A Sidi Bouzid, berceau de la révolution tunisienne, Rachid Fetini est une célébrité. Homme d’affaire, militant de gauche et opposant de la première heure aux islamistes du parti Ennahda, il travaille d’arrache pied au développement de sa région depuis des années. A la veille des élections présidentielles, il répond aux questions de Mondafrique
Mondafrique. Les élections présidentielles tunisiennes verront s’affronter, dimanche prochain, Béji Caïd Essebi et Moncef Marzouki. Quelle est votre position ?
Rachid Fetini. Je suis un farouche opposant à Ennahda et à ses partenaires de la Troïka qui a gouverné la Tunisie de 2012 à 2013. J’ai donné mon soutien au Front populaire au premier tour mais le candidat Hama Hammami est désormais hors compétition. Pour moi, Marzouki n’est pas une option. Proche d’Ennahda, il s’est montré bien trop laxiste envers les islamistes au point de mettre en péril la sécurité du pays en fournissant une protection aux terroristes financés par le Qatar avec la complicité coupable de puissances occidentales. Je vote donc utile comme beaucoup de tunisiens. C’est-à-dire pour Béji. Pas parce qu’il me convainc mais par amour pour mon pays que je ne veux pas voir sombrer dans le fondamentalisme.
M. Comment avez-vous vécu ces quatre années de transition chaotique depuis la chute du régime Ben Ali ?
Rachid Fetini. L’Assemblée constituante élue en octobre 2011 devait de donner au pays une constitution dans un délai d’un an poser les jalons d’une Tunisie nouvelle. Finalement, nous avons vécu une tumultueuse transition de quatre ans. Le programme appliqué a été en grande partie dicté par les frères musulmans avec le soutien du Qatar et de la Turquie. En tant qu’homme d’affaire, j’ai vécu les deux systèmes, Ben Ali et Ennahda, et je n’ai constaté aucune amélioration sur le plan économique. Ici à Sidi Bouzid, quand nous avons fait la révolution après la mort de Mohamed Bouazizi, nous espérions tous un changement radical. On pensait que le taux de croissance doublerait avec le départ des Trabelsi qui s’étaient accaparé l’économie du pays. Résultat, après quatre ans c’est une catastrophe. L’endettement est énorme. Le chômage n’a pas reculé. Sidi Bouzid et les zones de l’intérieur et de l’ouest du pays sont toujours délaissées par l’Etat. Sans parler du terrorisme qui a conforté ses bases dans le pays. Au point que la Tunisie est devenue le premier pourvoyeur de jeunes djihadistes en Syrie. Tout cela se construit sur le désespoir de populations dépossédées et livrées à leur propre sort.
M. Sidi Bouzid a été le berceau de la révolution tunisienne en 2011, comment la région a-t-elle évolué depuis ?
R.F. Sidi Bouzid a justement été un champ de test pour Ennahda. En quatre ans les gouverneurs qui se sont enchaînés ont tous été, soit affiliés, soit proche du parti islamiste. Personnellement, j’ai été convoqué par l’ancien gouverneur nahdaoui, Mohamed Najib Mansouri, qui m’a explicitement demandé de rejoindre le parti. C’était ça son but : recruter. Ce que j’ai bien sûr refusé. On a lutté contre lui et il est parti en 2012 après seulement 8 mois en poste.
Mais ne risquez-vous de nourrir les tensions en excluant systématiquement les soutiens d’Ennahda ?
R.F. J’en suis tout à fait conscient. C’est pourquoi il faut trouver un compromis. Après le départ de Najib Mansouri c’est Amara Tlijani, l’ancien gouverneur de Kibili est entré en fonction. Nous l’avons accepté même si, dans une bien moindre mesure que son prédécesseur, il avait aussi une proximité avec Ennahda. On ne peut pas refuser tout le monde éternellement au risque d’accentuer les problèmes de la région. Il faut composer. Aujourd’hui le gouverneur Michel Kababi l’ancien président du tribunal de Sidi Bouzid est aussi un sympathisant de Nahda. Le vrai problème c’est que tous se sont montrés incapables de sortir la région du marasme.
M. Justement pendant la campagne présidentielle, Moncef Marzouki s’est donné le rôle du candidat des déshérités.
RF. C’est de la poudre aux yeux ! Il a eu le soutien d’électeurs du parti Ennahda qui a rassemblé les voix des populations les moins aisées c’est vrai. Mais c’est de la mise en scène. Ce n’est pas parce qu’on met un burnous qu’on a le soucis du développement de son pays ! Il n’y a qu’à voir le bilan économique de sa présidence. Il faut, d’urgence, un plan Marshall pour la Tunisie. Marzouki a eu sa chance, tout ce qu’il a fait c’est ramener la pauvreté et diviser les tunisiens.
M. Même s’il ne le clame pas ouvertement, on comprend à travers les récentes interventions de Rached Ghannouchi, le leader d’Ennahda, qu’il soutient étonnement Beji.
R.F. Ghannouchi n’a plus le choix. Il cherche une solution pour pouvoir exister. Cela passe par la formation d’un gouvernement d’unité nationale dans lequel il pourra tout de même garder sa position d’opposant principal.
M. Béji, bourguibiste et ancien président de l’Assemblée nationale sou Ben Ali est une figure de l’ancien régime. Par ailleurs, son état de santé est extrêmement fragile. Pensez-vous qu’il puisse apporter le renouveau dont le pays a besoin et mener à bien ses projets dans ces conditions ?
R.F. C’est le seul candidat qui a réussi à rassembler le plus d’électeurs et de courants de pensée. Le Front populaire constitué de onze partis est extrêmement divisé en interne. Nous avons besoin d’une personnalité forte qui puisse unir les tunisiens et qui a de l’expérience. Car instaurer la démocratie dans un pays qui en a été longtemps privé est un long processus. Or, Nidaa Tounes présente justement un projet derrière lequel acceptent de se ranger de nombreuses personnes qui ne veulent pas voir les islamistes l’emporter. Aujourd’hui, je considère qu’il est le seul à pouvoir nous unir contre une catastrophe sécuritaire comme celle que connaît la Libye voisine.