tard, twitter reprenait le flambeau en montrant des images de 2009 !

Qu’importe, ils ont été nombreux à s’y laisser prendre, un ancien ambassadeur français a même partagé la fausse nouvelle. La fausse information a tellement fait le buzz, que le porte-parole du gouvernement nigérien a été obligé de publier un démenti, en promettant de dénicher « les auteurs, les co-auteurs et complices de ces messages malveillants. » 

Mais si autant de gens s’y sont laissés prendre, c’est que l’information n’était pas si incroyable, si impensable que ça. Il existait un profond malaise entre le pouvoir nigérien et son armée dont seul le représentant de la France sur place, que l’2lysée songeait à promouvoir ces derniers jours comme responsable de la cellule Afrique, n’avait pas conscience.

Nul ne pouvait en effet parier que les militaires nigériens resteraient l’armée au pied alors que  la crise  sécuritaire s’aggravait et que la cohésion sociale s’effritait face à la pauvreté endémique. Dans un pays où l’armée a déjà dénoué des imbroglios politiques (1974, 1996, 1999, 2010), l’hypothèse d’un coup de sifflet des militaires pour remettre le pays en marche, n’était pas une simple vue de l’esprit.  

La garde présidentielle choyée

Pendant au moins deux décennies, les autorités nigériennes ont choyé la Garde présidentielle (GP), chargée de la sécurité du président, etdélaissé le reste des Forces armées nigériennes (FAN). Elles étaient alors persuadées que le risques de coup d’Etat militaire viendraient plutôt des FAN que de la GP qui a, pour cette raison, bénéficié des équipements et des conditions de travail, nettement plus avantageux que les autres corps d’armée. Parti mercredi matin des rangs même de la garde présidentielle, le coup d’Etat avaienttoutes les chances de réussir.  Les putschistes n’ont finalement eu aucune difficulté à rallier le reste de l’armée à leur cause.

Mohamed Bazoum avait qualifié l’opération militaire française Barkhane « d’échec relatif ».

Depuis plusieurs années, les militaires nigériens ruminaient leurs rancœurs envers le pouvoir du président Mohamed Bazoum. Il lui reprochaient son de privilégier son alliance avec la France, même si ce dernier tentait de prendre des distances avec l’ancienne puissance coloniale. Mais ce qui est certain, c’est que le président nigérien entretenait pas des relations de bon voisinage avec le Burkina Faso et de Mali. La coopération militaire avait en effet été suspendue entre les trois pays de la zone dite des trois frontières (Burkina Faso, Mali, Niger), épicentre des activités des groupes djihadistes qui sont à deux doigts aujourd’hui d’établir un califat dans cette région.   

L’armée en embuscade  

Selon plusieurs sources internes à l’armée nigérienne, le limogeage en mars dernier du chef d’état-major des armées nigériennes Salif Modi, après son retour d’un voyage de Bamako où il est allé prôner la coopération militaire nigéro-malienne, a laissé des traces dans les rangs.  

En vérité, depuis de nombreuses années les militaires nigériens cherchaient une bonne occasion pour mettre fin à la gestion des civils qu’ils jugent désastreuse. Dans sa première déclaration, le Conseil national pour la sauvegarde de la partie (CNSP) a déploré la mauvaise gouvernance économique et sociale. De nombreux scandales de corruption et détournements des deniers publics ont émaillé ces dernières années la gouvernance de l’ex-président Issoufou et celle de son successeur Mohamed Bazoum. 

Des placards pas très dorés

Dans la stratégie de prévention de toute prise de pouvoir par l’armée qu’avait mis en place le président Issoufou, prédécesseur du président Bazoum,  des « officiers douteux » pour les régimes ont été envoyés comme attachés militaires dans les ambassades, de préférence dans des pays avec lesquels le Niger entretient une coopération militaire très embryonnaire : Turquie, Afrique du Sud, Italie, Allemagne…  

L’essentiel étant pour le régime d’Issoufou que l’officier affecté dans ce « placard » diplomatique ne soit plus au Niger. Alors que la tradition diplomatique veut que l’officier affecté comme attaché de défense y reste cinq ans, certains des « militaires indésirables » pour Issoufou en sont à leur dixième année à l’étranger. Ils ne reviendront pas, sans doute, avant son départ.

 En Mai 2021, la radiation pour « indiscipline » du général Mahamadou Mounkaila, un gradé très populaire, par le président Issoufou avait illustré de façon éclatante le malaise entre l’armée nigérienne et le pouvoir à Niamey.

L’appareil sécuritaire nigérien s’est ainsi retrouvé totalement fragilisé face aux groupes terroristes qui ont marqué des points ces derniers mois. Derrière la résilience apparente du Niger, par rapport au Mali et au Burkina Faso, apparaît la très forte progression de l’EIGS dans la zone rurale de Tillabéri et du JNIN sur la rive droite du fleuve Niger, autour du Parc du W sur la frontière du Niger avec le Bénin et le Burkina Faso.

Les officiers nigériens qui ont perdu plusieurs centaines d’hommes ces dernières années face aux djihadistes, ont d’ailleurs mis en avant la dégradation de la situation sécuritaire dans le pays pour justifier leur coup d’Etat. Ce en qoui ils n’ont pas totalement tort.

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2 Commentaires

  1. Enfin ! Le premier papier dans la presse française qui décrit les choses telles qu’elles sont dans toute leur étendue. Et que je n’hésite pas à partager avec tout qui désire avoir une idée précise des enjeux. Merci infiniment

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